17. L'AFFRONTEMENT FINAL (PARTIE VI)

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Un cri inhumain jaillit à côté de moi. Le temps sembla se suspendre une seconde ; même nos ennemis semblèrent prendre la mesure de ce qu'il se passait. Les jambes de Gabriel cédèrent tandis qu'il semblait se contenir pour ne pas hurler, sans succès. Je m'interdis de réfléchir à ce qu'il se passait sous mes yeux – sans quoi, je n'aurais pas été capable de faire face.

Je n'eus pas à attendre mon tour bien longtemps. La douleur ne fut pas exactement fulgurante. Elle fut rapide à se déclarer, mais prit un temps infini pour ronger jusqu'aux moindres confins du plus petit de mes nerfs. C'était comme si j'avais plongé dans un feu et que la chaleur ne faisait que monter, monter et encore monter.

Tout cela n'avait rien à voir avec ce que j'avais vécu auparavant. Il devait exister un principe selon lequel tant qu'un être humain ne succombait pas à la souffrance qui lui était infligée, cela signifiait qu'il n'avait pas encore expérimenté le pire de ce qu'il pouvait lui arriver. Cette fois pourtant, malgré le nombre de fois où j'avais cru atteindre le pire, j'étais bien certaine que je ne pourrais jamais rien subir de plus terrible. Ce n'était plus qu'une question de minutes avant que mon cœur ne me lâche.

J'avais déjà souhaité mourir par le passé face à une situation que je pensais désespérée, mais cela pouvait sembler facile à décider, dans la mesure où je n'avais aucune attache, aucun être à qui tenir et me raccrocher. Ce n'était plus le cas aujourd'hui et pourtant, si j'avais pu faire un choix à cet instant, j'aurais sans aucun doute choisi la mort plutôt que cette torture infernale. J'aimais ceux qui m'entouraient de tout mon cœur, j'aurais pu donner ma vie pour eux et j'étais certaine qu'ils en feraient tout autant pour moi. Mais il est des fois où même l'amour ne vous porte plus assez haut pour surmonter les obstacles. Or, j'étais l'obstacle. Et c'était ce qui se terrait au plus profond de moi qui allait tous nous détruire aujourd'hui.

J'étais incapable de réfléchir à quoi que ce soit d'autre qu'à la manière dont faire cesser la douleur, et encore, si l'on pouvait appeler cela réfléchir. J'avais du mal à donner un sens aux informations sensorielles que je continuais par je ne savais quel miracle de recevoir. J'étais presque aveugle, non pas parce que ma vision s'obscurcissait progressivement, mais plutôt parce que plus rien ne semblait avoir de contours et de couleurs fixes. C'était comme si je voyais des molécules bouger à toute vitesse, et non des objets et des natures en apparence immuables. Les sons n'avaient rien de logiques non plus, mais je soupçonnais davantage ce qu'il se passait tout autour de nous d'en être la cause. La douleur augmenta encore, et je poussai mon premier véritable hurlement.

- Arrêtez ! cria la voix déformée de Skyler. Arrêtez ça !

Ma plainte semblait m'avoir permis de reprendre un tant soit peu le contrôle de mon corps.

- Laisse... les... faire ! parvint à lâcher Gabriel en s'arrachant les mots un par un, rugissant légèrement le dernier.

J'eus un instant conscience de la force dont il faisait preuve au travers de ces quelques mots. Je n'étais moi-même pas prête à survivre pour endurer ça plus longtemps. Mais j'avais trop mal pour avoir honte, à ce moment-là.

- Il y en a qui ont la manie de laisser traîner ce à quoi ils prétendent tenir plus que tout, émergea une voix que je n'étais plus très certaine de connaître.

Autour de nous, les combats semblaient avoir provisoirement cessé. Je parvins à relever la tête et hurlai de nouveau, ce qui fit rire celui qui avait pris la parole. Je soupçonnais qu'il ne s'agisse de Dani, même si j'avais des difficultés à discerner ses traits. La personne qu'il tenait dans ses bras ne pouvait cependant pas m'être inconnue.

- Ce qui est bien avec cette nana, reprit le demi-frère de Ronan, c'est que quand tu la prends en otage, elle ne crie pas.

Jane jura d'une manière qui lui était peu coutumière et qui en choqua plus d'un, au vu des hoquets de surprise qui émanèrent de tous ceux qui n'étaient pas en pleine incantation muette.

- Sauf quand elle sait qu'elle va mourir, bien sûr, s'agaça-t-il en lui infligeant une secousse qui faillit faire sortir Skyler de ses gonds.

- Tu ne la tueras pas, avança-t-il, confiant en apparence seulement.

- Vraiment ?

- Tu ne la tueras pas, parce que tant que tu la gardes en vie et sous ton emprise, tu vas pouvoir parlementer avec nous. Tu sais très bien que si tu la tues, ce sera à qui sera le plus rapide pour te faire la peau. Et j'ai comme dans l'idée que ce sera moi.

- Ne parle pas trop vite, intervint Zane. Je suis plus vif que j'en ai l'air.

La menace dans son ton paraissait destinée à notre ancien ravitailleur.

- Tu comprends ce que je veux dire ? renchérit mon compagnon à l'intention de celui-ci.

- Il y a un truc que t'as pas l'air de comprendre. Je ne suis pas là pour parlementer. Sans déconner, vous avez tué mon frère !

- Très sincèrement, tu n'as pas l'air dévasté par la nouvelle. Et je te signale qu'il avait déjà tenté de faire tuer mon frère, ma sœur et ma femme. Sans compter tous ceux qui sont présents ici.

- J'en ai rien à foutre ! rugit-il tout-à-coup. Tu vois ça, Gabriel ? continua-t-il en plantant ma sœur à deux bons mètres de lui. C'est de ta faute, c'est de leur faute à tous !

- Tenez le coup encore deux minutes ! supplia Lindsey.

Alors que je parvenais à peine à suivre le drame qui se déroulait sous mes yeux, je vis Gabriel esquisser un mouvement comme pour se relever, sans succès. Où allait-il chercher une force pareille ? Un accès de douleur fulgurant eut pour effet inattendu de me faire récupérer la majeure partie de mes sens. J'étais au bord du précipice ; encore un accès de ce genre, et je ne pourrais plus lutter contre les ténèbres qui m'attiraient à elles.

- Lâche-là, grogna mon meilleur ami.

- Regarde bien, l'ignora Dani en armant son instrument de mort.

Ce fut probablement la seconde de ma vie la plus chargée en informations diverses, à tel point que je ne compris pas réellement comment je parvins à toutes les assimiler d'un seul coup. Skyler se jeta sur Dani en comprenant sa réelle motivation, les Duplicateurs tombèrent tous dans un même élan, Zane, Luther et l'ex-futur meurtrier compris dans le lot, les yeux de Gabriel devinrent noirs lorsqu'il lança une concentration massive de toutes les énergies présentes sur l'intéressé, et un nouvel accès de douleur rompit le dernier barrage que j'avais opposé à sa puissance. J'assimilai lentement l'absence définitive de réponse de mes membres, alors qu'une vague sombre déferlait dans mon esprit - à l'instant même où un fil se rompait à l'arrière de mon crâne, lorsque qu'Atropos arrêta finalement son choix.

Je tombai sur le flanc, le sol venant lentement à ma rencontre, et je sentis un instant la peur me submerger, avant de lâcher prise. La dernière chose que je vis avant de mourir, ce fut la chute de Gabriel sur le sol, sa tête rebondissant comme au ralenti sur la surface inégale. Son bras était tendu vers moi, mais il n'y avait plus aucune trace de vie dans son regard bleu.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant