Chapitre 1.2, Des rêves de sang

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[...]

 Elle fit signe à ses soldats de relever ceux qui semblaient d'avis à rejoindre son armée, et ordonna que les autres soient parqués comme des bêtes dans les cachots des cryptes – ils seraient sacrifiés prochainement lors des grandes cérémonies qu'elle organiserait. Deux de ses hommes vinrent soulever le cadavre de Hanvild pour l'emmener dans la fosse commune, mais Ambiose les arrêta sous le regard satisfait de sa sœur.

— Celui-ci sera donné aux Sangéravs, emmenez-le sur l'un des balcons supérieurs, qu'ils le voient bien.

Les gardes se concertèrent du regard avant de finalement obéir, emmenant le cadavre à travers le château. Sibille s'approcha d'Ambiose, observant avec sévérité les deux hommes qui s'éloignaient.

— Ils ne semblent pas satisfaits de nos méthodes.

— Ils apprendront, siffla la Carmine. Ou ils mourront.

— Tu es bien la fille de notre père, souffla Ambiose avec un sourire.

La Reine haussa les épaules, offrant à son frère un sourire orgueilleux. Elle était la digne fille de son père, oui, et c'était là l'une de ses plus grandes fiertés. Ses yeux se teintèrent d'excitation tandis qu'elle replongeait son regard en celui de son cher frère.

— J'ai appris que la Reine avait été capturée. Je veux la voir.

— Suis-moi, dit-il.

Il entraîna Sibille à travers la cour, lui fit emprunter un escalier s'enfonçant dans les boyaux de la terre et la mena aux cachots du palais. Une odeur de sang y régnait. De sang et de mort. Les prisonniers étaient pour la plupart estropiés désormais, maltraités et torturés à longueur de journée. C'était là que les plus importants de tous avaient été placés. S'y trouvait, entre autres, un jeune homme des Ramales devant lequel la Reine tint à s'arrêter.

— Sortez-moi de là, souffla-t-il à leur passage, suppliant.

Sibille sourit en s'approchant des barreaux, nouant ses doigts autour de l'un d'eux. Elle se pencha pour être à la hauteur du jeune homme qui était allongé à même le sol, baignant dans le sang et la pisse. Les yeux de la Carmin caressèrent son beau visage, ses yeux d'acier.

— Comment t'appelles-tu, déjà ?

Il ne répondit pas, détournant le regard. Sibille sourit un peu plus, amère. Les idées se bousculaient par dizaines dans son esprit pour le torturer et le faire parler.

— Sadiq, répondit une voix derrière elle.

Elle regarda son frère, qui semblait bien renseigné. Pour que le jeune homme saigne ainsi et qu'Ambiose en sache autant, il avait dû le torturer lui-même.

— C'est un palefrenier.

— Et un ami de mon cher cousin... Il se dit que l'on a retrouvé la trace de cette partie de notre chère famille. J'ai hâte de les voir, eux que je n'ai jamais eu la chance de connaître.

Sibille entendit son frère renifler, amusé, derrière elle. Elle passa ses doigts à travers les barreaux pour caresser le visage du fils des sables mais il fuit son toucher, rampant au fond de la cellule tel un vulgaire rat. Elle rit légèrement.

— Tu ne veux pas que je te touche ? souffla-t-elle, moqueuse.

— Je sais ce que vous faites... Avec votre toucher, je sais...

Sa voix était entrecoupée de gémissements de douleur. Elle inclina la tête, cherchant quelles étaient ses blessures. Elle vit alors qu'il manquait un doigt à sa main gauche. Sibille fronça les sourcils et regarda son frère.

— C'est toi qui lui a fait ça ?

— Il ne voulait pas parler.

La Reine se releva brusquement, le foudroyant du regard. Ses lèvres se pincèrent.

— Ne torture pas ainsi les prisonniers importants sans m'en parler. Si je l'ai lui, je peux trouver Qeder. Et si je peux trouver Qeder, je peux trouver Tahir.

— Excuse-moi, souffla Ambiose en affrontant tant bien que mal le regard de sa sœur.

Elle soupira et balaya d'un geste la conversation. Elle héla un garde qui faisait sa ronde, lui ordonnant de trouver un guérisseur pour administrer du pavot à Sadiq – une fois l'homme d'armes parti, elle reprit sa route à travers les cachots. Le corridor était d'une longueur terrifiante, l'odeur nauséabonde s'expliqua au fil de son cheminement – elle vit des plaies béantes et infectées, le pus qui se mêlait aux divers fluides maculant le sol, et les cadavres de ceux qui n'avaient pu supporter toute cette torture. Et tandis qu'elle approchait de la cellule la plus sombre et la plus humide, un sourire fleurit à nouveau sur ses lèvres comme la rose s'ouvre le printemps venu.

Dans la cellule, elle distinguait une femme recroquevillée, ses longs cheveux blonds masquant son visage, sa riche parure arrachée dévoilant sa peau de lait – et une couronne tombée à ses pieds, couverte de poussière. Sibille ne put réprimer un rire victorieux et elle s'accrocha aux barreaux pour observer la Reine tombée.

La tigresse empestait le foutre, la pisse, la sueur et le sang. Battue, violée, maltraitée toute la nuit durant – voilà donc ce qui restait de la Couronne Iseal ? Le sourire de la Carmine s'élargit encore et encore à mesure qu'elle s'habituait à l'odeur particulièrement écœurante émanant de cette cellule-ci. Elle ne pouvait que se délecter de cette vision – la reine des tigres avait été la seule à se méfier d'elle et, si elle avait eu raison, elle n'avait rien pu faire.

— Bonjour Karona, murmura-t-elle.

— J – je ne suis pas Karona.

Elle vit alors le visage qui se tournait vers elle, et son cœur rata un battement. La poitrine de Sibille commença à se soulever plus rapidement, son souffle se fit plus intense. Elle reconnaissait cette femme. Ce n'était pas la Reine, mais l'une de ses suivantes. Elle se retourna vers Ambiose, les dents serrées, le regard empli d'une haine sans pareil.

— Comment as-tu pu faire une telle erreur ? hurla-t-elle. La Reine, je t'ai demandé la Reine ! Pas l'une de ses chiennes de servantes !

Son cadet fit un pas en arrière tandis que Sibille se redressait pour affronter son regard, folle de rage. S'il était habitué aux colères de sa sœur, elle savait combien celles-ci l'effrayaient. Rien ne l'avait jamais fait reculer face à son fanatisme et son ambition – jamais rien ne la ferait reculer.

— Nous l'avons trouvée dans les appartements de Karona, elle portait sa couronne, ses bijoux, sa robe, je ne pouvais pas deviner !, tenta de se défendre Ambiose.

— Une telle erreur... Envoie autant d'hommes que possible à sa recherche et retrouve la putain de Reine !, beugla Sibille. Retrouve-la !

Face à ses hurlements, son frère inclina la tête, se confondit en excuses, et s'éloigna au pas de course, ses mains tremblant sous une nervosité qu'il ne parvenait pas à contenir. La fureur de sa sœur était terrifiante, elle qui détenait le plus grand des pouvoirs par la bénédiction de Mageia. Et la voix de Sibille s'éleva une fois de plus en une menace qui lui glaça le sang.

— Déçois-moi encore une fois Ambiose, et il en est fini de toi.

Elle entendit ses pas s'éloigner et Sibille soupira. Elle ouvrit la cellule et y entra, saisissant aussitôt la demoiselle par les cheveux pour la traîner derrière elle. La fille hurla, encore et encore, se débattant, jurant qu'elle n'avait pas voulu faire de mal, implorant qu'on lui laisse la vie sauve. Mais la Carmine ignora ses supplications – tous ceux qui suppliaient étaient faibles, et méritaient la mort. Elle la laissa auprès des gardes, ordonnant qu'elle soit préparée pour la cérémonie du soir – elle serait la prochaine sacrifiée, pour le faux espoir dont elle était la cause.

Et tous sauraient alors que Sibille n'était pas souveraine à provoquer – et tous se feraient chiens fidèles et obéissants, elle les tiendrait par la peur et par la foi. Et elle ferait la fierté de sa famille. Elle ferait la fierté de Mageia et lui offrirait le plus sanglant de tous les règnes.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant