La fièvre des sables (2)

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Dans ce cas-là, comment expliquer les apparitions de sa mère, quasiment aussi nombreuses que celles de son père? Sa mère était apparue dans les mêmes formes que son père: la flèche qui l'avait tuée enfoncée dans son dos, du sang séché autour de la bouche et sur l'ensemble du visage, des bleus sur les tempes qui lui donnait une allure terrible. Elle-aussi, avait parlé à la jeune femme, revenant dans son esprit à chaque fois qu'elle le pouvait, la regardant avec une expression de déception dans les yeux:

_Je ne te reconnais pas, ma fille. Qu'es-tu devenue? Pourquoi fais-tu toutes ces choses? Pourquoi as-tu tellement de haine dans le cœur? Tous ces hommes que tu as tués... Es-tu sûre de ce que tu fais? Ne te demandes-tu pas si c'est mal? Ne te demandes-tu pas si tu ne deviens pas comme ces hommes en agissant comme tu le fais? Je sais que tu connais la vérité: tout cela est mal. Ce qu'il nous ont fait ne justifie pas ce que tu leur fais. Je ne t'ai pas appris à agir comme cela: tu dois être un espoir, pas un vengeur. Je t'en supplie: abandonne toute cette colère que tu as en toi. La colère ne s'atténue pas avec le temps et finit par détruire le cœur. Tu peux être tellement plus pour tous ces gens...

Elle était tellement désolée pour sa pauvre mère, mais elle ne pouvait pas suivre ses recommandations: elle avait tellement de colère dans l'âme. Elle avait tellement de haine dans le cœur... Elle ne pouvait tout simplement pas les ignorer. Elle ne pouvait tout simplement pas les écouter. Tout son être lui hurlait qu'elle devait laver l'affront qu'elle avait subi et elle se devait d'accomplir cette vengeance, même si cela déplaisait fortement à sa mère. Cette dernière s'était trompé sur Levah: elle n'était pas un espoir pour les autres. Elle n'était pas meilleure que les autres. Elle, elle avait l'impression d'être une sorte de corbeau qui amenait la mort et la destruction avec lui...

Mais toutes ces visions de ses parents n'étaient pas pires que toutes celles qu'elle avait eues de Christie: à chaque fois qu'elle était venue habiter son esprit, elle était toujours dans le même genre de situation:

Son pauvre visage tellement magnifique était parsemé d'hématomes et de petites coupures qui venaient recouvrir son menton et ses joues tellement claires et tellement parfaites. Ses yeux tellement verts et tellement étonnants étaient entourés de bords noirs, particulièrement foncés et profonds. Et elle avait une expression tellement triste et tellement désolée que ça lui faisait mal au cœur. Elle avait l'air de souffrir terriblement. Elle l'avait même l'air de souffrir à chaque fois qu'elle respirait.

Et ses bras étaient dans le même état que son visage! Ils étaient recouverts de bleus, de coupures et d'hématomes plus ou moins imposants. Certaines de ses blessures saignaient encore, lentement et inexorablement. Elle donnait l'impression d'avoir été battue par des hommes, d'avoir reçu des coups de pieds et des coups de poings en grand nombre. Elle était dans un sale état. C'était comme si les hommes en noir l'avaient sacrément amochés. Elle semblait avoir terriblement mal. Elle semblait ressentir un terrible douleur dans chacune de ses blessures. Elle semblait ressentir des torsions et des violences à chaque fois qu'elle faisait le moindre petit mouvement pour survivre et pour aller mieux.

Et ses poignets étaient liés par de lourdes chaînes serrées qui l'empêchaient de faire le moindre mouvement. Elle était attachée comme un animal...Comme un esclave! Et elle devait tout faire avec ces chaînes: parfois, elle l'avait vu manger avec ces chaînes. Elle l'avait vu essayer de se laver avec ces chaînes. Elle l'avait vu marcher en soulevant sans chaînes autant qu'elle le pouvait, entourée par le groupe d'hommes en noir sur leurs chevaux. Ils la faisaient souffrir. Ils faisaient tout pour la rabaisser. Ils voulaient qu'elle comprenne le statut qu'elle avait par rapport à eux: elle était une moins que rien. Et, ils avaient le droit de vie et de mort sur elle. Ils avaient le droit de la détruire.

Elle n'osait même pas imaginer ce qu'elle devait subir chaque jour avec ces hommes. Ils devaient la torturer sans cesse. Ils devaient la frapper sans cesse et l'humilier en permanence. Et, ils devaient même...

Elle n'osait même pas penser à ce qu'ils étaient capables de faire à sa sœur! Rien que d'imaginer ce que ces monstres étaient capables de faire à Christie, elle sentait une rage folle envahir l'ensemble de son être, une rage qui allait bien plus loin que toutes les colères et toutes les haines qu'elle avait ressenties jusque là. Elle avait envie de massacrer tous ces hommes. Elle se sentait devenir violente. Elle avait tellement de haine en elle. Elle avait tellement de colère. Ça l'empêchait de ressentir tout le reste. Comment pouvait-elle laisser tout autre sentiment entrer en elle tant qu'elle avait ces sentiments de rage au fond de son cœur? Comment pouvait-elle laisser cette colère loin d'elle quand elle imaginait ce que ces hommes étaient en train de faire à sa pauvre petite sœur?


Toutes ces images ne cessaient de tourner dans sa tête, revenaient encore et encore dans son brouillard. Et, elle n'avait pas besoin de cela. Elle avait besoin de guérir. Elle avait besoin de retrouver le monde réel pour avancer. Elle ne pouvait pas rester comme cela. Il fallait qu'elle se fasse violence. Les images qu'elle inventait de sa sœur n'avaient aucune importance. Seul le monde réel l'était.

Les Mondes Séparés: La ChasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant