Le tunnel

30 4 0
                                    

Levah s'enfonça dans le tunnel sous la muraille, suivant Rayak et sa torche qui les éclairait tous, sentant la respiration faible de Salvinah dans son dos. Ils y étaient! En une journée, ces hommes nomades avaient réussi à rassembler tous les éléments dont ils avaient besoin, après avoir copieusement mangé la viande des cerfs que la jeune femme avait réussi à abattre. En une journée, ils avaient réussi à rassembler assez d'armes pour équiper les vingt soldats qui leur restaient: deux arcs et une dizaine d'épées, ainsi que quelques haches et quelques dagues. Ils n'avaient pas trouvé les meilleures armes, ni les plus aiguisées, mais c'était largement suffisant pour ce qu'ils avaient l'intention de faire. Elle savait que ce n'était pas beaucoup, mais elle savait aussi que c'était mieux que rien...

En une journée, ils avaient réussi à entrer en contact avec les opposants aux hommes en noir à l'intérieur de la ville. Ceux-ci avaient répondu très rapidement à leur prise de contact et avaient accepté de leur venir en aide pour l'accomplissement de leur plan. Ils leur avaient alors appris qu'une grande partie des opposants avaient été arrêtés et emprisonnés par les hommes en noir, et qu'ils étaient certainement en train d'être torturés par ces derniers. À présent, il ne leur restait que peu d'hommes. Et, ils devaient faire attention à ne pas mettre en danger leur organisation naissante. Dans ces conditions, ils n'avaient pu mettre en place qu'une équipe d'une dizaine de personnes pur leur venir en aide et pour combattre à leur côtés contre les hommes en noir, durant cette trop longue soirée.

Rayak avait été furieux en apprenant cela, répétant plusieurs fois qu'ils ne pouvaient pas faire autre chose que quelque chose de mauvais avec de si maigres moyens et qu'ils pouvaient très bien se faire assassiner par les hommes en noir, les annihilateurs comme ils le disaient. Mais, Levah n'était pas vraiment d'accord avec tout cela: si les hommes en noir étaient vraiment une cinquantaine, comme le pensaient les nomades, et qu'ils étaient une trentaine de combattants, ils avaient largement les moyens de combattre et de vaincre ces monstres. Ils devaient juste se faire confiance et agir le plus rapidement possible. Le nombre n'était pas si important que cela quand on était sûr d'avoir une bonne stratégie et quand on avait toute la détermination qu'il fallait pour continuer d'avancer, coûte que coûte.

Tandis qu'ils s'avançaient rapidement dans le tunnel, dehors, la lumière du soleil devait commencer à décliner et à laisser place aux ombres de la nuit. Ils avaient prévu de se retrouver à l'auberge aux derniers instants du crépuscule afin de pouvoir attaquer les hommes en noir dès le début de l'obscurité. Le crépuscule était le moment de la journée où les hommes en noir étaient le plus vulnérables, à cause des prises de gardes, d'après ce qu'avait dit Avok. C'était à ce moment-là qu'ils pouvaient le plus facilement les surprendre et prendre rapidement le dessus sur eux. Leur but principal était de mener cette bataille le mieux possible, de le faire le plus rapidement possible aussi.

Et, attaquer au début de la nuit était ce que voulait Levah. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle était persuadée que c'était la meilleure chose à faire, comme une évidence qui résonnait en elle, dans son cœur et dans son esprit. Elle voulait faire les choses comme cela. Après-tout, sans elle, ces hommes n'auraient même pas pensé à se battre contre les hommes en noir. Alors, ils devaient apprendre à faire les choses à sa manière. Elle savait ce qu'elle devait faire. Elle savait comment elle devait combattre. Et, elle savait qu'elle avait le soutien total de Salvinah et que cette dernière avait décidé de ne suivre qu'elle. Alors, attaquer à cette heure de la nuit était la chose qu'elle devait faire de toute évidence.

_Nous n'allons pas tarder à arriver à l'échelle menant à l'auberge, murmura Rayak en direction de la jeune femme. Tiens-toi prête à toutes les éventualités. Cet homme nous aide, mais ça ne veut pas dire que j'ai vraiment confiance en lui... Elle ne savait pas ce qu'elle devait penser de ce qu'il venait de dire. À quoi s'attendait-il de la part de l'aubergiste? S'attendait-il à ce qu'il s'attaque au groupe lui-même? Elle ne croyait pas que cet aubergiste soit assez stupide pour s'attaquer à un groupe formé de vingt soldats à lui tout seul. Elle ne croyait pas du tout à cette éventualité.

Par contre, il y avait le risque qu'un des personnes avec qui ils avaient préparé cette attaque les ait trahi et ait décidé de tout raconter de leur plan aux hommes en noir. Ils ne pouvaient pas l'exclure. Elle le savait. Elle l'avait déjà envisagé des dizaines de fois. Elle s'y était préparée. Elle ne connaissait aucune des personnes avec qui elle était contrainte de travailler. Forcément, elle n'avait aucune confiance en aucune de ces personnes. Elle, elle était prête à devoir se battre seule contre tous. Elle n'avait pas peur de cela. Elle était partie seule avec l'idée de rester seule. Elle n'avait pas besoin de faire confiance en qui que ce soit dans ce monde, ni aujourd'hui, ni pour le restant de ses jours.

Et, elle ne comprenait même pas comment ces hommes pouvaient encore s'étonner de ne pas pouvoir faire confiance aux personnes qui se trouvaient de l'autre côté des murailles de la ville, à l'intérieur. Il ne fallait pas réfléchir très longtemps pour comprendre ce qu'il s'était réellement passé dans cette ville: les hommes en noir n'avaient pas pu prendre le contrôle de cette ville tous seuls, qu'à une cinquantaine d'hommes. Ils avaient certainement eu de l'aide de l'intérieur de la ville, des sortes de partisans de l'ordre qu'ils voulaient mettre en place, des gens qui n'avaient pas hésité à trahir leurs voisins pour cela. Il était évident que ces gens étaient des gens dont ils devaient se méfier, jusqu'à preuve du contraire.

Et, s'ils ne voulaient pas encore croire que certains habitants de cette ville les avaient trahi, voire même quasiment tous, ils n'avaient qu'à penser à la manière dont ils avaient été traités: ils avaient été chassés de leurs maisons et chassés de leur ville sans que personne ne se révolte et sans que personne ne fasse quoi que ce soit pour les protéger. Cela faisait plus d'un mois qu'ils mouraient de faim et de maladie aux abords des murailles et personne ne venait les aider, mis-à-part quelques opposants. Cela ne la concernait pas, mais la confiance ne faisait plus partie de leur monde, comme elle ne faisait plus partie du sien. Ils devaient juste l'accepter et apprendre à faire avec, ou plutôt sans.


Rayak s'arrêta brusquement, forçant la jeune femme à en faire de même juste à temps pour ne pas le percuter. Devant eux, à un mètre à peine, se trouvait une échelle qui montait en une parfaite verticale vers le dehors. Ce devait être l'entrée de l'auberge dont ils parlaient tous sans cesse, une entrée qui donnait dans la cave de celle-ci, de ce qu'ils avaient dit. Ils y étaient! La bataille allait sans doute bientôt commencer. Elle sentait qu'ils n'en avaient plus que pour quelques minutes encore.

Les Mondes Séparés: La ChasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant