Horswentia

Chapitre 28 (2)

Il  fonça vers elle et Margot plaça ses bras devant ses yeux pour se  protéger du choc, mais rien ne vint. Quand elle les baissa, elle  remarqua qu'elle était dans l'antre des dragons des Ténèbres. Les parois  étaient toujours aussi noires que dans ses souvenirs et les améthystes  brillaient du même éclat que lors de sa dernière visite. Elle remarqua  cependant que le sol était recouvert de poussière et non de la même  pierre sombre qui composait les murs.

— Inlokved, appela-t-elle du bout des lèvres. Où sommes-nous ?

— Sur  le terrain d'entraînement de l'antre des dragons des Ténèbres, lui  répondit-il, sa voix résonnant de loin. C'est ici qu'on va passer les  deux prochains jours.

Margot tenta de l'apercevoir, en vain. Les ténèbres étaient trop épaisses et opaques pour ses yeux.

— Qu'allons-nous faire ?

— À présent que tu t'es musclée, que tu connais les bases de la magie et du combat, on va apprendre à combattre ensemble.

— Ce n'est pas déjà le cas ?

— Sais-tu où je me trouve ? lui répondit-il seulement.

— Quelque part dans la pièce...

— Ce  n'est pas assez précis, la coupa-t-il d'un ton sec, presque sévère. Si  tu n'arrives pas à visualiser mon emplacement exact, c'est que notre  lien n'est pas assez fort. Et il en sera de même lorsque tu pactiseras  avec d'autres dragons.

Margot  resta silencieuse quelques instants, ouvrit la bouche pour parler, puis  la referma, incapable de dire quoi que ce soit. À vrai dire, elle  n'avait jamais pensé à se lier avec d'autres dragons des Ténèbres. Pour  elle, le simple fait de pouvoir invoquer Inlokved était déjà un miracle  en soit.

— Tu  sais, retentit la voix de son dragon près de son oreille, tu te  sous-estimes beaucoup. Je peux lire dans ton cœur que tu ne penses pas  être en mesure faire un autre pacte. Et tu as tort. Tu as un sacré  potentiel magique qui sommeil en toi. Il n'appartient qu'à toi de  l'éveiller... ou non.

Margot resta muette, les épaules voûtées et le regard perdu dans le vide. Inlokved grimaça, puis reprit la parole.

— Bon, le but de l'exercice est que tu parviennes à penser, voir, sentir et appréhender ton environnement comme un dragon.

La  jeune femme posa sur lui un regard pitoyable, mais Inlokved y décela  malgré tout une pointe de curiosité. Et il comptait bien jouer  là-dessus.

— Pour cela, je vais me faufiler dans ton esprit.

— Tu vas me contrôler ?

— Au  départ, oui. Il faut bien que tu vois ce que j'attends de toi pour cet  exercice. Ensuite, on recommencera. Plus tu progresseras, moins je serai  présent dans ton esprit. Tu es prête ?

Margot  acquiesça, cherchant des yeux Inlokved dans les ténèbres. Elle ne  craignait plus celles sur Horswentia, mais celles dans lesquelles elle  se trouvait à présent étaient différentes. Presque tangibles. Et cela  lui donnait la chair de poule. Elle avait l'impression qu'un monstre  pouvait l'attraper à tout moment.

— Margot,  souffla Inlokved d'une voix douce. Margot, il n'y a que toi et moi dans  cette salle. Rien ni personne ne se cache dans les ténèbres qui  t'entourent.

La  jeune femme tourna sur elle-même pour tenter de le localiser. En vain.  Elle n'arrivait plus à discerner le haut du bas et la gauche de la  droite.

— Margot, répéta-t-il, plus proche cette fois-ci. Calme-toi. Il n'y a aucun danger dans les ténèbres. Ni pour toi ni pour moi.

Elle  sentit une chaleur rassurante remonter le long de son bras gauche et  s'enrouler autour de son cou. Les écailles de son dragon et sa  respiration lente la rassurèrent instantanément. Elle ne put s'empêcher  de l'attraper et de le serrer dans ses bras aussi fort qu'elle le  pouvait.

— Hem... Pour la deuxième fois, toussota-t-il en lui tapotant la tête, je ne suis pas une peluche.

La  jeune femme se mit alors à sangloter et tomba à genoux dans le sable.  Inlokved leva les yeux aux ciel et pria pour que la première Sage  apparaisse et lui dise quoi faire.

— Hem, reprit-il en voyant qu'il était le seul à pouvoir la consoler. Pourquoi tu pleures ?

— Ça m'a rappelé ce jour-là... hoqueta-t-elle en relâchant sa prise.

— Quel jour ?

— Quand j'ai été transféré à Horswentia...

Inlokved ferma les paupières et devina qu'une bien triste histoire se cachait derrière ses mots.

— Tu veux en parler ? proposa-t-il, partagé entre son devoir de confident et sa curiosité. Ça fait du bien d'extérioriser parfois.

Il  ne savait pas qui il voulait convaincre en rajoutant cela. Lui, qui  voulait creuser plus dans le passé de Margot, ou elle, qui ne semblait  pas encline à lui dévoiler cette partie de sa vie ?

— Si je suis arrivée ici, commença-t-elle après ce qui sembla être une éternité, c'est parce que j'ai eu un accident.

Inlokved  resta silencieux, ne voulant la couper dans son élan, et posa sa tête  sur son torse pour l'encourager à se confier à lui.

— J'étais  avec mon copain et je traversais la route. Une voiture arrivait, mais  elle ne s'est pas arrêtée au feu rouge. Elle m'a percutée, je me suis  écrasée par terre et l'obscurité m'a entourée. Comme maintenant. Je  n'avais plus aucun repère.

Le dragon s'éloigna de Margot et posa ses deux pattes avant sur ses joues.

— Je  n'ai pas compris tout ce que tu m'as dit, mais j'en ai saisi le  principal. Sache que ces ténèbres là ne sont pas les mêmes que celles  que tu as vu quand tu étais en train de mourir dans ton monde.

Il lui essuya les yeux et sécha les larmes qui ruisselaient sur son visage.

— Celles-là  représentent un pouvoir. Celui des dragons des Ténèbres. Celui de  Laatonikov. Le mien... Et le tien aussi. Elles ne te feront jamais de mal,  sauf si tu venais à briser ton serment.

Il posa son museau sur son front et reprit d'un ton qui se voulait rassurant :

— Je  ne sais pas ce qu'on dit sur les Ténèbres dans ton monde, mais sache  qu'ici, elles sont aussi pures que la Lumière, le Feu ou encore l'Eau.  Elles représentent le bien comme le mal. Elles ne sont pas toutes noires  ou toutes blanches, comme se plaisent à le dire certains. Non, elles  sont pleines de nuances de gris.

— Mais c'est effrayant d'être seule dans le noir, souffla Margot, les yeux écarquillés.

— Je suis là, Margot. Je suis à tes côtés. Tu n'es pas seule dans les Ténèbres. Et tu ne le seras jamais.