Lorsqu'elle arriva dans la salle du conseil, tous ses membres étaient déjà attablés, attendant simplement la Reine pour commencer. Sibille avait pris le temps de faire placer Elpichrys dans une chambre destinée aux nobles, et l'avait laissée aux bons soins de Maistal. Celle-ci avait, pour la première fois aux yeux de la Reine, souri – comme satisfaite de voir celle-ci prendre des décisions autres que celles dirigées par la colère et la foi. Les conseillers se levèrent à son entrée dans la pièce ronde, s'inclinant face à elle. Sibille les dépassa, prenant place en bout de table, joignant aussitôt ses deux mains devant elle. Son regard de glace, inquisiteur, passa d'un visage à l'autre.
Tous portaient l'angoisse à merveille, celle-ci accrochée à leurs traits comme l'ombre des menaces planant sur eux. Seul le prêtre de Mageia, Giostefra, paraissait serein, ses yeux gris fixant la Reine avec attention. Le regard de la jeune femme se posa alors sur Virtus, dont le visage suintait toujours la suffisance. Jamais il ne se départait de celle-ci, la portant comme une seconde peau alors même qu'il était, de tous en cette pièce, le plus grand de tous les traîtres.
— J'ai ouï dire que nos ennemis souhaitaient marcher sur Talen.
La voix de Sibille s'éleva brusquement, son ton clair jurant avec la colère de ses yeux. Tous se rassirent alors, échangeant des œillades inquiètes avant que Hnefstal Vopn ne prenne la parole d'une voix percée d'assurance.
— Si cela est vrai, alors notre Roi est en danger. Nous devrions de suite envoyer notre armée vers Port-Mauer, enjoindre dame Adiant à envoyer ses troupes à leur rencontre. Nous pourrions encercler l'armée de votre oncle, il n'en resterait que de la poussière.
Son regard passa sur les autres conseillers, qui hochèrent la tête à ses mots – puis il croisa les yeux de glace de la Reine. Elle arqua les sourcils.
— Et la capitale ? demanda-t-elle.
— La capitale ?
— Vous souhaiteriez laisser la capitale désarmée ?La voix de Sibille ne fut qu'un sifflement, la vipère se redressait déjà sur sa chaise, menaçante face au Haut Maréchal.
— Si nos ennemis découvrent que nos deux armées marchent vers eux, qui nous dit qu'ils ne changeront pas de direction ? La capitale se trouvera affaiblie, ils pourront la prendre sans aucun mal. Envoyer nos forces vers Talen revient à nous exposer.
Le maître de la guerre s'excusa, baissant la tête. De l'ombre sortit une jeune femme au visage camouflé d'un voile de tulle noire ; elle coula jusqu'à l'oreille du nouveau Maître des Ombres, lui murmurant quelque chose. Les yeux d'onyx de Skia Mavros se levèrent vers Sibille, un étrange sourire écorchant ses lèvres maquillées de cendres.
— L'armée de Tahir sera séparée en deux pour le voyage. Les hommes des sables arriveront par la terre, les vatners par la mer.
Sibille expira légèrement, rassurée. Elle hocha la tête, observant du coin de l'œil la jeune femme quitter la pièce sans un bruit. Elle reposa alors ses yeux sur le maître de guerre, sa colère apaisée. Il reprit, l'assurance ayant abandonné ses lèvres.
— Peut-être pourrions-nous alors préférer une autre approche... Demandons à dame Adiant d'envoyer ses hommes protéger Alessandre et tendre une embuscade à l'armée de Tahir. Si leurs forces sont séparées, les hommes de Talen n'auront aucun mal à les écraser.
— N'oubliez pas, Majesté, que nous avons un avantage sur les rebelles : nous connaissons leurs plans et nos armées sont déjà organisées tandis qu'eux ont tout à faire. Ils ne quitteront pas leur ridicule désert avant au moins un mois, souffla Virtus.La Reine hocha la tête, un sourire froid planant sur ses lèvres. Les mots apaisaient ses craintes – ils avaient du temps et de l'organisation. Tout irait bien, son trône et son époux seraient saufs. Alors que l'horizon semblait s'éclaircir, elle vit une ombre sillonner les murs, à nouveau si proche d'elle. Elle entendit les murmures troubles de Mageia, un hurlement de rage derrière ses chuchotements. Quelque chose se passait – quelque chose n'allait pas. Elle fronça aussitôt les sourcils, se redressa sur sa chaise.
Tu n'as pas tué l'Élu de Lux.
Les yeux de Sibille s'ouvrirent en grand et l'ombre grandit – tous les autres conseillers sursautèrent, bondissant sur leurs sièges tandis que la silhouette de Mageia apparaissait à leurs yeux. Seul Giostefra laissa son regard s'illuminer de bonheur, tandis que seule la peur apparaissait en celui des autres. La Reine regarda la forme obscure, ses yeux se teintant de crainte et d'incompréhension. Elle avait fait ce qu'il fallait. Avait obéi.
— J'ai pourtant tué Nova, murmura-t-elle.
Elle aperçut le rictus de Mageia, empreint d'une haine farouche, d'une colère sourde. Elle-même semblait s'être trompée.
Il y avait un autre enfant – il était l'Élu. Il a été caché, toute sa vie, loin de la Cour. Je l'ai vu. Il marche avec Tahir, Sibille. Tes ennemis sont puissants. Mes sœurs se sont alliées.
Sibille regarda alors ses conseillers, paniquée, avant que ses yeux ne s'arrêtent sur Nebulos Brum. Lui saurait peut-être trouver une solution face au danger planant sur Alessandre et la Couronne. Si Tahir comptait deux Élus parmi ses rangs, alors la menace était plus grande que jamais. Les yeux obscurcis par la peur de la Reine se firent presque suppliants.
— Légat Brum, auriez-vous une idée ? Nous ne pouvons combattre frontalement les deux Élus. Ce serait trop risqué.
— Nous ne pouvons pas les empêcher d'avancer. A moins que...Les yeux de Sibille se voilèrent d'espoir.
— A moins qu'on ne propose une trêve.
— Une trêve, souffla-t-elle.
— Organisons une réunion au cours de laquelle vous rencontrerez vos ennemis, tentons de trouver un terrain d'entente. N'importe quoi qui puisse retarder un affrontement.L'ombre de Mageia flottait contre les murs blancs du palais, persiflant à l'idée de cette trêve. Un signe de faiblesse, voilà ce dont il s'agissait à ses yeux. Sibille ferma un instant les yeux.
— Emmenez-moi une plume et plusieurs parchemins. Je vais d'abord écrire à Tahir, proposer que nous nous rencontrions au sommet du monde. Puis j'écrirai à Alessandre et à dame Adiant, que lui nous rejoigne et qu'elle se tienne prête.
Les yeux de la Reine se relevèrent vers ses conseillers tandis que déjà Virtus lui tendait ce qu'elle avait demandé. La mine de Sibille se fit grave, son regard ombragé.
— Nous aurons un peu de temps pour nous préparer à l'offensive des rebelles puisque leur départ des Ramales n'est pas pour tout de suite et que la réunion devrait les retarder un peu plus.
Elle inspira, le cœur chargé de peines, l'esprit voilé de doutes. Dans ses yeux, l'assurance vacillait pour laisser s'embraser l'incertitude. S'ils pouvaient effectivement compter sur le temps gagné sur l'armée de Tahir, la présence des Élus de Lux et Nox dans le camp ennemi ne pouvait que l'inquiéter. Avec un tel atout, son oncle jamais ne renoncerait à la guerre.
— J'aurais aimé pouvoir éviter cela... Mais une guerre est inévitable. Après cette rencontre, tous les maux du monde devront se régler dans le sang.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasyLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...