9. ENGRAMME (PARTIE VII)

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Dès le lendemain, la vie reprit son cours, comme si rien de tout cela ne s'était jamais produit. Je ne me levai que très tard dans la journée, aux alentours de 13 h 00. Après mes deux nuits quasi-blanches, j'avais vraiment eu besoin de cette pause pour récupérer. Curieusement dépourvue d'appétit, je sautai le déjeuner et le dîner sans difficulté. Je savais pertinemment au plus profond de moi que les réflexions qui ne me quittaient plus n'étaient pas entièrement étrangères à ce revirement. Malgré moi, je revenais sans cesse à Kyle et à la manière dont nous nous étions séparés. Avec le recul, j'arrivais à discerner le masque narquois et provocant qu'il s'était forgé pour cacher la personne qu'il avait peut-être été autrefois. Ses mots sonnaient toujours aussi clairement dans mon esprit depuis notre première rencontre, sans que je parvienne pourtant à leur donner leur sens véritable. Lui apprendre à redevenir humain... comment voulait-il que je sache comment m'y prendre ? Et même si je le désirais, en valait-il vraiment la peine ? Il n'avait vraiment pas mis très longtemps à renoncer à cette « clause », si mes souvenirs étaient exacts. En même temps, s'il avait conscience de ce qu'il était et qu'il avait déjà trahi sa fierté une fois pour me demander de l'aider, comment ne pas lui accorder sa chance ?

Je devais sans cesse me rappeler que c'était trop tard, de toute manière. Il était parti je ne savais où, à présent, et à cause de moi par-dessus le marché. Même si c'était exactement ce que j'avais souhaité – ou du moins, c'était ce dont je m'étais persuadée – j'étais nerveuse à l'idée qu'il puisse s'enfoncer un peu plus profondément dans le vice, uniquement parce que je n'avais pas su répondre à son appel dans ce qui était peut-être son ultime instant de détresse. Cette idée m'était tout bonnement insupportable. Je me torturai tant et si bien à ce sujet que je finis par avoir la sensation d'étouffer de l'intérieur.

- Jane, l'interpellai-je en faisant irruption dans le salon. Je compte sortir ce soir.

- Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta-t-elle derechef.

Je pouvais lire dans son regard la crainte que le cauchemar ne recommence.

- Ne t'en fais pas, j'ai seulement envie de me balader, la rassurai-je. Seulement, je risque de ne pas rentrer de bonne heure. J'ai envie d'en profiter.

- Sois prudente, acquiesça-t-elle en opinant du chef. Et si tu n'es pas revenue avant une heure du matin, je te ramène par la peau des fesses, tiens-toi le pour dit.

Je jetai un coup d'œil à l'horloge, consternée. Il était à peine 20 h 00. Avait-elle réellement décidé de me laisser le champ libre pendant cinq heures entières ? Elle n'avait probablement même pas regardé l'heure, et j'y décelais là une preuve supplémentaire de sa confiance en moi.

- Ça marche, lançai-je en m'éloignant, m'abstenant de lui faire la moindre remarque.

Une fois à l'extérieur, je commençai à mettre un pied devant l'autre. Sans réelle surprise, mes pas me ramenèrent à la rue qui surplombait la nôtre. Les passants étaient moins rares à cette heure de la soirée, mais il n'y avait absolument aucune voiture illégalement garée devant le Cannon Ball. Cela ne m'empêcha pas de remonter l'allée et de m'asseoir sur les marches. L'endroit était vraiment idéal pour réfléchir lorsqu'il était désert. En me demandant pour la énième fois pourquoi je cherchais à répéter une erreur qui n'avait de toute manière aucune chance de se répéter, je poussai un profond soupir.

Je me convainquis que je ne resterais qu'un petit quart d'heure, histoire de me poser, mais je laissai finalement passer une demi-heure, puis une heure. Le ciel était encore assez clair – c'était l'un des détails que je préférais en été. J'aurais sans doute été capable de pousser jusque tard dans la nuit tant que je gardais au fond de moi ce vain espoir de le revoir.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant