Chapitre 26.2, La fureur des Vatners

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L'aigle et le renard s'affrontèrent du regard. Au fond de lui, le renard sentait la fierté poindre en une étincelle prête à s'embraser, devenir un grand bûcher. Il défiait Tahir du regard, lui qui était à l'origine de la rébellion contre la Carmine et voyait les vatners se dresser à ses côtés, sans que ce soit lui qui les guide. Hvitur arqua un sourcil, un sourire titillant la commissure de ses lèvres.

— Puisque je détiens ma propre armée, je pourrais sans doute compter parmi les généraux de cette rébellion, n'est-ce pas ?

Les yeux de l'aigle se plissèrent, brillants de rage. Il pinça les lèvres et, malgré la colère, acquiesça sous le regard satisfait de Hvitur. Enfin il avait un pouvoir décisionnel – il ne resterait pas un simple pion dans le jeu de Tahir.

— Très bien, alors maintenant nous pouvons parler de stratégie, souffla le renard.
— Je pense qu'il serait judicieux d'aller vers l'est et de frapper à Talen. C'est là-bas que se trouve le gros de l'armée de la Rouge. Si nous parvenons à les défaire, elle aura déjà perdu la guerre.
— Je ne pense pas que tout miser sur une seule bataille soit une solution viable.

Tahir leva un regard mauvais vers le vatner, qui n'avait cessé de sourire en coin, trop orgueilleux de sa nouvelle position.

— Je pense que nous devons avant tout trouver les autres Élus.
— Et pour quoi faire ?, siffla Tahir.
— La Carmine a des pouvoirs, souffla soudain Qeder.

Son père tourna la tête vers lui, intéressé par ses mots. Le fils des sables reprit prudemment.

— Vous le savez, père. Au fond de vous, vous le savez. Elle offre le sang de ceux qu'elle sacrifie à Mageia, elle nourrit sa déesse et sa puissance pour permettre son retour.
— Et qu'en est-il des autres Élus ?, demanda Tahir. Mes informateurs n'ont rien trouvé les concernant, rien ne prouve leur existence. Et si l'Élu de Lux avait existé, alors il est mort.

Karona leva la tête à ces mots, pinçant les lèvres. Hvitur la regarda, peiné pour elle, avant d'affronter le regard du seigneur légitime des Carmines.

— Mais peut-être reste-t-il un Élu de Nox. Ou même de n'importe quel dieu, siffla-t-il. Sibille a des pouvoirs qui dépassent les hommes, qui sait ce dont elle est capable ? Et c'est sans parler de ses monstres dont j'ai tant entendu parler.
— Les Sangéravs sont un problème, bien plus que ses soi-disant pouvoirs.

Le renard agita la tête aux paroles de Tahir.

— Vous ne pouvez pas ignorer les pouvoirs qu'elle détient. Il se dit qu'elle a corrompu des hommes par le toucher, qu'elle a empoisonné leur âme pour l'offrir à Mageia.
— Ce ne sont que des légendes, tonna l'homme aux yeux de glace.
— Vous venez des Carmines mais vous êtes le seul à ne pas croire en ces soi-disant légendes ?, s'agaça Hvitur.
— La magie, les dieux, ce ne sont que des mythes !

Havsvaerd prit soudainement la parole, coupant Tahir d'une voix grave.

— Et le zuhyre qui a plongé les îles sous l'eau, c'était un mythe également. Mais je l'ai vu de mes propres yeux.

Hvitur tourna la tête vers son père, la bouche sèche et la gorge nouée. Son regard se teinta de peine tandis qu'il lisait en celui de Havsvaerd un souvenir douloureux et encore trop récent. La créature était réelle, il en était persuadé. Le silence s'était abattu sur la pièce, et le regard de Tahir s'était apaisé – comme si l'émotion que dégageait le chef du Clan Tsov avait suffi à lui offrir la vérité. Il déglutit.

— Les Sangéravs n'étaient également qu'un mythe aux yeux du reste du monde, lui rappela Hvitur. Tout n'est que mythe pour ceux qui ne le voient pas.

Tahir leva lentement les yeux vers le renard.

— Nous avons besoin d'un Élu pour contrer les pouvoirs de Sibille, insista le vatner.

Le natif des Carmines soupira longuement, l'une des mains passant sur son visage, ses doigts massant ses tempes. Il releva un regard las vers les autres personnes assises dans la pièce.

— Peut-être avez-vous raison... Mais comme je l'ai dit, mes informateurs n'ont rien trouvé. J'ignore s'ils existent seulement. Et si oui... J'ignore où ils se trouvent, et qui ils sont.
— Donc pour le moment, nous n'avons pas d'autre choix que de composer sans eux, souffla la Reine déchue.

Tahir hocha la tête.

— Pour autant, ne cessons pas les recherches. On ne sait jamais. Mais je ne peux assurer que nous trouverons ces... Élus.
— Pour l'heure, nous devrions réunir un conseil de guerre, suggéra Hvitur. J'ai vu les tentes tout autour de l'oasis, je suppose que vous êtes parvenu à réunir quelques alliés.
— Oui, et ceux qui ont refusé de nous suivre... en ont payé le prix.

Hvitur fronça les sourcils et ouvrit la bouche pour questionner Tahir, mais la porte s'ouvrit soudainement, Modig entrant vivement. Karona sourit en le voyant, et lui inclina la tête. Il balaya la pièce du regard sous le regard sévère de Tahir.

— Messire, une petite troupe approche d'Aurovao.

L'aigle fronça les sourcils.

— Vous attendiez de nouveaux hommes ?, s'enquit Karona.
— Non.

Tahir se leva, et tous dans la pièce en firent de même. Il regarda Modig.

— Sont-ils armés ?

Pour toute réponse, celui qui fut garde royal hocha la tête. Le seigneur des Carmines regarda chaque personne se trouvant dans le bureau, donnant ses directives.

— Karona, allez à vos appartements, enfermez-vous y et n'en sortez pas avant que je vous le permette. Hvitur, Havsvaerd, nous aurons peut-être besoin de vos hommes. Qeder, va à leur rencontre avec quelques hommes pendant que je prépare mes troupes.

Tous se figèrent aux mots de Tahir, face à son regard de glace qui en disait long sur ses pensées. Pourtant, il se fit plus clair, reprenant d'une voix grave.

— Il faut se préparer à toute éventualité... Peut-être la Carmine nous a-t-elle déjà trouvés.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant