13. RENDEZ-VOUS EN ENFER (PARTIE IV)

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Je m'installai sur le papier, qui craqua sous mon corps.

- Je vais devoir te faire une prise de sang, ma belle, poursuivit-elle en me montrant l'emballage d'une seringue toute neuve.

J'obtempérai à contrecœur. Elle m'offrit le choix entre le creux de mon coude et la partie supérieure de mon bras. Je tapotai mon muscle deltoïde, choisissant la moins pire des deux options. Tant qu'à faire...

- Il va falloir patienter un peu pour les résultats, m'avertit-elle en tapant à toute vitesse sur un terminal qui devait transférer toutes les données et l'échantillon de mon sang au fameux C.N.R.D. – acronyme dont j'avais fini par apprendre la signification, pour « Centre National de Recherche et Développement ». Pendant ce temps-là, j'aimerais que tu me parles de ce qui t'est arrivé ces dernières semaines.

- Vous êtes aussi qualifiée à ce niveau-là ? éludai-je en souriant faiblement.

- Je suis aussi psychologue à mes heures perdues, reconnut-elle en me rendant un sourire plus authentique.

Je me tus un moment.

- Pour être honnête, repris-je, je n'ai pas envie d'en parler. Gabriel est à peine parvenu à raconter ce qu'il nous était arrivé, et j'ai bien vu que c'était aussi dur pour lui que pour moi d'étaler les faits. Je suis certaine que vous appellerez ça un traumatisme, et je ne vous contredirai absolument pas là-dessus, mais sachez que je n'ai pas l'intention de le laisser affecter ma santé mentale ou bien même mon comportement. Même si c'est dur, j'essaie de relativiser en me serinant tout le temps que ça n'a duré que quelques jours... bien que, pour l'instant, ça n'ait pas encore servi à grand-chose. Je m'accroche pour rester juste et n'imputer à personne la responsabilité de ce que nous avons enduré.

- Mais ? insista-t-elle avec délicatesse. Tu en veux malgré tout à quelqu'un, n'est-ce pas ? Tu sais, je ne te jugerai jamais pour ça. C'est normal que tu exprimes ton mal-être d'une manière ou d'une autre. Celle-là n'est pas la moins commune.

Super, voilà qu'elle mordait à l'hameçon ! Je pris un air torturé.

- Vous savez, quand j'ai été envoyée en mission, je n'étais pas préparée à ça. J'ai le sentiment... qu'on m'a donné rendez-vous en enfer.

Elle haussa les sourcils avec compassion.

- Très sincèrement, tu me donnes l'impression d'être plus forte que pendant ta formation. Et déjà à l'époque, tu refusais de te laisser écraser par tes problèmes. Je suis admirative.

- J'échangerais très volontiers toute votre admiration pour une tranquillité d'esprit intacte. Comprenez, j'ai vécu durant de longues années dans ma bulle loin de tout problème. En comparaison, aujourd'hui me semble... trop dur à supporter.

Un signal sonore interrompit le geste réconfortant de l'infirmière, qui se dirigea vers les moniteurs en faisant rouler d'un geste agile sa chaise jusqu'au terminal. Chance se serait évanoui à coup sûr devant un tel jeu de jambes.

- Hélène a fait vite, marmonna-t-elle pour elle-même en consultant une série de pourcentages et de chiffres carabinés.

Je me raidis à l'évocation de ce prénom.

- Pardon ? fis-je mine de ne pas avoir entendu.

- Je parlais toute seule, répondit Gianna en touchant du bout des doigts l'écran principal pour déplacer certains fichiers. Ta tutrice n'a pas mis longtemps à m'envoyer les résultats.

- Le professeur Kendra ? m'étonnai-je avec une innocence feinte. Elle sait que je suis de retour ?

- Bien sûr, répliqua-t-elle comme une évidence. Je sais que ce n'est pas à vos yeux l'une des têtes dirigeantes de notre communauté, mais elle y prend une part très active. Et puis, non seulement elle était avec nous quand j'ai reçu le message, mais de plus, elle se charge de ton dossier depuis ton enfance.

L'infirmière faisait donc elle aussi partie des « méchants » de l'histoire ? En toute honnêteté, elle paraissait plus que suspecte. Aussi gentille soit-elle, elle était là depuis suffisamment longtemps pour savoir que je n'avais pas été élevée au Centre comme elle le prétendait. Partageait-elle les mêmes responsabilités que Kendra, ou n'était-elle finalement qu'un pion de plus, avec juste davantage d'information que les autres, à l'instar de Matt et Ric ?

- Tu n'aurais quand même pas voulu lui cacher ton retour, non ? s'étonna-t-elle finalement en abandonnant une minute son travail, avec une apparente sincérité.

- Bien sûr que non, contrai-je avec fermeté. Bien au contraire. C'est juste que je n'ai eu aucun contact avec elle depuis mon C.E.S., et j'admets que je ne me suis pas très bien comportée à son égard les derniers temps. Je commençais à devenir folle à force d'être enfermée de cette manière. Elle était un peu la seule sur qui je pouvais reporter ma frustration. Mais j'ai compris depuis longtemps qu'elle ne faisait que prendre soin de moi et me protéger. J'aimerais qu'elle prenne conscience de ma reconnaissance. J'ai bien peur de lui avoir laissé une mauvaise image de moi.

Je m'impressionnais moi-même. Comment faisais-je pour paraître aussi honnête, alors que je haïssais littéralement cette femme ? En même temps, je ne perdais pas de vue l'enjeu de tous nos mensonges. Il fallait que je me rapproche au maximum du laboratoire, pour avoir accès à toutes les informations sur l'emplacement éventuel des Cérébrals.

- Je suis sûre qu'elle sera ravie d'entendre ça, opina-t-elle en retournant à son travail. Alors... De ce côté-là, tes taux sont acceptables... Ça, en revanche, ce sera à surveiller. Tu as subi des carences alimentaires, je suppose ?

- Je dois avouer que la faim a été le cadet de mes soucis, admis-je.

Ce n'était pas réellement un mensonge. J'avais sauté plusieurs repas au cours de ces dernières semaines, et je n'avais pas vraiment mangé varié – c'était le moins que l'on puisse dire.

- Oh ! s'exclama-t-elle en se redressant brusquement. Je crois que ça va changer...

- Je vous demande pardon ? rétorquai-je, ahurie par la manière dont elle s'était subitement illuminée.

Elle me fit de nouveau face, le visage radieux.

- J'ai une merveilleuse nouvelle à t'annoncer !

Aïe aïe aïe ! La dernière fois que ces gens-là avaient voulu me faire part d'une bonne nouvelle, j'avais fini ligotée et bâillonnée sur une chaise électrique au beau milieu de la nuit. Qu'est-ce qu'ils avaient encore bien pu décider de me faire ?

- Eireen, tu attends un heureux évènement.



Le chapitre 13 s'achève déjà. Celui-ci est effectivement plus court que la moyenne, mais comme vous pouvez vous en douter, les prochains s'annoncent chargés.

Les parties défilent, et j'ai l'impression que la fin de la publication m'attend au tournant, moment que je redoute tout en l'espérant, paradoxalement. J'attends avec impatience vos réactions, comme toujours, si le cœur vous en dit. Rendez-vous au prochain chapitre... où nous nous enfoncerons plus loin en enfer ;)

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant