Chapitre 1 (1)

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Horswentia 4E501


Les oiseaux chantaient gaiement. Le vent soufflait entre les branches des arbres. L'herbe caressait timidement ses bras nus. Des pas discrets s'arrêtèrent à une distance raisonnable de la jeune femme couchée par terre avant de s'éloigner précipitamment lorsqu'elle tenta de faire un mouvement.

Un gémissement s'échappa d'entre ses lèvres. L'air frais s'engouffra dans ses vêtements amples, vagabonda dans ses cheveux châtains étalés sur l'herbe verte qui l'entourait. Elle frissonna, grommela une nouvelle fois et se recroquevilla sur elle-même.

- Pourquoi il fait aussi froid ? grogna-t-elle. Maman, referme les fenêtres, s'il te plaît... Et rends-moi ma couverture aussi...

Bien qu'elle ait à peine murmuré, l'écho qui lui revint en pleine figure lui donna l'impression qu'elle venait de hurler. Surprise, elle ouvrit les yeux en grand. Un grand ciel bleu dépourvu de nuage s'offrit à elle, lui coupant le souffle. Le soleil chauffait la peau de ses bras nus, lui déclenchant une nouvelle vague de chair de poule. La jeune femme avala sa salive de travers et se redressa rapidement, les mains sur les côtes.

Elle fronça les sourcils et se palpa chaque parcelle de peau qui rencontrait ses doigts. Elle était sûre et certaine que son corps aurait dû crier de douleur, la faire bondir quand elle touchait certains endroits ou encore gémir quand ses nerfs étaient trop à vif.

Son regard se perdit dans le vide, fixant ce qui se trouvait devant elle sans l'analyser. Un piaillement la sortit de ses réflexions. Elle cligna des paupières et, d'un bond, se remit sur ses pieds. Ses mâchoires se serrèrent sans qu'elle ne puisse le contrôler, comme si son corps était encore convaincu qu'en faisant ce mouvement, elle allait souffrir le martyre...

La luminosité baissa d'un coup, la forçant à relever la tête pour observer le ciel. Des nuages voilaient le soleil. Elle était dehors... alors qu'elle était censée être chez elle. Interloquée, la jeune femme balaya du regard les environs. Sa bouche s'ouvrit jusqu'à toucher le sol. Ses yeux sortirent de leurs orbites. Elle se trouvait au centre d'une vaste clairière. La lisière de la forêt était à quelques mètres d'elle et de gigantesques arbres aux feuilles aussi grandes que sa tête délimitaient l'espace d'herbes folles dans lequel elle se trouvait.

- Je suis où là ?

Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Elle ne reconnaissait pas l'endroit où elle se trouvait... et son subconscient lui hurlait qu'elle n'aurait pas dû être ici. Sa respiration accélérait tandis que l'angoisse lui serrait les tripes. La jeune femme se força à retrouver son sang-froid grâce à des exercices de respiration, puis s'avança dans la clairière, à la recherche d'un panneau qui pourrait lui indiquer l'endroit où elle se trouvait.

D'un pas vif malgré ses appréhensions, la brune s'enfonça dans la forêt, sur le chemin qui lui tendait les bras. La luminosité décrut. Les immenses feuilles des arbres aspiraient tous les rayons de l'astre solaire avant qu'ils n'atteignent le sol. Quelques plantes se trouvaient à leurs pieds et se permettaient, pour certaines, d'escalader leurs troncs à la recherche de soleil pour se développer.

Les oiseaux se taisaient sur son passage et l'observaient d'un œil curieux. La jeune femme s'arrêta quelques instants pour les fixer. Elle avait l'impression qu'ils savaient dans quelle situation elle était tant leurs regards semblaient intelligents...

- Bonjour, tenta-t-elle d'une voix douce et calme pour ne pas les apeurer. Savez-vous où je me trouve ?

Seul le silence lui répondit.

Évidemment, pensa-t-elle, les animaux ne parlent pas... Je regarde trop de films !

Les trois êtres continuèrent de se regarder, comme prisonniers d'une bulle qui déformait l'espace-temps. La brune ne voyait plus qu'eux, leurs plumages noirs comme la nuit, leurs becs osseux déformés, leurs yeux globuleux, mais à l'air si intelligent... Ils ressemblaient à des corbeaux, mais avaient la taille de condors.

Les oiseaux brisèrent finalement le contact visuel, se regardèrent longuement et prirent leur envol. Leurs ailes sinistres, aux plumes titanesques, les portèrent sur l'air alors qu'ils prenaient de la hauteur pour finalement disparaître entre les branches des arbres.

Elle resta quelques instants supplémentaires à regarder leurs silhouettes s'éloigner, puis, quand elles eurent disparu, elle reprit sa progression sur le sentier, de plus en plus flou, sur lequel elle marchait depuis de longues minutes... ou de longues heures. Elle avait perdu le compte à cause de la basse luminosité qui régnait dans cette forêt aux allures fantastiques. Les troncs des arbres étaient épais comme les colonnes des temples grecs qu'elle avait pu voir en photo dans les livres. Leurs branches frôlaient un diamètre qui aurait pu être celui d'un très vieil arbre là où elle vivait. Et les feuilles qui les habillaient... elle n'en avait jamais vu de semblables. À croire que tout dans cette forêt était démesurément grand !

Cette feuille fait deux fois la taille de mon visage ! constat-elle quand elle fut tout près de l'un des arbres. À quelle espèce ces arbres appartiennent-ils ? Pourquoi je n'en ai jamais entendu parler aux infos ?

De ses mains tremblantes, Margot l'attrapa sans la décrocher de la branche qui la maintenait en l'air. Avec admiration et curiosité, elle laissa ses doigts courir dessus.

On dirait du velours... Avec des nervures. C'est vraiment étrange... fascinant !

Une éclat lumineux attira son attention et la brune relâcha la feuille qu'elle caressait. Elle s'en détourna et se concentra sur celles d'un petit arbre buissonnant aux larges feuilles en coupole renversée. Plusieurs contenaient de l'eau. La jeune femme sourit face à cet étrange spectacle.

- La nature fait de drôles de choses...

Elle se pencha pour regarder plus attentivement l'eau qui tremblotait en rythme avec les discrets mouvements de son contenant. Elle fit face à une jeune femme au visage pâle, presque blême, et aux cheveux collés contre ses tempes. Des cernes de cent kilomètres de longs dessinaient des ombres noirâtres sous ses yeux fatigués.

- J'ai pas bonne mine, souffla-t-elle, un sourire mi-figue mi-raisin plaqué sur son visage contusionné.

Curieuse, elle changea de feuille pour voir si chacune lui renvoyait un reflet aussi pitoyable. À son grand désarroi, sa figure épuisée apparaissait à chaque fois... Elle espérait secrètement que ces miroirs d'eau se trompaient et ne lui offraient pas la bonne image. Mais elle devait se faire à l'évidence : les miroirs, qu'ils soient naturels ou artificiels, renvoyaient avec plus ou moins d'exactitude ce qui se présentait devant eux. Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre son chemin, un détail l'interpella. Elle se pencha entre les branches du petit buisson et hoqueta. Une roue en bois et aux rayons brisés se trouvait aux pieds de l'arbuste. Elle ferma les yeux, terrifiée par les souvenirs qui lui revenaient et par toutes les sensations qui la prenaient soudainement à la gorge.

HorswentiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant