18. JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE (PARTIE IV)

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Les jours passèrent, sans qu'aucun changement ne se produise. Le temps était le seul élément de notre vie à continuer son inexorable course. La pluie qui ne cessait de se déverser derrière les fenêtres nous renvoyait le reflet tristement parfait de nos sentiments. Nous approchions du treizième jour de sa convalescence, et rien ne semblait indiquer que nous étions au bout de nos peines. Jane pleurait silencieusement dans son coin plus souvent qu'à son tour, et je n'avais rien à lui envier. Nous ne remarquions même plus les couleurs ni les saveurs, notre existence se voilant lentement d'un filtre monochrome.

- On va commencer à en manquer, fit remarquer Skyler, me tirant de ma rêverie.

Je fis rapidement le point, mes yeux s'étant perdus dans le vague. Kyle changeait la perfusion de son frère, pensif lui aussi.

- Megan m'avait aidé à détourner ça, mais ça devient juste.

- Où est-ce que tu as appris à faire ça ? le questionnai-je en le regardant procéder.

- Ça remonte à mes débuts dans les poches de résistance, expliqua-t-il. Au début, on nous apprenait surtout à soigner les blessés. Ça peut toujours être utile, tu comprends...

- Et tu crois que c'est ça qui te donne le droit de me trouer la peau ? lança une voix d'une telle faiblesse que je crus l'espace d'un instant l'avoir imaginée.

Je me retournai vers la porte, pensant un instant qu'il s'agissait de ma sœur.

- Reen ! s'anima mon compagnon en claquant des doigts. Par ici !

- Tu n'es quand même pas en train de suggérer ce que je pense ? tentai-je de me calmer en bondissant malgré moi de la chaise.

Le corps de Gabriel était encore immobile, ses yeux toujours fermés. Néanmoins, je discernais leur activité sous ses paupières, ainsi que les rides qui plissaient son front, comme s'il se concentrait pour émerger.

- Gaby ? Tu m'entends ?

Et enfin, le miracle se produisit. Je découvris tout-à-coup son regard bleu en train de me fixer.

- Reen, tes yeux ! s'exclama-t-il avec un peu moins de faiblesse qu'auparavant. Tu es redevenue... toi ?

- Je pourrais t'en dire autant, ris-je en pleurant presque de bonheur.

Kyle fonça hors de la chambre, certainement pour avertir Jane.

- Comment ça va ?

- Euh... j'ai l'impression d'avoir dormi une centaine d'années. Sinon, c'est la routine.

- C'est quoi la dernière chose dont tu te souviens ? m'enquis-je, prise d'un doute.

Il se concentra en commençant peu à peu à bouger dans son lit.

- Je me souviens d'avoir attaqué Dani avant de lâcher complètement prise.

Son expression se fit lointaine. Je savais ce à quoi il pensait. Lui comme moi avions expérimenté le fait de mourir – littéralement. Ce souvenir me terrifiait toujours autant.

- Et rien d'autre ?

- Le trou noir jusqu'à maintenant, assura-t-il.

Un cri de surprise mêlé de joie retentit dans mon dos. J'eus juste le temps de me retourner pour voir Jane plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été, ses deux mains presque jointes posées sur sa bouche, avant qu'elle ne se précipite sur lui. Leurs retrouvailles furent tellement intenses de bonheur que cela aurait presque pu me faire mal aux yeux. Kyle posa ses mains sur mes épaules et m'adressa un sourire que je ne lui avais encore jamais connu. C'était autre chose que lorsqu'il était heureux durant les moments que nous avions partagé lui et moi. À présent, nous étions débarrassés de nos chaînes. Plus rien ne serait plus jamais pareil.

- Arrêtez de me regarder comme ça, se tortilla Gabriel, gêné au bout d'un moment. J'ai l'impression d'être le messie.

- Si tu savais la peur que tu nous as faite...

Je n'arrivais même pas à trouver les mots pour lui exprimer mon soulagement. Jane lui expliqua rapidement ce qu'il lui était arrivé, alors qu'il reprenait déjà suffisamment ses forces pour se redresser dans son lit. À croire que pour lui, tout ça n'était rien de plus qu'une petite sieste banale.

- Deux semaines ? Vous vous fichez de moi ? insista-t-il, incrédule.

- Est-ce qu'on a l'air de se ficher de toi ? rétorqua ma sœur, peu amène. Ne me refais jamais un coup comme ça, sinon...

- Tu me tues ? hasarda-t-il.

Skyler ne put s'empêcher de rire, ce qui lui valut d'être fusillé du regard.

- Ce n'est pas drôle !

- Je t'en prie, Jane, quelles preuves de plus il te faut pour te rassurer ?

Le ton de sa voix avait perdu tout de son accablement.

- Vous trouveriez ça indécent si je vous disais que j'ai encore envie de dormir ? intervint son frère.

- Oh que non, lui assurai-je. Il m'a fallu un peu de temps à moi aussi.

- Et tu as plutôt intérêt à te reposer, crois-moi ! le prévint-elle.

- O.K, chef !

Kyle et moi prîmes le parti de le laisser en paix, maintenant que nous pouvions enfin envisager l'avenir sous un jour serein. Je pris Gabriel dans mes bras en lui réitérant mes conseils avant de m'éloigner.

- Content que tu sois de retour, Kyne, le salua Skyler en lui donnant une brève accolade.

Je sortis de la chambre en songeant que pour la première fois, notre famille était enfin entièrement reconstituée. Les liens autrefois rompus s'étaient reformés de manière indéfectible, cette fois, plus rien ne nous permettait d'en douter.

Gabriel ne resta pas bien longtemps alité. Notre vie commença à compter de ce jour ; nous pouvions enfin nous reposer sur les perspectives que le destin nous avait jusqu'ici toujours refusé. Nous ne craignions plus de sortir, de construire notre existence sur de nouvelles bases solides. Seul le fait de nous séparer nous laissait encore un peu réticents, même si nous étions tous conscients que nous n'avions plus rien à craindre.

- Qu'est-ce que tu fais ? questionnai-je mon compagnon, alors qu'il décrochait sa veste en cuir du porte-manteau, un soir que Jane et Gabriel étaient absents.

La rémission de celui-ci datait tout juste d'une semaine, mais il avait réussi à la convaincre qu'il était en aussi bonne santé qu'avant toute cette histoire. Après avoir réussi ce tour de force, il avait déclaré qu'il nous l'enlevait pour la soirée, et qu'ils ne seraient probablement pas rentrés avant le lendemain matin.

- Une petite ballade, me répondit-il mystérieusement. Tu m'accompagnes ?


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant