La Capitale (2)

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Elles n'avaient pas prévu le moindre rendez-vous pour se retrouver à un endroit ou un autre. Comment Salvinah pouvait-elle seulement espérer la retrouver et la rejoindre dans cette foule qui ne semblait jamais baisser? Comment pourrait-elle savoir où elle allait être? Levah ne voyait pas à quoi Salvinah pouvait exactement penser en cet instant, alors qu'elle était en train de s'éloigner de Levah de cette manière tellement sauvage et tellement élégante...

Salvinah lui avait déjà dit qu'elle avait grandi dans la Capitale, qu'elle en connaissait tous les recoins par cœur et qu'elle était un peu comme la maîtresse de toutes ces choses. Mais cela allait-il seulement pouvoir lui permettre de retrouver la jeune femme dans toute cette agitation? Pour le moment, elle ne comprenait toujours pas cette femme. Elle avait tellement de secrets en elle. Elle cachait ce qu'elle était et ce qu'elle savait. Si cela se trouvait, elle savait peut-être déjà où se trouvait Christie et ce qu'elle était entrain de subir. Et cette pensée suffisait à la mettre dans une rage folle contre cette femme.

Puis dans l'absolu, elle se fichait bien de ce que Salvinah pouvait faire ou penser. Elle n'était pas importante pour elle. Elle n'avait été qu'un moyen pour elle d'atteindre la ville qu'elle voulait atteindre. Maintenant, elle y était. Elle se rapprochait encore un peu plus de sa sœur. Christie était la seule chose importante à ses yeux: la retrouver et la sauver de ce monde de barbares. Finalement, la ramener dans les montagnes, comme ses parents auraient tellement voulu qu'elle le fasse en leur souvenir.

Levah prit une longue inspiration, caressa rapidement la joue du renard blanc et se mit en route, se mettant à zigzaguer parmi la foule tellement dense en essayant d'aller le plus droit possible. Les gens ne se retournaient pas sur leur chemin afin de regarder les autres personnes qui passaient, bien trop absorbés par leur propre vie. Parfois, ils pestaient contre la présence de l'arc de la jeune femme, mais sans jamais la regarder. Ils semblaient avoir tellement de choses importantes à faire. Ils semblaient juste absorbés par le fait de simplement survivre une journée de plus au milieu de cet enfer.

Car tous les gens qu'elle croisait semblaient vivre dans une misère qui la dépassait personnellement. Ici, les traits étaient tirés. Les joues étaient creuses. Les cernes étaient profondes. Les visages étaient émaciés. Les corps étaient maigres et recourbés vers le sol. Ces gens faisaient de la peine: ils semblaient tristes, faibles et malades, constamment en colère et frustrés par les charges de travail qu'ils semblaient avoir à faire tout au long de la journée. Ici, les pas étaient lourds. Les vêtements étaient sales et en mauvais état. Rien ne semblait bien aller à l'intérieur de cette ville, même si chacun essayait de préserver les apparences. Ceux qui savaient observer pouvait rapidement le remarquer.

La vie de Levah avait toujours été une vie de labeur, compliquée et difficile. Mais elle avait toujours été libre. Elle avait toujours mangé à sa faim. Elle avait toujours eu des habits en bon état et un toit sur la tête. Ces gens-là ne semblaient pas avoir cette chance. Ils semblaient las, en perte de sens, ne semblant pas comprendre pourquoi ils faisaient les choses qu'ils faisaient. Ils semblaient travailler sans voir leurs conditions de vie s'améliorer. Ils semblaient travailler sans pouvoir être libres. Ils n'étaient pas des esclaves, mais ils n'en étaient pas loin. Quelle vie misérable pouvaient donc avoir toutes ces personnes dans cette ville! Quelle vie de souffrances devait être la vie de toutes ces personnes!

Au fur et à mesure qu'elle avançait en direction du centre de la ville, Levah voyait les bâtiments des précurseurs autour d'elle devenaient de plus en plus denses et de plus en plus hauts. Les étages se comptaient en plusieurs dizaines, mais la moitié seulement semblaient habités, les autres étaient en trop mauvais était pour cela. La vision de ces vieux bâtiments de fer, de verre et de béton, éventrés de part et d'autres des étages, lui faisait un drôle d'impression: ça la mettait mal-à-l'aise. Elle avait entendu parler de la dernière guerre des précurseurs de la fin de leur monde. Mais jusqu'à maintenant, elle ne s'était pas rendu compte de toutes les violences qu'elle avait engendrées avec elle.

En bas de ces immeubles, au bord de cette avenue ensablée, les étalages avaient laissé place à des sortes de commerce qui se trouvaient aurez-de-chaussée des immeubles, des commerces de nourriture, de vêtements, de meubles... Ils étaient en très grand nombre. Ils longeaient l'avenue quasiment sans s'arrêter. Elle se demandait quels gens, dans cette ville, pouvaient bien acheter toutes ces choses tellement chères. Les gens semblaient tellement misérables que ça lui paraissait étonnant. Se pouvait-il qu'il puisse exister des gens plus favorisés dans cette ville? Elle ne pouvait pas en douter lorsqu'elle voyait tous ces magasins qui ne semblaient pas être faits pour la majorité de la population.

L'oeil de la jeune femme fut alors attiré par un bâtiment plus impressionnant et plus ancien que les autres, bien que moins haut: celui-ci ne semblait n'avoir que quatre ou cinq étages. Fait tout de pierres taillées, il était large et profond, quasiment entièrement blanc. Le toit était noir et en forme de pyramide. Devant les immenses portes d'entrée, se trouvaient des escaliers immenses en pierres blanches et de grandes colonnes arrondies toutes aussi blanches. Des statues étaient gravées sur l'ensemble de ces murs, représentant des personnages qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne devinait pas.

À l'intérieur, des chants semblaient s'élever de manière très profonde et très puissante. Ça avait quelque chose de magnifique et d'inquiétant dans le même temps. Elle ne savait pas ce que faisaient les gens qui étaient à l'intérieur de ce bâtiment, mais ça semblait très important pour eux. Sa mère lui avait déjà parlé de gens qui croyaient en un Dieu caché dans le ciel et qui le priaient sans cesse. Elle trouvait cela grotesque et n'arrivait pas à comprendre ce genre de croyances qui lui semblaient étranges.


Elle, comme toute sa famille, croyait aux êtres qui vivaient sous la terre et les appelait à l'aide sans cesse.

Les Mondes Séparés: La ChasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant