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- Baba, mais maman peut nous entendre ? Me dit Hind.

- Seul Allah sait. Lui répondis-je.

Pour la première fois, j'emmène les enfants devant la tombe de leur mère. Ils ont tous les deux cinq ans, ça fait quatre ans que Syhem est morte. Quatre ans et je n'ai toujours pas oublié.

Je les tiens tous les deux par la main et on rentre à l'intérieur. Mes mains commencent à trembler, Hind l'attrape fermement et m'embrasse dessus.

- N'aie pas peur, baba. Me dit-elle en souriant. Maman sera contente de nous voir.

Je lâche un petit sourire triste. On arrive enfin devant sa tombe. Je me baisse et pose ma main sur la terre.

- Tu m'as manqué, mon coeur. Dis-je faiblement. J'ai ramené les enfants avec moi. 

- Maman... Dit Hind, les larmes aux yeux, elle tourne sa tête vers moi. Elle était belle ma maman ?

- C'était la plus belle femme que j'ai vu de ma vie. Dis-je en souriant tristement.

- Maman, tu sais, aujourd'hui, j'ai appris trois sourates ! Je vais finir le Coran comme toi. Dit Rehan.

- Maman, tu es fière de nous ? Demande Hind.

Je prends mes enfants dans mes bras.

- Elle est très fière de vous deux. Elle vous aime très très fort. Leur dis-je.

Ils se mettent à sourire.

- Baba, comment maman est partit ? Elle a eu mal ? Me demandent-ils.

- SYHEM ! RECULE SYHEM ! Criais-je.

Elle tourne sa tête vers moi puis reste à me regarder.

L'homme charge son arme puis... Je me mets à courir.

- SYHEM ! Criais-je.

Je ferme les yeux, mes larmes commencent à couler. Son regard, ce jour-là, reste gravé dans ma mémoire.

- Baba... pleures pas. Me dit-elle. Je suis là avec Rehan, on te laissera jamais tout seul !

Elle me prend dans ses bras puis je la serre contre moi et Rehan nous rejoins.

- Allez, on doit rentrer à la maison. Leur dis-je.

- Non ! Attends quelques minutes, baba. Me disent-ils.

Je hoche la tête puis il s'approche de plus en plus de la tombe.

- Mama, si tu m'entends sache que je t'aime beaucoup beaucoup ! Tu es la meilleure maman au monde ! On se verra au Paradis in shaa Allah (si Allah le veut), d'accord ? Dit-elle en souriant.

- Oui, maman ! Et on récitera le Coran. Dit Rehan. On doit partir, ne sois pas triste, maman. On reviendra.

Je les prends alors par la main et on sort du cimetière, direction la maison. On arrive devant l'appartement, je cherche la clé puis ouvre.

J'ai la grande surprise de voir Suhayl, Mina et les policiers avec eux. Je fronce les sourcils ne comprenant rien à la situation.

- Ils veulent t'emmener... Shehab a balancé ce que tu faisais en Syrie. Me dit Suhayl.

Les policiers viennent vers moi et me menotte. Les enfants pleurent.

- Ne vous inquiétez pas les enfants, écoutez tonton Suhayl et tata Mina. D'accord ? Rehan, protège ta soeur. Leur dis-je.

Ils m'attrapent les jambes en pleurant mais Suhayl et Mina viennent les attraper. Les policiers tentent de les calmer avant de m'embarquer. Je les laisse faire sans broncher, il fallait qu'un jour, toutes ces personnes que j'ai tué, aient justice.

Je vais sûrement revoir Shehab. Je ne l'espère pas. Le diable pourrait me jouer des tours et sous un excès de colère, je pourrais ne plus me contrôler.

Ces quatre années où j'ai vu mon beau-frère tomber en dépression sans que je ne puisse rien faire, où j'ai vu la meilleure amie et sœur de ma femme cloîtrée dans sa chambre, sans rien manger et boire. Et finalement, mon père ne supportant plus notre malheur, retourne en Turquie. Tout ça, c'était de sa faute. Et ça l'est toujours. J'ai dû être le fort, garder ce que j'ai en moi et supporter.

On m'emmène dans une chambre pour me questionner. Je m'assois alors, en attendant que le policier arrive.

- Emin Şahin, connu sous le nom d'Abû Anis, tu as quitté la France en fin 2013, début 2014 et tu as été le bras droit de Abu Bakr Al Baghdadi. Tu le reconnais ? Me demande-t-il.

- Je le reconnais. Lui dis-je.

- Tu es venu vivre, il y a plus de quatre ans, à Médine. Tu t'es repentie. Demande-t-il.

- Oui. Répondis-je.

- Emin, puisque tu t'es repentie, nous ne sommes pas tes ennemis. Tu peux me dire ce qui t'as donné envie de partir puis de revenir, ça peut être important pour nous.

- Il y a eu cette femme que j'avais répudié d'un autre homme. Je l'ai voulu par la suite mais elle s'est mariée avec Shehab. Le détenu d'ici. Ils vivaient bien tous les deux même si mon envie d'avoir cette femme augmentait. Avant que je parte en France, elle était restée chez moi pendant un mois. Puis quand je suis partis, Shehab la frappait, maltraitait, violait. Elle était d'ailleurs enceinte de lui mais le jour où je suis revenu ses bébés étaient morts. Ce qui a énervé Shehab et qui l'a conduit à la frapper jusqu'à la faire saigner et jusqu'à la rendre inconsciente.

Je suis venu pil au bon moment avant qu'elle ne meurt puis son frère et sa meilleure amie sont venus aussi et m'ont aidés. Elle et moi, on a arrêté de se parler pendant plusieurs jours jusqu'à qu'elle s'enfuit à Alep. Je l'ai bien sûr suivi et c'est là qu'on a su que ce que chacun ressent pour l'autre est réciproque. Elle a été la cause de mon éloignement de cette voie. Elle m'a poussée à m'éloigner de Daesh et d'apprendre réellement la  religion d'Allah.

Je me retiens de pleurer devant le policier. Me souvenir d'elle me fait mal, ça me rappelle que je ne peux ni la voir ni la toucher. Ni même entendre sa voix. Juste l'entendre et ça, ça me rend fou.

- C'est ta défunte épouse ? Me demande-t-il.

- ... C'est elle. Dis-je en baissant la tête.

- Si elle t'aurait demandée de délaisser la religion, d'abandonner Allah, tu l'aurais tout de même fait ? Demande-t-il.

- Non. Tout sauf ça. Mais par contre, je l'ai écoutée. Ce que je n'aurais fais avec personne d'autre. Lui dis-je.

- Mais dès que tu as connu ta femme, tu t'es rendu compte de ton égarement ? Me demande-t-il.

- Non. C'est venue progressivement. Au début, je voulais qu'elle soit ma femme pour qu'elle fasse mes héritiers. Comme tout homme en Syrie. Puis petit à petit, je m'éloignais de ce qu'ils faisaient. C'est ce qu'ils appellent baisse de foi. Je me suis totalement remis en question après être revenue de Paris. Expliquais-je.

- Mmh... tu n'as pas repensé à ta marier après ? Demande-t-il.

Me remarier ?

- Si Allah nous a destiné le Paradis, je veux finir avec elle. La mort nous a séparé ici-bas mais je ne laisserais jamais une autre femme entrer dans ma vie. Dis-je.

Il reste silencieux quelques secondes avant de se lever et parler à son collègue;

- On t'emmène dans ta cellule jusqu'au jugement. Me préviennent-ils.

Je hoche la tête puis finis par rentrer dans ma cellule.

La Belle et le DjîhādîsteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant