J'atteignis le haut des escaliers et m'apprêtai à poser le pied sur la première marche lorsque j'entendis des voix dans le salon. La surprise me retint. J'aurais pourtant crû que ces deux-là ne resteraient pas seuls en bas une fois que nous serions partis. Poussée par une curiosité innocente – du moins, tentai-je de m'en convaincre –, je tendis le plus discrètement que je pus l'oreille.
- ... déjà dit que ça me mettait mal-à-l'aise, entendis-je ma sœur déclarer.
- Je suis désolé, s'excusa Gabriel. C'est plus fort que moi.
- Je ne suis pas encore prête à accepter... ça.
Je crus comprendre qu'elle lui parlait de ses sentiments. Sans être devin, deux choses étaient certaines. Gaby avait non seulement développé en très peu de temps bien plus qu'une simple affection à l'égard de ma sœur, mais il avait également tout fait pour éviter d'en arriver là. Toutefois, ce qu'il ressentait était aussi évident que s'il avait accroché une pancarte autour du cou mentionnant « Je vais me jeter sous un train si je ne reste pas près de toi ». La force de notre condition était pour le moins sidérante.
- Je sais que pour toi, je ne suis qu'un ennemi qui squatte ta maison, mais...
- Tu ne sais rien du tout, répliqua-t-elle d'une voix où perçait une pointe d'agacement. Je ne te vois pas comme un ennemi. Enfin, pas vraiment.
J'imaginai sans difficulté l'expression de Gabriel. Il devait avoir l'air aussi ahuri que moi.
- Ce que je veux dire, c'est que... je ne peux pas nier que vous êtes vraiment amis, ma sœur et toi. Et je sais qu'elle se trompe rarement quand elle accorde sa confiance. Mais le fait que tu ne représentes pas réellement un danger pour nous... ça me donne encore plus de raisons de culpabiliser.
- Ça n'a rien à voir avec toi, la détrompa-t-il. Enfin, tu n'aurais rien pu faire contre ça.
Un ange passa.
- Est-ce que ça fait... mal ? l'interrogea-t-elle maladroitement.
- Je n'en sais rien, reconnut-il. Physiquement, j'ai encore le temps, même si je n'ai aucune idée de comment ça marche sur le long terme. Moralement... j'arrive à gérer.
Un deuxième ange alla tenir compagnie au premier.
- Je regrette, déclara-t-elle d'une voix hésitante.
- Tu ne devrais pas, lui affirma-t-il. Ce n'est pas comme si tu pouvais... ressentir quelque chose pour quelqu'un comme moi. Ça n'aurait aucun sens.
- Justement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi...
Elle s'interrompit, comme prise en faute. Je me sentis vaciller. Venait-elle bien de sous-entendre ce que je pensais qu'elle venait de sous-entendre ? Je m'allongeai à plat ventre sur le sol pour tâcher de voir à travers la rambarde la tête de ma sœur. Restait plus qu'à espérer qu'elle ne me remarque pas.
- Quelle partie dans « dévisager » est trop compliquée à comprendre pour toi ? fit-elle mine de s'agacer, alors qu'elle paraissait littéralement en proie au doute.
Je ne voyais Gabriel que de dos, mais il semblait effectivement en train de la fixer – et je comprenais aisément pourquoi. Il se leva et s'assit près d'elle – je notai au passage que Jane était tellement déstabilisée qu'elle n'avait pas pensé à reculer.
- Ne t'énerve pas, d'accord ? la supplia-t-il presque en repoussant ses boucles blondes derrière son épaule.
Sans lui laisser le temps de protester, Gabriel posa sa main sur sa joue et l'embrassa. Choquée, je plaquai ma main sur ma bouche et roulai sur le dos, hors de vue. J'aurais certainement pu éviter d'assister à cela. D'un, ça ne me regardait pas, de deux, j'avais l'impression de l'avoir fait exprès, et de trois, je n'étais pas certaine d'être capable de gérer ça. J'attendis un moment – aucun son de claque ne me parvint.
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Science FictionEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...