Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)

Chapitre 38.2, Le monde que nous connaissions

Le vieillard sembla interpréter son silence pour de la réflexion, ses traits tendus pour des questions muettes. Il voulait jouer au père protecteur alors qu'elle ne voyait qu'une chouette dangereuse derrière son regard doux. Elle ne pouvait faire confiance à personne, Nox le lui avait bien assez répété. Ne comptait pas leur accorder une seconde de ses espoirs. Seul Isendre les méritait. Seul Alessandre pouvait espérer encore qu'elle croit en quelque chose d'autre que sa seule personne.

— Prenez votre temps mon enfant, cela fait beaucoup d'éléments d'un coup.
— Je ne suis pas une enfant et je n'ai pas besoin de votre compassion, siffla-t-elle en direction de l'aîné.

Elle tourna les yeux vers Tahir, s'ancra dans son regard gelé.

— Synsivik est une menace. Nox refuse de lui faire confiance, tout comme elle sait que Lux serait capable de nous trahir pour gagner la guerre. Mais nous avons besoin d'eux.
Je suis venue ici pour me battre et j'exige que, dès aujourd'hui, vous ne nous traitiez plus comme des prisonniers entre vos murs. Sibille et sa Déesse agissent vite et, si nous voulons espérer les doubler, il faudra agir avant elle. Le plus rapidement possible, il vous faudra réunir un conseil et lancer une offensive. Celui qui frappera le premier gagnera. Elle sait déjà que j'existe et à des yeux partout. Notre présence ici ne resta un secret que trop peu de temps. Croyez moi bien Tahir. Je doute que nous sortions vivant de ce combat. Mageia agit depuis des siècles quand Nox et Lux viennent de se réveiller; Elle a eu longtemps, trop longtemps, pour se préparer. Il faudra découvrir qui sont ses alliés. Quels seigneurs ont déjà baissé le genou devant elle et quels seigneurs peuvent encore accepter de se rebeller et nous rejoindre. Les Ramales seules ne suffiront pas face aux forces de Talen. J'espère que vous aussi avez des yeux et des oreilles à la capitale sans quoi nous ne pouvons que prier pour qu'elle nous laisse en paix de l'autre côté de votre montagne.
— Vous n'êtes pas prisonniers. Vous avez simplement été mise sous la surveillance de mon fils durant votre première nuit ici, afin de nous laisser le temps d'évaluer la confiance que nous pouvons vous accorder. Continuez de vous méfier de Synsivik. J'ai pu avoir un aperçu de ses dons. Il saura sans peine fouiller votre âme, lire à travers vous et votre vie – exploiter cela contre vous. Nous n'attendions que vous pour réunir notre conseil de guerre. Et puisque nous poursuivons le même objectif... Il soupira une fois de plus. Je suppose que nous pouvons vous faire confiance.

Le regard d'Alyssa se fit plus dur alors qu'elle ne le quittait pas des yeux, écoutant ses paroles sans se soucier des autres. Ne laisse personne te toucher, ne laisse personne te montrer des images mensongères. Les mots de Nox revenait dans son esprit, trop réalistes, trop instructeurs. Si sa Déesse elle-même était allée jusqu'à la mettre en garde, les pouvoirs de Sinsivik devaient être destructeurs.

Elle releva pourtant le menton, refusant de montrer la flamme d'inquiétude qui, durant une seconde, avait brillé dans son regard. Tahir l'avait vu. Il ne pouvait que l'avoir vu. Mais l'aigle lui proposait une alliance qu'elle ne pouvait pas se permettre de refuser. Et si elle refusait d'offrir la moindre confiance, elle ne pouvait jouer au loup solitaire. Ils devaient s'allier, être le plus nombreux possibles. Car les seuls pouvoirs de Sibille ne l'inquiétait pas. Non, elle craignait bien pire encore. Elle craignait les griffons de Talen, elle craignait les bateaux de la reine et tout ceux, trop nombreux, qui avaient baissé le genoux devant elle.

— Sibille sait déjà que nous sommes ses ennemis.

Cette fois, Alyssa ne parvient à cacher ses émotions. Elle le fixa, les yeux ronds, la peur au creux du ventre. Que Sibille sache qui elle était ne l'effrayait pas autant que...

— Elle sait déjà que je suis en vie, que Qeder était mon principal espion à la cour. Elle sait tout cela et se prépare au combat. Mais une fois de plus, Mageia se trouve seule face à ses sœurs. Lux nous accompagnera jusqu'à la chute de la Sanglante. Ensuite, il nous faudra nous méfier plus encore d'elle. L'éradiquer, peut-être. Nous devons avant tout récupérer Talen. Comme vous le dites, nous ne ferons pas le poids face à eux, et ce même si nous avons réuni les Ramaliens et les Vatners sous une seule bannière. C'est pourquoi nous allons piquer directement vers Port-Mauer. Ils sont affaiblis, leur seigneur assassiné, son fils ayant délaissé son héritage, sa fille disparue... Mes espions m'ont informé des grognements des foules. Talen est plus faible que jamais, et c'est le moment de frapper. Et nous comptons sur vos pouvoirs, à Synsivik et à vous, pour remporter cette première bataille... Et sur vos connaissances de la cité.