8. IDENTITÉ (PARTIE III)

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- Pourquoi tu refuses de me croire ? fit-il en se rapprochant de moi, apparemment calmé.

- Parce que ce serait mal de faire semblant. J'ai envie d'y croire, mais seulement pour rester à tes côtés. Tu dois comprendre que ça va à l'encontre de tous mes principes. Je suis née pour rétablir l'équilibre, pour combattre les Cérébrals.

- J'arrive pas à croire que c'est toi qui dises un truc pareil !

- Et tu voudrais me faire croire que j'en suis une, que je suis le mal incarné, insistai-je sans l'écouter.

Il recula brutalement, comme s'il avait reçu un coup.

- Alors, c'est comme ça que tu me vois ?

- Je dirais que tu es l'exception qui confirme la règle, avouai-je à regret. Mais pas parce que tu te différencies des autres par tes actes, même si c'est en partie le cas. Seulement parce que j'étais destinée à t'aimer qui que tu sois, quoi que tu fasses.

- C'est une preuve qu'il te faut ?

Je haussai les épaules. J'étais plus malheureuse pour lui que pour moi de le voir dans cet état. Il se rapprocha de moi une nouvelle fois et passa sa main autour de ma taille, déclenchant mes frissons à l'endroit où notre peau entrait en contact. Tout en me sondant intensément, il glissa dans mes cheveux son autre main, qu'il avait posée sur ma nuque.

Je ne trouvai pas la force d'empêcher ce qu'il s'apprêtait à faire. Parce que même si je ne nous rendais absolument pas service en agissant de la sorte, je ne pouvais tout simplement pas fuir face à ce que je désirais par-dessus tout. C'était peut-être la seule chose que la vie m'offrirait de lui, et je ne ferais pas l'erreur de la gâcher. Cette fois, je fus la première à joindre mes lèvres aux siennes, une douleur sourde couvant au fond de ma poitrine. Ses doigts explorèrent mon dos, s'attardant sur le pli de mon tee-shirt. Je me sentais progressivement broyée et incendiée de l'intérieur, et fus surprise de constater que cette sensation était tout simplement merveilleuse. Notre passion était si intense que je me sentais presque vide à l'endroit où aurait normalement dû se tenir mon ventre, tant il me paraissait léger. Je ne me résolus à m'écarter que lorsque je n'eus plus de souffle, au point que j'en oubliais momentanément comment respirer. Je restai dans les bras de Skyler, tandis qu'il me dévisageait de ses prunelles émeraude.

- Est-ce que tu me crois vraiment capable d'aimer quelqu'un de cette manière par erreur ? m'interrogea-t-il enfin. De t'aimer si tu n'étais qu'une imitation imparfaite d'une autre, rien qu'une Duplicatrice parmi tant d'autres ? Sincèrement ?

- Ça prouve que je t'aime, éludai-je en haussant faiblement les épaules.

Je me retins d'ajouter que ça ne prouvait rien d'autre.

- Il doit y avoir un moyen, persista-t-il quand même. Une chose qui...

Il s'interrompit brusquement. Un sourira étira ses lèvres à mesure que l'espoir s'imposait à lui.

- Cette fois, tu ne pourras plus douter.

Il vola littéralement jusqu'à ses sacs et je dus faire volte-face pour le suivre du regard. L'idée qu'il venait d'avoir n'était pas si mal – j'avais déjà des soupçons sur ce dont il s'agissait. Quand il aurait enfin la preuve sous les yeux, il devrait se rendre à l'évidence. Comme je m'y attendais, il finit par dénicher un morceau de papier glacé après avoir vidé le contenu de ses bagages sur le sol. Il s'y attarda une seconde et revint vers moi avec une confiance ahurissante. Il n'avait pas dû suffisamment bien regarder – il devait être évident pour lui qu'il n'en avait pas besoin pour s'assurer que j'étais la bonne personne. Je soupirai lorsqu'il me la tendit, mais la curiosité l'emporta. J'allais enfin entrevoir qui était cette fille qui lui avait tourné la tête au point qu'il puisse rechercher sa présence au travers d'une personne comme moi.

Sur la photo, je découvris une adolescente qui devait à peine avoir un an de moins que moi, dont l'expression laissait transparaître un bonheur indiscutable malgré les sillons qui traversaient son front. Ceux-ci me laissaient à penser que l'inquiétude était devenue une sorte d'habitude sur ce visage en apparence rieur. Le cadre était essentiellement resserré autour d'elle, mais on pouvait voir qu'elle était assise sur le coin d'une table en bois, non-loin d'un pan de mur blanc. Elle semblait avoir pris la pose avec désinvolture en gardant ses jambes croisées, sa robe noire à bretelles lui tombant tout juste au-dessus des genoux. La manière dont elle s'était positionnée montrait que la photo avait été prise en pleine action : la paume posée sur la table tandis qu'elle ramenait son autre bras tendu vers elle, en plein éclat de rire. Comme si elle avait voulu faire un geste précis, mais qu'elle n'avait pas pu garder son sérieux jusqu'à la fin.

Je m'attardai sur ses longs cheveux châtains bouclés qui s'accordaient à la couleur de ses prunelles, sa lèvre inférieure légèrement plus pleine que l'autre, son teint coloré. Sans me laisser le temps de respirer, je retournai l'image et lus au dos une inscription rédigée d'une écriture soignée : Eireen, 5 octobre 2014. Je devais me rendre à l'évidence. Cette fille sur la photo, c'était moi. Écrasée par le poids de cette prise de conscience, je me laissai lentement glisser à terre, sans pouvoir détacher mes yeux de la scène capturée sur le vif. Skyler s'accroupit derrière moi, posant ses mains sur mes épaules.

- Je regrette, bégayai-je en sentant les larmes monter derechef. Je ne me souviens de rien.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant