Horswentia

Chapitre 13 (1)

Déjà vingt jours que Margot marchait aux côtés de Nikka. Déjà vingt jours qu'ils avaient quitté Dist'Chyz après qu'elle ait pris sa décision de suivre l'Elfe à l'Académie. Déjà vingt jours qu'elle traînait sa carcasse fatiguée de ne pas se reposer... Malgré son sommeil sans cauchemar, mais dépourvu de rêve, Margot n'arrivait pas à recharger ses batteries. Elle en ignorait la raison et cela commençait à l'agacer. Elle aurait voulu arriver à l'Académie en pleine possession de ses moyens. Nikka lui avait dit que plusieurs tests l'attendaient avant qu'elle n'intègre définitivement l'école de la Voix... Est-ce qu'elle arriverait à se faire accepter ? Elle, l'humaine, la Mimagi-Konta, qu'est-ce qu'elle pouvait apporter à l'Académie ?

- Nous y voilà ! s'écria soudain son ami.

Margot sortit de ses pensées et l'observa. Il s'était tourné face à elle, les bras grands ouverts pour désigner la ville qui se trouvait au sommet d'une petite colline et un sourire heureux qui étirait son visage aux traits fins.

- Voici Peïny ! Tu vois le grand toit en pointe, celui qui domine tous les autres ?

La brune hocha la tête en suivant le doigt que pointait Nikka vers l'endroit dont il parlait.

- Eh bien c'est l'Académie. Notre voyage arrive à son terme ! Nous allons enfin pouvoir nous reposer !

L'Elfe lui prit la main et l'entraîna dans son sillage. Il devait avoir hâte de retrouver sa vie estudiantine... peut-être même qu'il avait hâte de se débarrasser d'elle !

- On continuera à se voir ? demanda Margot que la séparation avec la seule personne qu'elle connaissait angoissait.

- Pas beaucoup de fois, lui avoua-t-il en tournant sa tête dans sa direction, un air penaud sur le visage.

- Pourquoi ?

Sa voix était inquiète, presque désespérée. Nikka eut l'impression de recevoir un coup au cœur. Il s'arrêta net, lui fit face et lui attrapa ses épaules. Il colla son front contre le sien, plongea son regard océan dans celui ambré de Margot et lui sourit.

- L'Académie est immense et chaque année a un dortoir qui lui est dédié, chuchota-t-il, comme s'il craignait de l'apeurer. On partage les salles de classe, à des heures différentes certes, ainsi que la cafétéria. Donc on essaiera de se croiser au moment des changements de cours ou des repas, d'accord ?

Margot lui sourit timidement et hocha la tête pour acquiescer, son front toujours collé à celui de son ami.

- Bien, allons-y ! Il y a de la paperasse à remplir pour ton entrée à l'Académie.

Une heure plus tard, les deux amis se trouvaient aux portes de Peïny. Ils firent une escale dans une brasserie et commandèrent de quoi manger et boire. Quand il fut treize heures, ils se remirent en route et se dirigèrent d'un pas déterminé vers l'Académie. Malgré l'angoisse qui lui nouait les entrailles, Margot n'avait qu'une envie : entrer dans cette école de magie pour trouver des réponses et retourner chez elle si c'était possible.

Devant les portes de l'Académie, Nikka s'arrêta brusquement et fixa intensément la cour qui se dessinait derrière les murs de l'enceinte. Des gouttes de sueur trempaient son chandail en lin et des mouvements nerveux agitaient ses paupières.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demanda Margot en posant une main qui se voulait réconfortante sur l'avant-bras de son ami.

Le regard qu'il posa sur elle la fit trembler de la tête aux pieds... Elle savait parfaitement qu'il ne lui était pas destiné, mais elle ne pouvait s'empêcher de craindre Nikka lorsqu'il avait cet état d'esprit. Elle déglutit et rompit le contact qu'elle avait instauré.

- On peut revenir une autre fois si tu ne te sens pas bien...

- Non, il faut qu'on y aille. Sinon tu risques de ne pas avoir ta place pour cette année.

Sa voix s'était faite dure. Ses sourcils étaient tellement froncés qu'ils ne formaient plus qu'une barre entourées de rides sévères. Ses yeux bleus étaient aussi noirs qu'une nuit sans lune. Ses lèvres semblaient avoir été avalées par sa bouche et ses mâchoires étaient si serrées que Margot craignit qu'il ne se brise les dents.

Avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit de plus, Nikka se détendit et redevint l'homme qu'elle connaissait depuis maintenant plus de trois mois.

- Allons-y, déclara-t-il, son sourire chaleureux et sa voix bienveillante de retour.

Il la poussa gentiment du plat de la main pour qu'elle avance et rompit tout contact physique avec elle. Il la guida dans les couloirs de l'Académie, lui expliquant à quoi correspondait chaque service devant lesquels ils passaient.

Quand ils arrivèrent au département administratif, une clochette en suspension dans les airs sonna et une femme à l'air coincé déboula d'un bureau isolé, juchée sur de hauts talons.

- Bonjour les enfants, que puis-je pour vous ?

Margot ne put s'empêcher de hausser un sourcil. Ça faisait bien longtemps qu'on ne l'avait plus appelée de cette manière... Au moins de puis le collège. Le sourire accueillant et le regard avenant placardés sur le visage de ridé de la nouvelle venue disparurent lorsqu'elle vit Nikka.

- Monsieur Nikka, déclara-t-elle sèchement. Que puis-je pour vous ?

- Une de mes amies vient s'inscrire pour sa première année.

Ses yeux détaillèrent Margot de haut en bas avec la précision d'un scanner. Ses sourcils se froncèrent lorsque son regard tomba sur la plaque d'onyx qui pendait à la taille de la jeune femme.

- Une protégée de Messire Ordy, je présume ?

Les deux amis hochèrent la tête comme un seul homme.

- Venez par ici, jeune fille. Vous pouvez disposer Monsieur Nikka.

La secrétaire à l'air coincé attrapa férocement le poignet de Margot et l'attira à sa suite. La brune jeta un dernier coup d'œil à son ami, le visage et le regard sans doute désespérés car il haussa les épaules, un sourire désolé qui étirait ses lèvres, pour lui signifier qu'il n'y pouvait plus rien. Elle sentit que la secrétaire la tirait dans son bureau malgré sa résistance, bien faible par rapport à la force insoupçonnée de la femme aux cheveux blancs. La porte se referma et la silhouette de Nikka disparut dans un claquement sonore.