10. RUPTURE (PARTIE V)

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Je n'avais jusqu'ici jamais accordé d'attention au fait que nous puissions être en mesure de nous dégoter une maison à chaque fois que nous emménagions quelque part. Pour moi, tout cela était parfaitement normal dans la mesure où je n'avais jamais rien connu d'autre. Certes, nous avions parfois dormi dans un motel ou dans notre voiture dans des quartiers discrets – lorsque notre passage se révélait encore plus temporaire qu'à l'accoutumée –, mais ces transitions ne duraient jamais bien longtemps. J'avais presque toujours eu un toit sur ma tête depuis que j'étais née. Du temps où notre mère était encore en vie, elle essayait systématiquement de reconstruire sa vie dans une ville qu'elle avait choisie, et dans laquelle elle espérait bien finir tranquillement ses jours. Plus les années avaient passé depuis sa disparition, moins je comprenais comment elle avait pu céder à des illusions aussi fantaisistes, alors que les Duplicateurs avaient déjà fini par percer leur couverture vieille d'une vingtaine d'années en tuant mon père. S'ils avaient pu coincer Graham Sanders, véritable roi en matière de protection et de prudence, comment ma mère avait-elle pu espérer faire perdurer leur idéal de jeunesse dans un nouvel Eldorado ? Alors que nos ennemis connaissaient désormais notre existence, qui plus est ? Et plus incompréhensible encore, où avait-elle trouvé la force d'espérer à nouveau dès que nous nous faisions chasser de chez nous ? Quelles qu'aient été les motivations de ma mère, toujours était-il qu'il était aisé pour elle de s'installer quelque part, dans la mesure où étant adulte, mère de famille et dotée de contacts très précieux pour lui fournir de faux papiers, elle passait très facilement avec ses deux enfants pour une famille monoparentale banale et sans histoire. Jane n'ayant pas encore atteint la majorité au moment où elle avait dû me prendre en charge, il lui avait fallu passer par le biais des mêmes contacts que ceux de nos parents et paraître très convaincante. Par chance, le fait que les billets étaient allongés dès le départ et avec régularité à la fin de chaque mois nous permettait de ne pas trop attirer l'attention des propriétaires – et des services sociaux, par la même occasion.

Je ne savais pas d'où venait réellement cet argent. Était-il possible qu'il s'agisse des économies amassées par nos parents tout au long de leur courte vie, d'après un plan selon toute vraisemblance mûrement réfléchi, afin de pouvoir parer en cas de coup dur ? Voire même des économies qui remonteraient à des générations ? Il est vrai qu'il avait toujours été de tradition dans la famille d'essayer de se fondre dans la masse humaine selon des valeurs morales et honorables. Alors, pourquoi pas ? À moins que mes parents n'aient organisé un braquage réussi avant que nous ne venions au monde, je ne voyais pas d'autre solution. Et de toute manière, je m'en fichais pas mal pour le moment. Nous avions juste ce qu'il nous fallait pour vivre correctement de vagabondage, probablement jusqu'à la fin de nos jours si j'en jugeais par la tranquillité de ma sœur à ce sujet.

C'est ainsi que nous parvînmes sans grande difficulté à nous louer un endroit tranquille dans un quartier non moins tranquille de la très bien nommée Vallée du Soleil – et ce, malgré un délai plutôt court. Nous décidâmes d'un commun accord de ne pas nous installer trop confortablement tant que nous ne serions pas sûres que les Duplicateurs ne s'étaient pas lancés à nos trousses après notre départ de Macon. Les journées s'écoulèrent, les unes derrière les autres, et j'essayais peu à peu de reprendre pied dans la vie normale. Il était néanmoins incroyable de voir combien ces deux derniers mois avaient pu me changer à ce point. Il était difficile pour moi de ne plus sortir au milieu de la nuit pour aller le rejoindre – ce qui ne m'empêchait pas de me réveiller toutes les nuits aux alentours de minuit et demi, mon horloge biologique s'étant calquée sur mon rythme nocturne avec suffisamment de difficulté pour daigner m'accorder un retour à la normale. Je supportais également mal de me réveiller sans retrouver les repères de ma chambre d'enfance. Mais je gardais mes problèmes pour moi, sans faire étalage de la souffrance qui me rongeait perpétuellement. Personne ne pourrait jamais me reprocher de ne pas avoir essayé de toutes mes forces de continuer à avancer.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant