11. L'OEIL DU CYCLONE (PARTIE IV)

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- Eh, tu te calmes, O.K. ? intervins-je.

- Ne t'avise même pas de jouer à ça avec moi, renchérit mon meilleur ami d'une voix calme. Tu ne fais pas le poids.

- J'aimerais savoir comment tu vas t'y prendre sur deux personnes à la fois, objecta Hushnan en se plaçant juste derrière Kyle.

- Non seulement je ne serais pas le seul à intervenir si vous vous en preniez à moi, fit-il en me lançant un regard confiant et en lâchant le linge taché de sang par terre, mais en plus, j'ai quelques talents cachés. Et je ne suis pas le seul.

Je fis une légère dénégation de la tête qui n'échappa pas à mon compagnon.

- Tu m'expliques ? exigea-t-il en oubliant un instant la présence de Gabriel à moins d'un mètre de lui.

- Non, répondis-je avec une assurance feinte.

Il lâcha immédiatement l'affaire, mais je ne doutais pas qu'il reviendrait sur le sujet plus tard.

- Tu es juste trop aveugle pour le voir, lui jeta Gabriel en revenant vers moi. Je ne comprends pas pourquoi tu restes avec lui, Eireen. Sérieusement, ce type va te tuer ! Tu t'en rends compte, au moins ?

Skyler le regarda en secouant la tête, l'air de le traiter d'abruti.

- J'imagine que ce n'est probablement pas dans tes plans puisqu'elle est toujours vivante en ce moment même, mais que tu le veuilles ou non, tu finiras par la tuer.

- Gabriel, tais-toi ! intervins-je d'une voix un peu trop aigüe.

En effet, même si Skyler semblait connaître le mécanisme selon lequel les Duplicateurs changeaient selon le degré d'alchimie atteint, j'avais fini par réaliser qu'il n'avait absolument aucune idée des conséquences que cela entraînait, à savoir un affaiblissement progressif me conduisant sans doute aucun vers une mort certaine.

- Elle t'aime, poursuivit-il néanmoins en m'attrapant par les épaules et en me rapprochant de Kyle.

- Mais moi aussi, je l'aime ! explosa Skyler, perdant le peu de sang-froid qu'il lui restait. Je l'aimais déjà avant même que tu ne la connaisses, et si je l'ai perdue, c'est uniquement à cause des représentants de ton espèce !

Mon ami me relâcha, abasourdi.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? fit-il en se replaçant face à moi.

- Je n'ai pas encore vraiment pu te dire à quel point les choses ont changé depuis que tu es reparti....

- Mais, Eireen, ça ne fait pas vingt-quatre heures qu'on s'est vus !

Je posai mes mains sur ses épaules pour l'inciter, non seulement au calme, mais aussi à me prêter attention.

- Je dois te poser une question, et je veux que tu me répondes la vérité, l'adjurai-je.

Il hocha la tête d'un air un peu perdu, ses sourcils haussés d'une manière plus éloquente que cinquante points d'interrogation alignés.

- Est-ce que tu étais oui ou non au courant de ce qu'ils m'avaient fait ?

- Mais de quoi tu parles au juste ? s'énerva-t-il en échappant à mon contact.

- Tu veux dire que tu ignorais totalement qu'on m'avait enlevée et fait perdre la mémoire pour libérer mon côté Duplicateur ?

- Hein ?

Je crus qu'il allait faire un malaise. Avec son récent coup à la tête, j'étais presque certaine que la pression que je lui infligeais allait rouvrir les vannes de son hémorragie.

- Qui t'a raconté ça ? Lui ?

- Gabriel, calme-toi, je...

- Que tu sois tombée amoureuse de lui au point d'accepter d'en mourir, c'est ton problème, Reen, mais tu n'es pas devenue idiote au point de perdre tout discernement, quand même ? Tu ne vas tout de même pas croire à ce ramassis de conneries ? Il n'a pas pu te connaître, tu as passé dix-sept ans enfermée dans le Centre ! Tu l'as déjà oublié, la solitude, l'impression d'être un ovni débarqué au milieu de personnes en trois dimensions, la déstabilisation, ton C.E.S ? Tu veux vraiment remettre tout ça en cause parce que ce gars a monté une histoire de toute pièce dans laquelle il serait possible qu'il ait des sentiments pour toi ?

- Arrête ! le coupai-je d'une voix forte. Là, tu vas trop loin ! Si je te raconte ça, ce n'est pas uniquement parce que je l'ai cru sans émettre la moindre protestation ! Moi aussi, j'ai refusé d'y croire au début. Mais ça, insistai-je en posant deux doigts sur ma tempe, ça ne peut pas me tromper. Je m'appelle Eireen Sanders, Gabriel, je suis née à Macon, en Géorgie. J'ai une sœur, Jane, toujours bien vivante, et non pas soi-disant morte à l'âge de quatre ans. Mes parents ont été tués par des Duplicateurs il y a à peine quelques années et j'ai passé le reste de ma vie à fuir avec elle. J'ai rencontré Skyler quand j'avais seize ans dans ma ville natale, et non pas parce que je l'avais pris pour cible dans une stupide mission confiée par Neraja ! J'étais une Cérébrale, Gaby. Ils ont voulu libérer mon côté Duplicateur, même si je ne sais toujours pas pourquoi ils se sont donnés la peine de me sauver la vie. Est-ce que je ne tiendrais pas là la véritable raison pour laquelle je suis devenue un Phénomène ?

- Non ! hallucina Hushnan dans son dos, visiblement bien au courant de ce qu'impliquait ce statut.

Le visage de mon meilleur ami se décomposa, frappé par le bien-fondé et l'évidente sincérité de mes propos.

- Je ne peux pas le croire, souffla-t-il, sonné.

- Inutile de faire l'étonné, reprit tout-à-coup Skyler, qui n'était miraculeusement pas intervenu durant notre échange. Toutes les personnes présentes ici savent parfaitement laquelle de nos deux espèces est la plus dégénérée et contre-nature des deux !

Ses paroles firent un drôle d'écho aux propos que je lui avais tenus cette fameuse nuit, en Géorgie.

- Vous l'avez enlevée sous mes yeux, poursuivit-il en pointant du doigt son rival qui venait de faire volte-face, et vous lui avez effacé ses souvenirs, au risque de la faire tuer par des gens de sa propre espèce ! Et tu oses me soutenir que je serais capable de lui faire du mal, quand toi et les tiens n'avez fait que l'exposer à une mort inéluctable ?

- La ferme ! rétorqua-t-il, visiblement sous pression. Je te signale que c'est son amour pour toi qui va la tuer, de toute manière ! Je crois que tu ne m'as pas très bien compris tout à l'heure. Est-ce que tu es vraiment au courant qu'elle va progressivement se mettre à faiblir, au point de ne quasiment plus pouvoir bouger, et s'éteindre comme une fleur et avec le sourire encore, uniquement pour tes beaux yeux ?

Skyler me regarda bien en face, attendant visiblement que je réfute ce qu'il venait de dire, mais je n'eus pas la force de lui mentir. La compréhension s'insinua lentement en lui, et je vis son regard briller d'un éclat étrange.

- Je vais te tuer ! rugit-il brusquement, fou de rage.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant