Chapitre 12.2, Le souvenir des tigres

77 13 17
                                    

Les menaces n'avaient plus besoin d'être énoncées, suintant de la voix d'Alessandre, chuchotées, sous jacentes. Il y avait tant de colère entre ses mots, tant de violences à extérioriser. Et il ne baissait pas les yeux, ne calmait son regard fou. Le griffon devenait ce qu'on avait voulu de lui. Il se perdait dans les mensonges, il s'enfermait dans les déboires, dans la peur, dans la hargne, dans la rage.
En face de lui, la matrone baissait finalement les yeux. Ce n'était un défaite qu'il lisait dans ses yeux mais bien de la pitié. Elle avait honte de lui, honte de ce qu'il devenait. Elle n'aurait jamais aussi honte que lui.

— Donnez lui Eris, ordonna finalement Luva. Et que personne ne viennent plus me déranger.

Elle s'éloigna alors qu'on appelait une catin qu'Alessandre avait trop l'habitude de voir, trop l'habitude de rejoindre. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus, sa bouche si petite et pourtant si ronde, sa jeunesse, sa douceur. Tout rappelait celle qu'il avait offert comme le plus grand des sacrifices à celle qu'il priait maintenant. Celle qui, si elle pouvait lire dans ses pensées l'enverrait immédiatement vers les Tréfonds pour qu'il soit torturé pour l'éternité.

Car ce n'était plus vraiment Eris qu'il voyait devant lui. Ce n'était plus vraiment la prostitué qui recueillait ses larmes. C'était Nova. La princesse au coeur de petite fille, qu'il avait bafoué avec aucune pitié. Il lui avait bouffé l'âme avant de l'offrir, jouant avec ses rêves et son innocence. Ce n'était plus Eris mais bien une créature à l'ascendance royale.

Qu'il voulait tuer une nouvelle fois alors qu'il l'obligeait à se mettre à quatre pattes, alors qu'il la battait avec férocité. Il n'était pas un faible ! Il ne le serait jamais. Et c'était sur cette femme, qui couinait autant de jouissance que de douleur qu'il oubliait tout. Il lui faisait mal. Il lui faisait du bien. Tel les deux facettes d'une même pièce ses mains frappaient autant qu'elles détruisaient. S'inscrivant, dans la chaire blanche de la catin, des marques rouges et noires. Il se fraya un chemin dans son corps, de ces poings comme de ses reins. Il s'enfonça en elle, toujours plus profondément, tirant sur sa chevelure blonde pour dévoiler sa gorge. Pour la laisser à sa merci. Pour se prouver, qu'au moins cette fois, il avait du pouvoir sur quelqu'un.

Alors il frappa encore plus fort. Il en pleurait de la voir à sa merci, de ne voir que sa croupe rougie par ses coups, que ses cheveux blonds qui cascadaient sur le sol, eau trop dorée, eau gorgée de soleil. Il se donnait envie de vomir.

Il tapa, une fois de plus, une fois de trop. Tronquant les poings pour le cuir, tronquant le bleu pour le rouge, pour ce carmin qui roulait si vite sur l'échine de la prostituée qui haletait toujours plus fort, soufflant des mensonges de ses cris qui s'envolaient vers les cieux. Les octaves étaient faux, les gémissements étaient vices.

Il la fit hurler encore plus fort parce que c'était finalement seulement de ça qu'il se gavait maintenant. De ça qu'il était rempli. D'affabulations. De flatteries cachant des faiblesses dont il ne pouvait s'ouvrir à personne.

Elle finit par beugler un autre chant, celui le suppliant d'arrêter. Il était aller trop loin, ses doigts enroulés autour de sa gorge. Et Eris reprit son vrai visage. Et Eris s'éloigna de lui comme d'une créature enragée que rien ne pourrait jamais soigner.

Elle avait raison.
Il était impossible à soigner, juste bon à suivre comme un caniche bien dressé derrière celle qui contrôlait sa vie. Celle qu'il voulait comme maîtresse. Celle qu'il aimait un peu trop.

Luva l'attendait alors qu'il sortait de la pièce, en nage mais le visage propre. Il n'avait pas jouis. Il ne salissait jamais les putains qu'elle lui offrait. Se contentant de les marquer.

— Alessandre, souffla-t-elle, posant une main sur son avant-bras.

Elle avait dans ses yeux trop de compréhension, éloignant sa rage et sa fierté. La matrone s'était attachée à ce chevalier sanglant, à ce fidèle sans regards et sans espoirs.

— Tu feras un bon roi tu sais. Tu seras à la hauteur de Sibille et je suis certain qu'elle t'offrira bientôt toute la puissance que tu mérites. Elle ne t'a pas choisi seulement parce que tu étais beau ou fort. Elle t'a choisi pour ce qui battait dans ton coeur. Ne te laisse pas dévorer par les remords. Vous avez agit pour le plus grand bien. Et vous avez choisi le seul chemin possible. Nova était peut-être une enfant mais elle devait mourir pour que les Sangéravs puissent revenir. Tu as agit avec honneur. Tu as agit pour sauver Nokrov des tigres.
Ce sera la dernière fois que tu auras le droit de voir Eris. Maintenant, soit l'homme que tu dois être. Soit le griffon que tu aurais dû être. Mageia est guide.
— Mageia est foi, répondit-il, relevant le visage.

Luva avait raison.
Les poings du griffon se serrèrent, ses traits se détendirent. Et ses yeux, aussi bleu que l'océan, se relevèrent jusqu'au soleil écarlate qui réchauffait déjà le monde.
Mageia avait besoin de lui. Mais plus encore... Sibille avait besoin de lui.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant