Il secoua la tête un moment. Évidemment, malgré tous ses efforts, il n'était pas en mesure de comprendre. Moi-même, je peinais à me l'expliquer – et pourtant, j'étais au cœur du problème.
- Qu'est-ce que tu vas faire ? m'enquis-je, consciente que je ne faisais que détourner la conversation.
- Je n'ai plus qu'à rentrer, j'imagine, soupira-t-il. Même si je ne sais pas comment je vais expliquer mon départ. Je trouverai bien quelque chose, ajouta-t-il en haussant les épaules.
Nous nous relevâmes de concert en balayant le sable sur nos jambes. Conscients que nous n'avions plus rien à nous dire, nous revînmes sur nos pas silencieusement.
- Ça y est ? commenta Skyler en levant les yeux au ciel. L'heureux élu a dit tout ce qu'il avait à dire ?
- Ne m'appelle pas comme ça, gronda l'intéressé.
Il le gratifia en prime d'un regard aussi éloquent que s'il l'avait traité d'abruti. Si seulement Skyler savait qu'il était l'élu, je ne doutais pas qu'il serait déjà nettement moins « heureux ».
- Je veux t'entendre me dire ce que tu veux que je fasse, reprit-il ensuite à mon intention.
- Tu sais que...
- Ce sera plus facile si tu me le dis clairement et maintenant, insista-t-il.
Je comprenais où il voulait en venir. Une fois que les mots seraient sortis, il ne pourrait plus prétendre revenir en arrière.
- Je veux que tu t'en ailles, et que tu ne reviennes pas me chercher, déclarai-je sentencieusement. Ne dis à personne ce qu'il m'est arrivé, ne dis à personne ce que tu sais. Pars pendant qu'il est encore temps. Je m'engage à ce qu'il te laisse tranquille, fis-je en désignant mon « ravisseur » d'un signe de tête.
- Ne t'engage à rien, tu mentirais, intervint celui-ci.
- Tu ferais mieux de ne pas me faire mentir, grondai-je sans daigner lui jeter un regard. Si tu t'en prends à lui, je te jure que tu me le paieras d'une manière ou d'une autre. Il serait préférable que je décide de rester tranquille de mon plein gré jusqu'à la fin de notre voyage.
Il fallait que j'arrête de faire comme si j'étais capable de me retourner contre lui. J'avais déjà prouvé que je n'étais pas en mesure de tenir cet engagement. Candy en avait déjà souffert, mais il était hors de question que cela recommence avec Gabriel. Est-ce que mon coup de bluff y suffirait seulement ? Quoiqu'il en soit, Skyler ne répondit rien.
- Tu me promets de faire ce que je t'ai demandé ?
- Tu as ma promesse, soupira-t-il derechef. Si c'est vraiment ce que tu veux, je ferai ce que tu m'as demandé. Comme je ferai toujours ce que tu me demanderas.
Un pauvre sourire étira nos lèvres simultanément. Je le repris dans mes bras une dernière fois avant qu'il ne s'éloigne vers sa voiture. Il hésita un instant en ouvrant sa portière.
- Au revoir, lança-t-il en m'adressant un clin d'œil.
- Au revoir, répondis-je en lui souriant plus franchement cette fois.
J'avais automatiquement compris ce qu'il sous-entendait par là. Comme il avait coutume de le dire, « Ce n'est pas un adieu, ce n'est qu'un au revoir ». Il avait bon espoir que nous nous retrouvions, et je ne me permettrais pas de le lui enlever. Il fit démarrer le moteur, exécuta un demi-tour réussi et repartit à vitesse réduite, comme s'il devait s'arracher des liens qui avaient entremêlés nos destins. Je ne lui tournai le dos qu'une fois qu'il me devint complètement invisible.
Le silence retomba lourdement, comme si Skyler et moi nous retrouvions dans l'œil du cyclone que le lacis de mes remords avait insidieusement formé autour de nous. Je me concentrai sur le crépitement du feu pour me raccrocher à autre chose que le vide qui s'ouvrait devant moi, avec un certain succès au début. C'était sans compter sur l'intervention de mon meilleur ennemi.
- Tu t'es vraiment choisi un drôle de type, railla-t-il en passant la pointe de son arme dans ses cheveux, sans but précis. Je ne pensais pas que c'était possible qu'un mec puisse laisser sa copine entre les griffes du prédateur, juste parce qu'elle le lui a demandé ! Tu as fait ça seulement pour le protéger et il n'a même pas tenté de t'en empêcher. Franchement, ça dépasse tout !
- Ce n'est pas mon petit ami ! rugis-je en détachant chacun de mes mots.
Ma colère ne le désarçonna pas le moins du monde. Au contraire, elle sembla même exciter la sienne.
- Mais bien sûr, ça avait vraiment l'air d'être un simple ami de passage ! Arrête ton char, j'ai bien vu comment tu as réagi quand tu l'as vu. Tu es loin d'être une bonne menteuse !
- Tu es tout simplement trop stupide pour faire la distinction entre le mensonge et la vérité ! hurlai-je. Sinon tu aurais déjà compris...
Je m'interrompis avant d'aller trop loin. Il ne le remarqua même pas, tant il semblait en proie à une fureur incontrôlée.
- Tu es surtout tombée amoureuse d'un imbécile, et tu as trop honte pour le reconnaître, voilà tout !
S'il continuait sur cette voie, j'allais bientôt lui donner entièrement raison.
- Et quand bien même ? criai-je de plus en plus fort. Qu'est-ce que ça peut te faire de toute manière ? C'est vrai, pourquoi tu réagis comme ça ?
Il jeta son arme par terre en me regardant fixement.
- Pourquoi ? répéta-t-il fébrilement.
Il m'apparut tout-à-coup différent. Comme en proie à une fièvre intense. Il ne semblait plus maître de lui, mais même si la colère le dirigeait toujours, il semblait y avoir autre chose derrière tout ça. Je commençai à m'inquiéter lorsqu'il avança énergiquement dans ma direction avant de se planter devant moi.
- Pour ça, assena-t-il soudainement en prenant mon visage entre ses mains.
Ses lèvres trouvèrent les miennes comme s'il en avait toujours été ainsi. Bien que sous le choc, je m'abandonnai immédiatement à ce baiser avec une ardeur passionnée. Ses mains descendirent jusqu'au creux de mes reins, cherchant à me rapprocher davantage de lui – comme si l'espace entre nous était encore trop important, alors que nous étions pourtant déjà entièrement collés l'un à l'autre. Skyler semblait de plus en plus avide tandis que ma main fourrageait dans ses cheveux noirs, pendant que l'autre restait fermement enroulée autour de sa nuque. Lorsqu'il interrompit notre étreinte, hors d'haleine, je posai mes mains sur son torse, consciente qu'il n'allait pas tarder à réaliser son erreur.
- Je ne suis pas elle, murmurai-je avec désespoir, en devant lever la tête pour le regarder dans les yeux.
- Eireen, lâcha-t-il en laissant échapper un rire à la fois nerveux et soulagé.
Je sentis un poids tomber au fond de mon ventre. Comment connaissait-il mon prénom ? J'étais pourtant bien certaine de ne le lui avoir jamais communiqué – même Gabriel ne l'avait pas employé une seule fois pour s'adresser à moi. C'était impossible. Irrationnel.
- Eireen Sanders, chuchota-t-il avec une chaleur qui me donna l'impression de me consumer. C'est toi qu'ils ont essayé de me prendre. Et je viens seulement de me rendre compte qu'ils n'y sont pas arrivés.
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Ciencia FicciónEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...