L'arrivée à Séchane (2)

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Levah se redressa sur son séant d'un seul coup et se retourna afin de regarder le visage de l'homme sur lequel elle avait dormi: elle reconnut aussitôt les traits de ce visage, les traits durs et affaiblis d'un homme qui avait souffert, les traits doux et attentifs d'un homme qui était capable de compassion. Et, il y avait cet œil qu'elle percevait: un œil rempli d'étincelles, de vie et de volonté; un œil intense qui se plantait dans les yeux des autres et les faisaient frissonner. Et il y avait aussi ce bandage qui recouvrait son deuxième œil. Elle imaginait l'énormité de la cicatrice qui balafrait un grande partie de son visage: une cicatrice large et longue qui devait être profonde, mais qui n'entachait pas sa beauté.

Rayak! Maintenant, elle se souvenait de ce qu'il s'était passé: il était resté avec elle. Il avait pris soin d'elle du mieux qu'il le pouvait, lui donnant à boire et à manger, la lavant quand il le fallait et lui permettant de se reposer. Il l'avait aidé comme personne n'avait jamais osé aider la jeune femme. Pourquoi acceptait-il de faire tout cela pour elle? Qu'avait-il en tête? Que voulait-il d'elle? Elle ne le savait pas. Et elle avait peur de le découvrir. Comme souvent avec les humains des terres séparées, elle avait peur de découvrir l'ombre qui se cachait derrière les gestes attentionnés et les paroles douces.

_Est-ce que tu vas mieux, demanda l'homme avec sérieux, en se redressant sur son séant à son tour? Tandis que l'homme étudiait chacun de ses traits avec une extrême attention, elle se mit à réfléchir intensément: elle avait l'impression d'aller beaucoup mieux. Le mal de crâne qu'elle avait ressenti pendant presque toute sa fièvre avait disparu. Ses entrailles semblaient avoir repris leur place habituelle et ne se déchiraient plus de douleur. Elle n'avait plus de courbatures. Elle n'avait quasiment plus mal à la gorge et aux poumons. Il n'y avait quasiment plus aucune trace de la fièvre des sables.

Et ça la soulageait.

Certes, elle était toujours très épuisée de ce qu'elle avait vécu et elle avait l'impression d'avoir usé toutes ses forces. Mais, elle savait qu'elle pouvait encore se reposer et qu'elle allait recouvrer son énergie. Ce n'était qu'une question de temps. Elle était sortie d'affaire. La maladie était partie. C'était le plus important.

_Oui, je crois que je me sens réellement mieux, répondit alors Levah en haussant les épaules avec lourdeur. La fièvre est passée, même si je suis encore fatiguée... C'est bien mieux!... Où est-ce que nous sommes? Combien de temps ai-je été inconsciente? J'ai complètement perdu la notion du temps.

_Tu as été inconsciente pendant plus de sept jours, répondit Rayak avec sérieux. La fièvre a été terrible. Bien des fois, j'ai cru que tu allais mourir. Mais, tu revenais à chaque fois dans une grande agitation. Ça a été dur, mais tu y es arrivée. Je ne l'aurais jamais cru. Je suis impressionné et je t'avoue que ça me soulage de savoir que tu vas beaucoup mieux... Nous sommes toujours dans le désert, mais nous sommes quasiment aux portes de Séchane. Nous allons y entrer dans quelques heures.

_Merci d'avoir pris soin de moi. Je sais bien que je n'aurais pas survécu si tu n'avais pas été là pour moi. Elle vit l'homme sourire et le sentit attraper sa main afin de la serrer avec douceur. La jeune femme sentit une décharge électrique la parcourir entièrement et sentit ses yeux s'écarter d'étonnement, heureusement cachés par la pénombre de la nuit. Voilà ce qu'il avait en tête! Voilà ce qu'il attendait tellement d'elle! Et elle se fichait totalement de toutes ces choses. Elle se fichait totalement de ce que les hommes voulaient. Elle avait tellement de choses à faire, tellement de choses plus importantes que cela: elle ne vivait que pour sa sœur. Elle se fichait de tout le reste. Elle se fichait de tous les autres. Rayak n'avait aucun intérêt personnel à ses yeux, rien qu'elle ne voulait garder.

Mais, dans le même temps, elle ne voulait pas lui faire de mal. Comment pouvait-elle dire ce genre de choses à une personne sans lui faire de mal? Elle n'avait jamais parlé beaucoup de temps aux côtés des hommes. Elle avait toujours eu une vie solitaire. Peu de personnes étaient venues dans sa ferme. Mis-à-part les membres de sa famille, elle n'avait jamais réellement été en contact avec les autres. Et ses parents n'avaient jamais pris le temps de lui expliquer ce genre de choses. Elle ne savait pas quoi dire. Tout ce qu'elle voulait lui faire comprendre, c'était qu'elle ne pouvait pas faire ce genre de choses: elle ne pouvait pas lui donner ce qu'il attendait d'elle. Elle n'était pas faite pour cela.


Instinctivement, elle dégagea sa main de celle de Rayak d'un coup sec, comme si elle venait d'être touchée par les flammes, et se tourna en direction de l'avant de la caravane en essayant d'ignorer l'homme du mieux qu'elle le pouvait. Elle ne voulait pas parler de cela avec lui. Elle n'en avait pas la force. Combattre les hommes en noir ne l'effrayait pas, mais parler de ces choses avec Rayak la terrifiait au plus haut point. Ce n'était pas juste et c'était lâche, mais elle préférait fuir cette conversation pour le moment. Elle n'avait aucune envie de faire face à ce genre de choses, tout simplement.

Les Mondes Séparés: La ChasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant