9. ENGRAMME (PARTIE III)

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Je regagnai la maison, noyée comme jamais. J'envisageai de monter les escaliers pour rejoindre directement ma chambre, mais j'étais intimement convaincue que Jane avait monté la garde et m'attendait de pied ferme. En soupirant, je pris soin de refermer la porte d'entrée sans un bruit et tirai les verrous, avant de me débarrasser de mes chaussures sur le tapis et de rejoindre en silence la cuisine. Je me laissai tomber sur une chaise et attendis, frissonnante, que ma sœur descende les dernières marches de l'escalier. Sans un mot, celle-ci fit irruption dans la pièce et jaugea la situation en une demi-seconde. Elle se dirigea aussitôt vers les placards au-dessus de l'évier et commença à en sortir une tasse et une boîte de chocolat en poudre.

- Une heure moins une, déclara-t-elle d'une voix plate. Tu t'en tires bien.

Je jetai un coup d'œil à la pendule au-dessus de l'ouverture de la cuisine – j'étais en effet arrivée tout pile. J'esquissai un sourire dans son dos.

- Tu aurais mieux fait de m'écouter, ajouta-t-elle simplement en allant chercher le lait dans le frigo. J'espérais quand même que le bon sens t'inciterait à rentrer par un temps pareil, mais bon... Qu'est-ce que tu faisais, au fait ?

- Je me suis promenée près du Cannon Ball, répondis-je à moitié en la regardant enclencher la minuterie du micro-ondes. J'y suis restée le temps que ça se tasse, mais quand j'ai vu que le couvre-feu allait bientôt être dépassé, j'ai pris sur moi et j'ai couru jusqu'ici.

Bon, d'accord, là, je lui avais menti. J'avais moi-même du mal à y croire, n'ayant jamais été du genre à avoir de secret pour elle.

- Ce n'était pas dramatique, non plus, tempérai-je en voyant son visage peu amène se tourner vers moi. Je n'ai eu qu'à traverser la rue et descendre.

Jane s'approcha de la table et posa la tasse devant moi. Je la remerciai et la pris prudemment par l'anse – comme ma mère avant elle, elle n'avait jamais eu aucun sens des températures.

- Quand tu te seras séchée, viens te coucher, m'ordonna-t-elle simplement. On rediscutera de ça demain. Pour l'instant, je n'ai pas les idées claires, et moi aussi j'ai besoin de dormir.

- D'accord, acquiesçai-je de mauvaise grâce, non seulement parce qu'elle me faisait culpabiliser, mais parce qu'en plus j'aurais droit à un sermon en règle le lendemain matin.

Enfin, dans quelques heures, pour être exacte. Lorsque je rejoignis mon lit cette nuit-là, je me mis à repenser à ce qu'il s'était passé. Je revenais sans cesse sur mon comportement imprudent, tout en me cherchant des excuses. Il fallait reconnaître que c'était la première personne de mon espèce que je croisais, en dehors de ma famille peu nombreuse. C'était la principale raison qui m'avait poussée à le suivre. En plus de cela, je n'avais pas eu très envie de ravaler ma fierté et de fuir face à lui lorsqu'il avait voulu me chasser de son « territoire ». Il paraissait tellement confiant que j'aurais regretté de lui donner raison en m'en allant. À côté de ça, n'avait-il pas eu exactement ce qu'il voulait en me faisant monter dans sa voiture ?

Agacée, je me roulai en boule sous ma couette. Je détestai ce type. Désinvolte, arrogant, hypocrite, mauvais... Et puis, qu'est-ce qu'il croyait ? Pensait-il vraiment que j'irais le rejoindre dès qu'il lui en prendrait l'envie ? Je n'avais rien à faire de son « aide ». Tout ce qu'il cherchait, c'était à me rendre aussi mauvaise que lui. D'un autre côté, son marché me laissait perplexe. Qu'avait-il entendu par « réapprendre à devenir humain » ? Essayait-il de me faire croire qu'il avait conscience de l'erreur qu'il commettait en agissant ainsi ? Qu'il était prêt à essayer de changer avec la première personne qu'il croisait sur sa route ? Et tout ça, dans le but de mieux m'attirer dans son piège ?

Je me rendis compte que je m'agaçais moi-même avec toutes mes questions. Il n'y avait pas à tergiverser, son but était clairement de me faire du mal, que ce soit par jeu ou par besoin. Il ne méritait même pas que je me creuse la tête à son sujet. Pire, sa présence m'avait conduite à faire des choix stupides – le suivre, et mentir à Jane ensuite pour devoir cacher ma faute. Tandis que je fermais les yeux de toutes mes forces pour m'obliger à m'endormir, l'image de ses prunelles émeraude se mit à flotter derrière mes paupières. Une nouvelle pensée, différente des autres, s'insinua alors dans mon esprit. Et si j'étais moi aussi la première Cérébrale qu'il rencontrait sur son chemin depuis longtemps ? Dors, m'intimai-je sévèrement.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant