Horswentia

Chapitre 9 (2)

Kunsumid se tut pendant quelques instants, haletante. Des larmes glissaient sur ses écailles dorées et ses yeux exprimaient toute la douleur qui remontait alors qu'elle lui racontait les souvenirs que le chef des dragons de la Lumière avait partagé avec ses descendants. Alors qu'il s'apprêtait à lui proposer d'arrêter tout si c'était trop douloureux, elle grogna et reprit.

- Quand la déflagration prit fin, les premiers dragons des Sages étaient si blessés qu'ils sont retournés d'eux-mêmes dans la grotte qui leur était dédiée. Laatonikov et tous les dragons des Ténèbres avaient disparu. Il y avait un cratère dans le sol : la Sage des Ténèbres ne visait pas ses anciens compagnons d'arme. Elle voulait juste créer une diversion pour mettre les Dragons en sécurité et disparaître pendant quelques temps aux yeux des Sages. Elle savait parfaitement que ses dragons préviendraient ceux des autres Sages, elle a donc utilisé l'une des attaques les plus puissantes qu'elle connaissait : la déflagration du dragon. Une attaque mise au point et transmise par Alduin avant qu'il ne soit influencé par les Prêtres-Dragons et qu'il ne dévie du Thu'um. Cet évènement a marqué la fin de l'extermination des Dragons : il n'y en avait plus aucun qui circulaient sur Horswentia et Laatonikov était introuvable.

Kunsumid avait retrouvé contenance et ses yeux bordeaux étaient rivés sur ceux noirs d'Ordy.

- C'est ce qui marqua la fin de la Deuxième époque. Ce n'est que cinquante ans plus tard, en 3E50 que Laatonikov réapparut devant les Sages. Elle se rendit et fut exécutée par Srenta Ie sur la place publique. Elle avait beaucoup maigri sans que personne ne sache pourquoi. À présent c'est plus clair : elle avait pondu.

Fatiguée par ce récit, la dragonne resserra ses anneaux autour du Sage de la Lumière sans s'en rendre compte, comme si elle s'agrippait à une bouée pour ne pas couler, pour ne pas sombrer dans l'obscurité qui l'attendait.

- Tu dois certainement te demander pourquoi personne ne s'est opposé à son exécution, n'est-ce pas ?

Ordy hocha la tête, mais ne décrocha pas un mot : il ne voulait pas la couper dans son récit, de peur qu'elle décide de s'arrêter.

- En cinquante ans, les Sages et les Anges ont eu le temps de remanier l'Histoire. À présent qu'Alduin était mort et qu'aucun Dragon ne menaçait ouvertement Horswentia comme l'avait fait le tyrannique, comment allaient-ils expliquer l'exécution de masse qu'ils avaient fait ? Les Anges ont proposé de mentir sur Laatonikov : prise de regrets, elle aurait commencé à comploter avec les Dragons pour ramener son compagnon de l'Ether. Mais les Sages refusèrent : ils avaient beaucoup trop d'estime pour la Dragonne malgré les différents qui les séparaient. Ainsi, ils décidèrent de dire à tous que les Dragons, dont Laatonikov faisait également partie, étaient beaucoup trop puissants par rapport à eux et qu'il y avait un risque pour qu'un nouvel Alduin naissent parmi eux et sème le chaos comme l'avait fait le premier Dragon. Comme ils avaient beaucoup, beaucoup d'influence sur le peuple - encore plus que tous ceux des générations suivantes réunis -, ce dernier les crut et accepta sans broncher l'extermination des Dragons qui avait eu lieu et l'exécution de Laatonikov cinquante ans plus tard.

Un silence de plomb tomba dans la chambre d'Ordy. Il était abasourdi d'apprendre que ses prédécesseurs avaient à ce point profiter de leur position pour manipuler l'Histoire et la vérité. Il ne savait plus quoi penser...

- Les Dragons existent toujours, murmura Kunsumid en frottant délicatement son énorme tête contre la joue du Sage de la Lumière. Tout n'est pas que tout blanc ou tout noir : il y en aura qui seront prêts à venir nous prêter main forte lors de la bataille finale, comme il y en aura qui ne voudront pas quitter leur havre de paix après ce que les Sages leur ont fait. Et c'est compréhensible : les Dragons sont des êtres fiers et rancuniers. Moi-même je ne voudrais pas renforcer les rangs des personnes qui ont décimé les miens.