La traversée du fleuve (2)

8 4 0
                                    

Salvinah rit en silence, mais elle vit le barquetier lui lancer un regard incrédule et effrayé. Apparemment, les loups des marais étaient connus jusqu'à ce village: et ils avaient aussi mauvaise réputation parmi les peuples qui vivaient dans cet endroit, même s'ils ne semblaient pas se rendre dans les marais de Verda Terra.

Personne ne semblait voir ce qu'il se passait réellement pour ces pauvres bêtes innocentes. Ou personne n'y accordait la moindre importance. Elle ne pouvait pas leur en vouloir d'avoir peur. Mais elle pouvait leur en vouloir d'être ignorants. Ils ne cherchaient même pas à savoir qui étaient ces animaux et ce qu'ils vivaient, tout ce que les hommes en noir leur avaient fait subir. Eux-aussi faisaient preuve de cruauté envers eux. Et elle devait avouer que ça la dégoûtait de tous les êtres humains.

Chassant ses pensées de son esprit, la jeune femme se concentra sur l'autre rive du fleuve, se mettant à regard chaque détail avec attention... Les terres sèches... Cela faisait tellement de temps qu'elle attendait d'y mettre les pieds. Dans deux semaines, elle serait enfin à la Capitale, proche des hommes en noir.

Elle espérait pouvoir y retrouver sa sœur... En bonne santé... Pouvoir lui rendre sa liberté tant méritée.

Elle y pensait tous les jours, à chaque instant, depuis plus de deux mois. Ça l'obsédait tout doucement. Elle ne vivait pour rien d'autre. Ça la maintenait en vie depuis la mort de ses parents. Et ça lui donnait des forces pour continuer sa route vers la Capitale, même pour faire le chemin sur les eaux.

Elle se demandait à quoi ressemblaient les terres sèches: des terres désolées où les dangers devaient plus nombreux les uns que les autres. Elle se demandait ce à quoi elle allait devoir avoir à faire face, comment elle allait pouvoir continuer à avancer pour continuer sa route sans rencontrer de nouveaux dangers.

À présent, les deux femmes allaient rentrer dans le territoire des hommes en noir, le seul territoire sur lequel ils régnaient en maître et imposaient leur loi. Chaque maison, chaque carrefour, chaque champs qu'elle voyait allait devenir un danger pour elle. Les hommes en noir pouvaient être partout. Ils pouvaient faire n'importe quoi. Ils pouvaient les attaquer encore et encore à chaque fois qu'elles faisaient un pas de plus.

Elle ne se sentait pas rassurée à l'idée de devoir faire face à ces hommes. Combien étaient-ils? Des centaines? Des milliers? Des dizaines de milliers? Elle ne savait pas exactement. Toute personne était un ennemi potentiel. Tout personne était un danger contre lequel elle devait se protéger. Elle allait devoir se méfier et se prémunir de toutes les ombres qui passaient devant elle à chaque heure du jour.

Elle avait peur de cela.

_Les terres sèches sont beaucoup moins effrayantes qu'on pourrait le croire, expliqua Salvinah en haussant les épaules... Mis-à-part les hommes en noir, mais on ne les voit pas tellement que cela: ils ne parcourent les terres sèches que lorsqu'il s'agit d'aller récupérer les taxes que les habitants des terres sèches leur doivent en permanence... Les terres sèches ne sont pas comme les autres terres séparées: ici, il n'y a pas de ville, ni de village, mis-à-part la Capitale qui est vraiment immense. On ne trouve que de petites fermes isolées les unes des autres par des champs... On peut passer des jours sans avoir à croiser qui que ce soit. On peut même être toute seule pendant tout le long du chemin...

_C'est déprimant, lança la jeune femme en grommelant. Et tu sais que c'est dangereux pour nous aussi?

_Oh que oui, je le sais! Je te rappelle que je suis née et que j'ai grandi dans la Capitale. Je la connais par cœur... Ici, ce n'est pas comme chez toi... Levah... Les gens sont seuls. Les gens ont peur. Les gens sont paralysés et toujours stressés... Et ils en deviennent égoïste. Ils en deviennent méchants. Ils en deviennent cruels... Comme les annihilateurs... Les terres sèches sont comme cela: violentes et dures. Les gens qui vivent dans les terres sèches et la Capitale sont pareils que les annihilateurs, voire même pire qu'eux... Mêmes'il existe quelques exceptions et des gens de confiance, même au cœur de la Capitale.

_Comment tu les reconnais?

_Va falloir que tu me fasses confiance... La jeune femme considéra Salvinah avec un peu plus d'attention. Elle n'était pas certaine de parvenir à faire une telle chose. Elle n'était pas certaine d'avoir les capacités de se fier à qui que ce soit, même si elle connaissait cette femme mieux que toutes les autres personnes. Elle n'était pas certaine d'avoir cette force et cette faiblesse au fond de son cœur.

La confiance n'était pas dans son sang.

Mais elle savait que Salvinah lui faisait confiance sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle lui faisait tellement confiance qu'elle s'était permise de lui raconter les secrets les plus intimes de son existence.

Et elle n'était pas sûre d'être à la hauteur de cette immense confiance et de mériter tout cela. De toutes évidences, Salvinah pensait beaucoup plus à elle qu'elle ne pensait à cette femme. Elle lui faisait bien plus confiance que Levah ne le faisait. Et elle s'intéressait bien plus à elle que Levah ne le ferait jamais avec elle. Quelque part, elle avait honte de ne pas être capable de ressentir une réciprocité à toutes ces attentions.


_Préparez-vous, finit par déclarer le barquetier avec calme, ne semblant pas réellement s'intéresser aux deux jeunes femmes. Nous allons bientôt nous arrêter sur les berges des terres sèches. On accoste dans cinq minutes...

Les Mondes Séparés: La ChasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant