Orlet (5)

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La jeune femme serra un peu plus son manteau autour de sa taille et continua de marcher en silence, sentant la froideur de cette fin de journée lui mordre les joues et suivant Vatki qui marchait rapidement à quelques pas devant elle. Elle était parfaitement reposée, à présent. Elle avait dormi pendant quasiment toute la journée, d'un sommeil lourd et sans rêve, comme elle les aimait tellement. Elle avait eu l'impression de quitter son corps pendant quelques heures et d'aller chercher ses forces dans les entrailles de la Terre elle-même. Elle s'était réveillé avec encore plus de détermination et de haine dans le cœur: une haine qui ne pouvait que lui permettre d'aller encore plus loin.

À peine était-elle descendue dans la salle au rez-de-chaussée de l'auberge que Vatki lui avait apporté un ragoût bouillant et copieux, composé de viandes et de légumes de toutes sortes, un ragoût qui avait empli l'estomac de la jeune femme et qui lui avait donné encore plus de forces. Avec un tel repas, elle savait qu'elle pouvait marcher pendant une journée entière sans manger quoi que ce soit. Elle allait aussi pouvoir marcher plus vite qu'elle ne l'aurait cru, au début. Deux jours de marche, c'était tout ce dont elle avait besoin pour rejoindre la ville de Pléna et pour prendre la caravane: sa première étape dans ce périple. Mais, avant cela, il lui fallait quitter les terres froides qui entouraient les montagnes pour de bon: il lui fallait juste rejoindre ce que l'on appelait les terres sans plantes, le désert.

Pour le moment, elle marchait dans les rues du village de Orlet afin de la quitter avant le début de la nuit, sous le regard des passants qui l'interrogeaient des yeux , et suivait Vatki qui avait tenu à l'accompagner jusqu'aux portes est de la ville afin de s'assurer qu'elle puisse passer les portes. La nuit, elle, commençait à tomber sur la plaine environnant le village et le gardien de la porte n'allait pas l'ouvrir avec facilité. Vatki avait de l'influence. Il pouvait convaincre le gardien de le faire pour lui.

Avant de partir de l'auberge, Lenah et Vatki lui avaient donné des provisions de nourriture pour le voyage, ainsi que deux gourdes d'eau afin de pouvoir se rafraîchir pendant tout le long du trajet, mais aussi une dizaine de pièces d'or afin qu'elle puisse au moins payer la caravane pour traverser le désert de l'Addus. La jeune femme avait rapidement rangé toutes ses affaires dans sa besace et avait remercié chaleureusement la femme et l'homme avant d'être entraînée dans les ruelles du village par Vatki.

Et, elle voyait toutes ces personnes qui la regardaient passer devant elles avec une grande attention, semblant s'intéresser à qui elle était et à ce qu'elle faisait. Elle n'aimait pas que les gens ne la regardent avec un peu trop d'intensité. De manière générale, elle préférait passer inaperçue, que personne ne la voit et qu'elle puisse faire tout ce qu'elle voulait sans que personne ne la regarde. Elle devait apprendre à passer inaperçue et à ne pas être vue par les autres. Elle ne voulait pas qu'on la regarde. Et pour cela, elle devait apprendre à ne pas faire de gestes brusques et à ne rien faire pour les autres ne la remarquent, que ce soit autant dans ses attitudes quotidiennes que dans ses petits regards.

Les deux personnes arrivèrent alors au bout de la ruelle pavée et firent face aux portes d'entrée de la ville, qui donnaient sur la route menant en direction du nord-est et de la ville de Pléna. Le gardien était devant la porte, regardant les deux personnes avec une grande intensité, comme s'il savait qu'ils venaient lui parler.

_Bonsoir, Alik, s'exclama alors Vatki en venant se poster devant l'homme, la jeune femme restant fermement à ses côtés. J'ai un petit service à te demander, que tu n'as pas le droit de me refuser, étant donné tous les services que je t'ai rendu pendant toutes ces dernières années. N'ai-je pas raison?

_Je t'écoute,répondit froidement l'homme en passant les mains sous ses aisselles avec une grande lourdeur...

_Il faudrait simplement que tu laisses cette jeune femme sortir du village avant qu'il ne fasse complètement nuit. Elle a absolument besoin de se rendre à Pléna le plus rapidement possible, et ce dès ce soir...

_Mais, tu sais que c'est contre les ordres du premier Altarik! Tu imagines ce qu'il peut me faire s'il apprend que j'ai fait cela. Il va me démettre de mes fonctions, voire même pire... La jeune femme ne comprenait pas vraiment ce que disait cet homme. Elle connaissait Altarik. Elle l'avait déjà croisé une ou deux fois. Depuis quelques mois, il était devenu le Premier du village de Orlet, chargé d'organiser le village, de gérer ses dépenses et son fonctionnement, et de s'occuper des défenses face aux gens de l'extérieur. Son père lui avait dit que l'ambiance avait changé depuis l'arrivée de Altarik au pouvoir dans le village. Les gens étaient devenus peureux, soucieux et suspicieux. Ce qu'il venait de se passer venait prouver ce que son père lui avait dit. Et, elle savait parfaitement que ce Altarik était une personne absolument détestable, aussi antipathique que violente envers tous les autres gens.

_Qui te vient en aide lorsque tu n'arrives pas à nourrir tes enfants, demanda alors Vatki en jetant un regard noir à l'homme qui sursauta sous les effets de cette question aussi précise que dérangeante et personnelle?

_Tu as raison, répondit l'homme en soupirant. Qu'elle passe, mais qu'elle fasse ça vite avant que les hommes de Altarik ne nous aperçoivent et ne décident de sévir contre nous ou pire, contre nos familles.

_Ne t'en fais pas! On va s'occuper de Altarik et le virer du pouvoir le plus rapidement possible... Levah, je te souhaite de réussir, ajouta alors l'homme en se tournant dans sa direction. Fais bien attention à toi! Reste bien sur tes gardes. Bonne chance à toi!... Va-t-en avant qu'il ne fasse vraiment nuit...

_Merci. Bonne chance à vous aussi, répondit la jeune femme avec calme. Elle jeta un dernier regard appuyé en direction de l'homme afin de le remercier des yeux, avant de se retourner face à la porte que le gardien était en train d'ouvrir en silence. Il avait raison. Elle devait s'en aller le plus rapidement possible. De ce qu'elle avait compris, les deux hommes, ainsi que tous les gens du village, avait déjà beaucoup de soucis à se faire avec ce qu'il se passait avec Altarik et ses quelques partisans. Et, de ce qu'ils disaient, les soucis qu'ils avaient étaient vraiment très nombreux et angoissants.


Elle passa à travers la porte et se retrouva plongée dans le vent frais de ce début de soirée, sentant le mordant du froid d'hiver lui prendre encore plus les joues. Au bout de quelques secondes, elle entendit la porte d'entrée du village se fermer avec violence et se retourna afin de se retrouver face à la muraille complètement fermée. Maintenant, elle était toute seule. Elle ne pouvait plus compter que sur elle-même. Elle était toute seule face aux événements et face aux humains, comme les hommes en noir.

Les Mondes Séparés: La ChasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant