Chapitre 14 (2)

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- C'est top secret ça ! rit-il. Il faut que tu fasses attention : cette question, c'est aussi tabou que de demander son âge à une femme. Si tu ne connais pas bien le Dragon à qui tu t'adresses, tu pourrais finir engloutie ou écrasée en fonction du caractère de celui que tu as en face de toi.

- Pourquoi c'est tabou ?

- Pour la simple et bonne raison que la catégorie dans laquelle se trouve le Dragon en dévoile grandement sur sa personnalité, sa manière de combattre et de réfléchir. Ce n'est pas définitif et seules tes décisions déterminent qui tu es, mais certains Dragons ont un peu trop tendance à croire dur comme fer que le caractère d'un être est défini à la naissance et ne change pas. Sur ce, au travail, Margot !

Margot hocha la tête et partit au centre de l'arène, comme le lui avait indiqué Horte. Ce dernier s'était, quant à lui, mis un peu à l'écart. Il était sur le qui-vive, au cas où il devrait intervenir rapidement.

En lisant les rapports de sa mère, il s'était rendu compte que la première invocation était la plus difficile. Elle demandait énormément d'énergie et de concentration. La marque du premier dragon des Ténèbres allait de la paume de la main jusque sur la moitié de l'avant-bras. C'était l'une des plus imposantes qu'il pouvait y avoir, hormis celle du chef des dragons des Ténèbres qui s'étalait sur tout le dos. Si Margot venait à ne plus avoir suffisamment d'énergie, elle risquait de tomber dans les pommes, ou pire... Si elle n'était pas assez concentrée, les échecs s'enchaîneraient. Elle devait trouver le juste équilibre pour réussir cette première invocation.

Pour Horte, ce n'était que pure théorie : lui-même n'avait jamais invoqué de créatures éthérées. Pas qu'il ne leur faisait pas confiance ou qu'il comptait uniquement sur ses propres pouvoirs. C'était simplement qu'il n'avait jamais ressenti ni l'envie ni le besoin d'avoir recours à cette technique.

- Allez Margot ! s'exclama-t-il en voyant son amie rester immobile. Entaille-toi le pouce avec tes dents et trace une ligne de sang sur les runes draconiques qui sont sur ton bras.

La jeune femme hocha la tête, se mordit le pouce comme elle put pour se faire saigner. En vain.

- J'ai un problème !

- Lequel ?

- J'arrive pas à me faire saigner...

Horte fronça les sourcils et la rejoignit d'un bond. Il lui demanda de recommencer. Il comprit alors pourquoi elle n'y arrivait pas.

- Plaque ton doigts sur une de tes canines, appuie très fort et tire de toutes tes forces. Entraîne-toi juste à faire ça et ensuite on passera à la suite.

Margot hocha la tête, moyennement rassurée. Elle lui obéit tout de même et réussit à s'entailler le pouce après quatre essais.

- La prochaine fois, il faudra que tu y arrives du premier coup, quitte à te mordre le doigt. Maintenant, je vais te montrer le chemin que doit suivre ton pouce pour que ton sang soit placé correctement.

Elle acquiesça et ferma les yeux quand il le lui ordonna. Tous les sens en alerte, Margot fut surprise de la délicatesse avec laquelle le doigt de son ami parcourait sa peau. Des frissons involontaires hérissèrent sa peau là où il la touchait. La sensation était à la fois étrange et agréable. Elle n'avait jamais été si proche de quelqu'un, pas même de Tony...

Tony. Avec tout ce qu'il s'était passé, ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu une pensée pour lui. Est-ce que son cœur s'était fait à l'idée de ne peut-être jamais revoir son petit ami ? Est-ce qu'elle commençait à l'oublier et à se concentrer sur la vie qu'elle menait ici ?

Une larme solitaire roula sur sa joue à cette pensée.

- Je t'ai fait mal ? s'inquiéta instantanément Horte.

Elle secoua la tête et essuya sa joue de sa main libre.

- Tu t'es mis du sang partout, râla le jeune homme.

Elle entendit un froissement de tissu et sentit quelque chose se poser sur son visage. La jeune femme ouvrit grand les yeux et se rendit compte de sa proximité avec Horte. Il lui essuyait d'une main habile le sang qu'elle avait répandu sur sa joue en voulant chasser sa tristesse. Ses sourcils broussailleux étaient froncés et ses yeux noirs étaient concentrés sur ce qu'il nettoyait.

- Je peux le faire, croassa-t-elle, gênée d'être aussi proche de lui.

- Tu n'as pas de quoi te voir. Alors tais-toi et laisse-toi faire.

Margot ne dit plus rien et ferma les yeux. Elle fit abstraction de tous ses ressentis et pria de toutes ses forces pour qu'il termine rapidement de lui essuyer le visage. Même s'il ne la voyait que comme une amie, cette proximité qu'il y avait entre eux à cet instant la gênait. Être aussi proche d'un autre homme alors qu'elle sortait avec Tony...

Mais est-ce que tu es sûre que tu retourneras un jour dans ton monde ?

Les paroles de la petite voix qui était dans sa tête lui transpercèrent le cœur. Elle s'était inscrite à l'Académie pour trouver un moyen de retourner chez elle après tout. Qu'avait-elle appris sur le sujet depuis ? Rien... Pas le moindre indice malgré ses nombreuses excursions dans la bibliothèque de l'école. Pourtant, elle s'était fait la promesse de retourner dans son monde.

Messire Ordy m'a dit que les Dragons pourraient peut-être m'aider. Horte en est un... et je suis sur l'île des Dragons. Mais est-ce que ça ne serait pas déplacé de demander ça alors que Laatonikov s'apprête à faire de moi son héritière spirituelle et que Horte a risqué sa vie pour me sauver des Anges ?

- Horte, finit-elle par dire après avoir inspirer pour se donner du courage, il existe un moyen pour que je retourne chez moi ?

Le jeune homme se figea. Il serra les dents et releva les yeux pour plonger dans les siens, mais il se heurta à la barrière de ses paupières closes.

Alors comme ça, elle veut toujours rentrer chez elle...

- Tu n'es pas bien sur Horswentia ?

- Ce n'est pas chez moi. Tous mes proches sont sur Terre et doivent s'inquiéter. Tu peux répondre à ma question, s'il te plaît ?

Horte repris sa tâche sans lui répondre. Il était blessé qu'elle ne le considère pas comme l'un de ses proches. Il était déçu qu'elle n'ait pas abandonné l'idée de retourner dans son monde. Mais il comprenait : si leurs situations avaient inversées, lui aussi aurait souhaité trouver un moyen pour rentrer chez lui et retrouver ses proches.

- Pour retourner sur Terre, finit-il par déclarer après un long moment. Il faut que tu meurs dans ce monde.

Les paupières de Margot s'ouvrirent d'un coup et ses sourcils bondirent sur son front.

- Mais ce n'est pas un moyen sûr à cent pour cent, ajouta-t-il en s'éloignant et en empochant son mouchoir couvert de sang. Si tu es arrivée à Horswentia, c'est que tu étais dans un piteux état dans ton monde... et aussi que tu as un rôle à jouer ici. Chaque carrefour qui se présente à un être aura des conséquences sur l'avenir. A priori, tu es arrivée à l'un d'eux : apprendre à invoquer Inlokved ou te suicider. Avant de prendre ta décision, sache que si ma mère t'a choisie, ce n'est pas pour rien. Je ne la connais pas, mais l'Ancêtre m'a dit que tous ses choix étaient mûrement réfléchis et que si tu es devenue son héritière spirituelle, ce n'est pas pour rien.

Margot ne répliqua rien, trop choquée par les révélations de Horte. Il savait depuis le début qu'il y avait un moyen pour qu'elle rentre chez elle, mais ne lui avait jamais rien dit... Elle leva la tête vers le ciel et observa les nuages qui défilaient. Un long soupir ébranla son corps.

Si elle se suicidait, elle risquait de ne plus jamais se réveiller. Valait-il mieux vivre loin des siens, sans aucune chance de les revoir, ou mourir pour tenter de les retrouver ? Elle était partagée. Après tout, c'était un accident de la route qui l'avait envoyée sur Horswentia... et son corps sur Terre était sans aucun doute en piteux état, voire pire. Est-ce qu'elle était prête à perdre cette chance unique qu'elle avait ? Celle de vivre une seconde vie dans un monde de fantasy ?

- Horte, finit-elle par dire après une éternité. Continuons l'entraînement, s'il te plaît.

HorswentiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant