Horswentia

Chapitre 13 (2)

- Bien, déclara la secrétaire en se rasseyant à son bureau. Nous allons remplir quelques démarches administratives pour faire votre dossier. Comme c'est Messire Ordy qui subvient à vos frais de scolarité, vous devrez vous adresser à lui pour tout ce qui est stage, mission et requête.

Margot cligna des yeux. Heureusement que Nikka lui avait expliqué le fonctionnement de Horswentia, sinon elle n'aurait rien compris au charabia de cette secrétaire aux cheveux neige tirés en arrière, aux lunettes en demi-lunes et aux sourcils tellement épilés qu'il n'en restait plus qu'une ligne grise discrète. Elle enchaînait ses phrases tellement vite que la jeune femme cessa d'écouter au bout d'une minute. Elle lirait les règles avant d'aller se coucher. Écouter quelqu'un les lui marmonner sans avoir le texte sous les yeux, très peu pour elle. Elle était sûre à cent pourcent de n'en retenir aucune de cette manière.

- Vous avez compris ? demanda la secrétaire après son long, très long monologue.

- Oui, madame...

- Ginette, la coupa-t-elle.

- Pardon ?

- Appelez-moi Ginette. Tout le monde m'appelle Ginette dans cette école. Pas de madame. Juste Ginette.

Margot surprit un sourire fugace sur le visage de la vieille femme, la rendant tout d'un coup plus sympathique. Mais ce fut si rapide qu'elle crut l'avoir imaginé.

- Voici le document que vous devez remplir.

Elle lui tendit une tonne de feuilles que Margot s'empressa d'attraper.

- Mettez-vous dans ce coin. Voici de quoi écrire. Allez ! Hop, hop, hop !

Ginette la poussa sans ménagement vers un bureau isolé et dépourvu de toute décoration. Margot fixait la pile de documents qu'elle tenait entre les bras pour éviter qu'elle ne s'effondre.

Les mains de la secrétaire la lâchèrent et ses pas résonnèrent dans son dos. La cloche sonna une nouvelle fois et Ginette s'empressa de quitter son bureau. La porte claqua derrière elle et une clef tourna dans la serrure.

Sérieusement ? hallucina Margot en papillonnant des paupières. Elle m'a vraiment enfermée ?

Après quelques secondes, elle déposa la pile immense sur le bureau qui était le sien le temps qu'elle termine son inscription et se dirigea vers la porte.

- Veuillez retourner remplir vos documents, jeune fille !

Margot sursauta. D'où provenait cette voix ? Elle tourna sur elle-même jusqu'à en trouver l'origine. C'était un perroquet qui battait furieusement des ailes dans sa volière. Comment avait-elle fait pour ne pas s'apercevoir que ce volatile aux plumes écarlates se trouvait aussi dans le bureau ?

- Veuillez retourner remplir vos documents, jeune fille !

L'oiseau s'agitait de plus en plus alors que la brune restait à le fixer. Après avoir répété encore trois fois la phrase, il s'envola dans sa cage et fonça dans la direction de Margot. Elle ne bougea pas. Rien ne pouvait lui arriver : il était enfermé.

Des serres lui attrapèrent méchamment l'avant-bras et un bruit d'ailes la ramena à la réalité.

- Veuillez retourner remplir vos documents, jeune fille !!

- J'y retourne ! cria Margot pour se faire entendre du perroquet alors qu'il lui déchirait la peau de l'avant-bras dans une vaine tentative pour la ramener au bureau isolé.

Malgré ce qu'elle venait de dire et le fait qu'elle se dirige vers le fameux bureau, le volatile refusait de la lâcher. Malgré son immense respect pour les animaux, Margot le frappa pour le repousser et s'assit à sa place une fois que ses serres cruelles la lâchèrent. Elle soupira en regardant son bras qui la faisait souffrir. Elle espérait que ça ne s'infecterait pas. Elle le fusilla du regard et prit la première feuille qu'elle devait remplir. Mais il n'en avait pas fini avec elle...

- Vous venez de me frapper ! vociféra-t-il en battant frénétiquement des ailes. Méchante fille !

Elle dut se protéger le visage des serres du perroquet alors qu'il s'acharnait à vouloir lui rendre ses coups.

- Marmelade ! tonna une voix outrée depuis l'entrée du bureau. Retourne dans ta cage !

Des pas précipités se dirigèrent vers Margot. Des mains rugueuses la forcèrent à lever le visage. Son regard hagard tomba sur deux billes acier férocement plantées dans un visage plat et ridé.

- Stupide volatile ! siffla Ginette qui se tenait devant la cage du perroquet.

- Stupide toi-même, lui répond-il en lui tournant le dos et en lâchant une crotte qui s'écrasa au sol.

- Tu as mal quelque part ? demanda alors une voix grave et empreinte de sagesse.

- Non, monsieur, souffla Margot, la peur au ventre.

Ses yeux acier examinèrent ses blessures et, après ce qui lui sembla être une éternité, il déclara :

- Tes plaies sont superficielles. Je demanderai à l'une des infirmières de passer pour te soigner plus rapidement.

Elle se contenta de hocher la tête, encore sous le choc de son combat avec le perroquet au plumage écarlate. Le géant resta encore quelques instants à la dévisager comme s'il la dénudait. Margot déglutit, franchement mal à l'aise. Elle détourna les yeux pour les fixer sur la pile de documents.

- Regarde-moi ! cracha-t-il en raffermissant sa prise sur ses joues.

Elle couina et lui obéit à contre-cœur. Les iris de son interlocuteur étaient similaires à une tempête qui n'arrivait pas à se déclencher. Une flamme de colère semblait y danser.

- Comment s'appelle ta mère ?

Sa voix, bien que plus calme, était toujours tonitruante. Margot résista à l'envie de se boucher les oreilles.

- Alice, souffla-t-elle.

Le silence qui suivit sa déclaration était si lourd, si pesant qu'elle eut envie de se défenestrer. Elle avait la folle envie de disparaître pour ne plus jamais réapparaître... et voir ce colosse aux yeux gris.

- Maître Junal III, murmura la secrétaire du bout des lèvres, comme si elle craignait de se faire écraser comme une mouche. Voici la nouvelle étudiante que nous envoie Messire Ordy...

- Il s'appelle Srenta IV, la coupa-t-il d'un regard noir. N'utilise pas ce vulgaire pseudonyme pour le désigner en ma présence !

- Oui Maître Junal III. Je vous disais donc que cette demoiselle était la protégée de Maître Srenta IV. Il serait préférable de ne pas la brutaliser de la sorte...

Le dénommé Junal III renifla avec dédain et lâcha la mâchoire de Margot. Il se détourna d'elle et s'approcha de la porte à pas lourds.

- Il vient à peine de recevoir son poste de Sage de la Lumière que ce jeunot se croit tout permis ! J'espère que la mort l'emportera plus rapidement que son prédécesseur !