Chapitre 21.1, Les pleurs de ta famille

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HVITUR


Il s'enfonça dans la forêt, suivant sa mère à travers les arbres pour rejoindre sa famille. Par sa faute, ils avaient tous été rejetés par le Grand Herrevann lorsque le zuhyre avait englouti Skovjord, et Oksvart les avait donc laissés s'installer non loin de Uibhsterk, leur indiquant la forêt qui se trouvait à ses côtés, les rappelant à leur élément. Ils n'étaient au départ que des bûcherons, après tout – qu'ils le restent, eux dont il ne voulait plus entendre parler.
Les doigts de Hvitur glissaient contre l'écorce des arbres, se rappelant à ce contact rugueux auquel on l'avait habitué dès l'enfance. Quoi qu'en disent les plus nobles et les plus riches des vatners, ceux qui travaillaient le bois étaient également ceux qui étaient les plus habitués au maniement de la hache. Et quiconque tenterait désormais de le rappeler à sa condition de naissance connaîtrait la fureur du nouvel Herrevann.

Bientôt, il aperçut deux huttes de fortune où le froid s'infiltrait certainement sans peine. Et malgré la surprenante chaleur qui régnait sur Nokrov depuis la prise de pouvoir de Sibille Asinis, un froid glacial régnait sur les Îles Vatner. Pour sûr, c'était le zuhyre, guidé par une mystérieuse force, qui avait dispersé derrière lui ce vent si frais.

— Havsvaerd, Havsvaerd !, appela sa mère en dépassant Hvitur.

Le renard enjamba les racines qui s'entremêlaient à ses pieds jusqu'à rejoindre les huttes. Il vit une silhouette familière sortir de l'une d'elles, et se figea aussitôt.

— Friska, souffla son père en s'aventurant dans le froid.

Presque aussitôt, le grand guerrier sur lequel Hvitur avait jeté honte et déshonneur tourna la tête vers lui, ses prunelles aussi claires que les siennes s'animant d'une vieille colère. Le Grand Herrevann sentit ses mains frémir, ainsi que le reste de son corps. Il déglutit.

— Hei, père. Je suis revenu.

Havsvaerd fronça les sourcils avant de s'avancer lentement dans sa direction, l'œil incertain. Il vit le sang sur le visage de son fils, sur ses mains.

— Que fais-tu ici ?, demanda-t-il d'une voix percée de rancœur.
— Je venais en quête d'une alliance, et j'ai trouvé un peuple.

Son père parut d'autant plus habité par le doute aux paroles du renard. Friska se glissa alors derrière lui, encerclant les épaules du guerrier de ses bras.

— Ton fils a tué Oksvart. Il est Grand Herrevann désormais.

Le grand guerrier que fut Havsvaerd ne fit plus un geste, jaugeant du regard son fils aîné, celui qui l'avait déçu, qui lui avait fait honte, qui avait sali leur nom et leur réputation. Ses sourcils se froncèrent à nouveau et il ne put détacher son regard de lui tandis que son épouse reprenait.

— Si tu l'avais vu se battre, tu aurais été fier de lui. Il s'est battu comme un lion. Et il a tué Oksvart avec sa propre hache en lui offrant une mort lente et douloureuse. Puisqu'il l'a tué de son arme sacrée, Noire-Hache n'aura pas droit au Hvilehav. Celui qui nous a souillés sombrera dans le Sovnskygge à jamais. Ton fils nous a vengés, Havsvaerd.

Hvitur observa attentivement la réaction de son père, dont la respiration se faisait plus profonde – en témoignaient ses narines qui se dilataient et sa poitrine qui se soulevait lentement. Puis il hocha finalement la tête, brisant la distance qui le séparait de son fils pour lui offrir une poignée de main ferme, plongeant son regard dans le sien.

— Hei, mon fils.

Le renard sentit son cœur battre plus vite, emballé par la joie de retrouver une famille l'acceptant enfin. Il se permit un sourire tandis que son père épongeait de sa manche le sang qui couvrait encore son visage. Finalement, Havsvaerd lui indiqua les huttes.

— Viens, Hvitur. Klovild t'attend depuis trop longtemps.

Il suivit docilement son père jusqu'à l'une des deux chaumières, au cœur de laquelle un feu avait été allumé. Il y vit alors, le visage ruisselant de sueur, son épouse qu'il avait abandonnée. Hvitur se laissa tomber à genoux à ses côtés, portant ses mains à son visage. Ce n'est que lorsqu'il la toucha que Klovild remarqua sa présence, tournant vers lui un regard rongé par l'épuisement.

— Tu es revenu, souffla-t-elle.

Il sourit faiblement, honteux de l'avoir ainsi laissée derrière lui, de ne pas s'être au moins excusé. Il caressa ses traits autrefois si doux, que la maladie avait tirés, et se pencha pour embrasser son front trempé. Il frémit contre ce visage qui peinait à le regarder, ce corps qui sentait à peine son toucher. La culpabilité le rongea un peu plus lorsqu'il réalisa tout le mal qu'il avait fait en désertant.

— Je suis tellement désolé Klovild.
— Tu es là, murmura-t-elle pour toute réponse. Et ton fils aussi.

Les yeux de Hvitur se remplirent aussitôt de larmes, il regarda autour de lui avant d'enfin voir le couffin dans lequel dormait un bébé. Il le rejoignit rapidement, saisit d'un doigt l'une des petites mains du bambin qu'il n'avait vu ni naître ni grandir.

— Quel âge a-t-il ? Combien de temps...
— Il aura bientôt trois ans.
— Et son nom ? Comment tu l'as appelé ?

Le renard tourna la tête vers son épouse, qui lui souriait dans sa douleur. Il comprit aussitôt, mais les mots lui confirmèrent ce qu'il avait toujours espéré.

— Kristolt.

Le nom qu'il avait toujours souhaité donner à son fils. Et c'était ainsi que Klovild l'avait appelé, alors même que Hvitur était parti, les laissant, l'enfant et elle, derrière lui – sans un regard en arrière, sans afficher une once de regret. Il retourna auprès d'elle, la serra dans ses bras, se heurta à la fièvre qui rendait sa peau brûlante. D'un revers de la main, Hvitur effaça l'émotion qui mouillait ses yeux, reniflant avant de regarder ses parents, son fils, sa femme.

— Je vous ramène avec moi à Uibhsterk. Tu y seras soignée, Klovild. Et on ira aux Ramales, où l'on prendra soin de vous. Et lorsque la guerre sera finie, nous élèverons cet enfant ensemble. Nous élèverons notre petit Kristolt.

Il emprisonna les mains de sa femme entre les siennes, lui faisant promettre que tout cela se réaliserait – mais lui-même peinait à y croire. Klovild était très faible, et seul les dieux, quel qu'ils soient, sauraient décider de son sort. Hvitur s'en remettait à eux.

* * *

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant