KARONA
Ses pieds ne la portaient plus et son souffle était court. Elle titubait sous l'étonnante chaleur des terres du Nord. Jamais l'été n'avait paru si brûlant contre sa peau, jamais elle n'avait connu pareille douleur. Ses joues étaient rongées par les larmes des derniers jours, ses yeux gonflés et rougis. Jamais elle n'avait été si laide, jamais elle n'avait été si faible. L'eau lui manquait depuis la nuit précédente et la déshydratation commençait à se faire ressentir, l'affaiblissant plus qu'elle ne l'était déjà. L'espoir s'était éteint avec la lumière de Lux.
Sous la fatigue, elle s'écroula, tombant à genoux.
— Modig... Modig, il faut que l'on fasse une pause.
L'homme d'armes qu'elle suivait se retourna soudain. Ses sourcils broussailleux se froncèrent au-dessus de ses yeux sombres et il retourna vivement auprès de sa protégée. Il posa un genou à terre, la saisit fermement par les épaules. Elle baissa aussitôt les yeux.
— On ne peut pas !, tonna-t-il. Ils sont à nos trousses, c'est certain. Et si ils ont eu le Roi, et la Princesse, ils ne vous auront pas vous.
A ces mots, elle se mit à pleurer. Elle plongea son visage entre ses mains, ses cheveux emmêlés la cachant au regard de Modig. Celui-ci se radoucit, une moue prenant place sur son visage. La poigne contre les épaules de la femme se détendit pour devenir une geste réconfortant. Il n'avait jamais été très doux, lui qui avait depuis toujours servi Kreivis et la maison Iseal. Il avait guerroyé à ses côtés et s'était illustré au combat. Pour autant, il n'avait rien d'un Togos Conneden, mais ses compétences au combat lui avaient toutefois permis d'obtenir une place au sein de la garde luxienne. L'une des mains de Modig saisit, hésitante, le visage de la femme, le relevant pour qu'elle le regarde.
— Je sais quelles horreurs vous avez vues. Je sais ce que vous avez traversé. Je ne peux le comprendre, mais je sais que c'est dur pour vous de continuer. Mais vous le devez, Karona. Vous le devez parce que vous êtes la Reine.
Les yeux de Karona s'embrasèrent, ses lèvres tremblèrent avant de se tordre en un sourire amer. La Reine... Ce n'était là qu'un mensonge, un passé qui lui semblait déjà lointain. Ses dents se serrèrent et un sanglot lui échappa, semblable à un rire étranglé. Elle releva son visage marqué par la haine vers Modig et cracha.
— L'avez-vous oublié ? La Reine est désormais une putain des Carmines. Une meurtrière, une tueuse d'enfant, une menteuse et une manipulatrice. Un monstre, elle n'est rien de plus qu'un monstre. Et elle m'a tout pris.
Modig se mordit les lèvres. Son regard sévère s'assombrit tandis qu'il hochait la tête. Karona avait raison. Elle n'était plus qu'une Reine déchue, sans famille, sans couronne, sans rien. Et pourtant, il l'avait sauvée, il était parvenu à lui faire fuir la capitale – et il refusait qu'elle abandonne. A nouveau, ses mains pressèrent fermement les frêles épaules de la Reine.
— Sibille vous a tout pris, oui. Du moins, presque. Il vous reste la vie. Vous êtes en vie. Pensez à tous ces innocents au château qui n'ont pas eu cette chance. Vous devez vous relever et me suivre, que je vous mène en sécurité. Nous passerons bientôt la frontière du Nord, nous arriverons dans les Ramales et nous pourrons y trouver asile.
— Si la chaleur et le manque d'eau ne nous tuent pas, oui, siffla-t-elle.
— Reprenez-vous !, beugla soudain Modig. Je vous ai sauvée, et je refuse de l'avoir fait inutilement. Vous allez vivre, je vous l'ai promis. Je ferai tout, tout ce qui est en mon pouvoir, pour que vous retrouviez au moins votre couronne. Vous ne resterez pas cette Reine déchue que vous êtes. Quoique vous pensiez de tout cela, vous êtes et resterez ma Reine.
Karona avait cessé de pleurer. Pourtant, ses lèvres frémissaient encore et ses yeux restaient habités de rage. Elle déglutit difficilement et hocha la tête. Elle était la Reine. Elle avait dû laisser derrière elle son trône, elle avait abandonné sa couronne dans sa fuite pour être moins reconnaissable. Mais elle restait la Reine. La vraie Reine, celle qui avait mis au monde l'héritière de la couronne et avant elle, un fils que Nox avait trop vite emporté.
Elle n'était pas une Reine déchue. Non, elle ne l'était pas, elle s'y refusait. Sa fierté et son orgueil se tirèrent de leur torpeur, Karona se réveilla, se rappela à elle-même. Et à nouveau, dans ses yeux rugit le tigre des Iseal.
— Je ne peux pas abandonner, se murmura-t-elle à elle-même.
— Je préfère vous entendre dire cela. Pouvons-nous reprendre notre route ?
La Reine ne s'offusqua pas de l'impatience à peine voilée de Modig. Il avait raison – tant qu'ils n'auraient pas atteint un fief des Ramales, ils ne seraient pas en sécurité. Sibille avait certainement fait envoyer des hommes par centaines à sa recherche. Elle était la Reine légitime, sans doute le plus grand des dangers pour elle et son règne de sang.
Son regard empreint d'une nouvelle force se leva vers le chevalier et elle hocha la tête d'un geste sec, acceptant sa main tendue pour se relever. Elle épousseta sa robe déchirée, rabattit ses cheveux blonds vers l'arrière pour dégager son visage, et observa l'horizon.
— Quand arriverons-nous ?, demanda-t-elle.
— D'ici peu, je pense. L'air est plus lourd que jamais, la chaleur écrasante... Et on peut déjà apercevoir les montagnes d'Oneone. Tenez bon, Karona, nous approchons.
Elle s'humecta les lèvres, asséchées par le soleil aux lueurs rougeâtres, et se remit en marche, accompagnée de son sauveur. Il leur restait encore des jours de marche avant d'espérer trouver un fief, et si leurs chances de survie étaient faibles en raison de leur déshydratation, ils savaient qu'ils ne devaient pas faiblir ; tout du moins, Karona se l'interdisait.
[...]
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasíaLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...