Chapitre 32.2, L'aube d'un coeur nouveau

47 15 6
                                    

Un rire, glapissement menteur, fut la seule réponse de la griffonne. Elle ferma les yeux à son tour, laissant couler sur son visage un sourire emprunt de tristesse. Quoi qu'il puisse penser, elle savait parfaitement qu'elle ne reverrait jamais ses terres. Qu'elle mourrait ou qu'on poserait sur sa tête une couronne quelconque. Synsivik voudrait le pouvoir, qu'elle lui donnerait avec plaisir. Nox ne la laisserait jamais faire. Nox ne voulait pas que sa soeur règne seule. Et Alyssa ne pourrait qu'accepter les demandes de sa Déesse.

Une fois de plus, la griffonne se sentait pion entre des doigts plus puissants encore que tout ceux qui avaient autrefois régit sa vie.

— Ne fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir Qeder. Je sais que je ne retournerais jamais à Port-Maeur et je m'en accommoderais. Mes terres me manqueront, tout comme les sables te manqueront toujours si tu les quittes. Mais on attends bien plus de moi ailleurs.

Elle tourna son visage vers le ramalien, sourire accroché aux lèvres, remplaçant son regard vague. Il y avait de l'espoir dans ces yeux. Il y avait la force qu'elle déploierait pour vaincre, la rage d'en découdre, la certitude qu'elle pouvait gagner son combat. Qu'importait ce qui l'attendrait derrière chaque batailles.

— Je suis une Elue de la nuit. Victoire ou non, je ne saurais vivre dans la lumière. Mais je m'en fiche. Je n'ai jamais été très bonne pour briller. Un leger rire franchit ses lèvres alors que son visage s'illuminait de son sourire. Toi par contre, je ne comprends pas pourquoi tu nous suis. Mageia a déjà presque gagné la guerre et nous ne serons que des petites fourmis affrontant un lynx. J'espère que tous ici le savent. Nos chances de victoires sont minces.

Son regard s'ancra dans celui de Qeder, inquisiteur. Revenait cette paranoïa constante. Revenait le marbre et la carapace. Sans même qu'elle ne puisse contrôler la terreur qui accrocha son coeur. Tous pouvait la tuer car Mageia pouvait tous les changer. Et elle en frémissait déjà.

— Je sais très bien qui tu es. Mais tu ne seras Élue que le temps d'une guerre. Si Mageia est terrassée, alors Sibille et elle disparaîtront. Synsivik et toi serez libres si vous décidez de l'être. Lui semble être destiné au trône – toi, à Port-Mauer. Ou préfères-tu voyager, disparaître sur l'océan, voir le monde comme nul ne l'a vu ? Moi, je me fiche des Sides. Je ne les vénère pas, je ne les ai jamais vénérées. S'il n'y avait pas eu tout ça, la Nuit Sanglante, les fanatiques au palais, Sibille... Je crois que je n'aurais jamais cru en elles. Je n'ai jamais cru qu'en Oneone.

Elle le fixait, ne pouvait s'empêcher de le fixer. Assit, dans le sable, au milieu de cet oasis étrange, Qeder semblait vouloir refaire le monde. Et Alyssa ne pouvait ouvrir la bouche, n'arrivait qu'à le regarder parler, qu'à entendre ces mots qui ne raisonnaient que trop bien avec ces pensées. Si Nox ne l'avait pas choisi.... Alyssa n'avait jamais été pieuse. Les Adiant avaient été élevé dans le respect des Sides mais jamais Artos ou Cerenna ne leur avait montré la piété, la profonde croyance. Et Alyssa avait préféré faire des Sides des entités qui, dans leurs silences, les avaient depuis longtemps oublié. Elle n'avait fait appel à Nox qu'une seule fois.

L'avait finalement accueillit en elle comme une bénédiction maligne. Aujourd'hui, elle ne pouvait ignorer leur présence. Partout, jusqu'à ce soleil qui égrainait sa course et cette lune qui dansait de la nuit. Elle sentait Nox tout autour d'elle, en elle. Frissonnait du souffle de la Déesse sur sa nuque.

Et pourtant, elle n'arrivait à quitter Qeder et ses paroles blasphématoires.

— Il est partout autour de nous, regarde-le, écoute-le. Il se disperse en milliards de grains de sable, pépites d'or insignifiantes aux yeux de tous. L'aridité, la sécheresse, la bonté de l'eau au cœur du désert... Tout cela, c'est Oneone. Je ne me lancerais pas là-dedans s'il n'y avait pas mon père. Je ne prendrais pas position. Mais Tahir veut se lancer dans cette guerre, récupérer les Carmines dont je me fous de tout mon être – puis il y a Oneone. Je dois protéger Oneone. Préserver cette entité qui existe à travers les Ramales, la sauver de tous ces malheurs qui arrivent. Tu comprends ? Si tu n'avais pas été Élue de Nox, qu'aurais-tu fait pour Port-Mauer ? S'il n'y avait pas eu la Nuit, la Sombre, tu te serais jetée dans la gueule du loup, n'est-ce pas ? Pour sauver les bateaux, les hommes, les femmes, les sourires – hein ?

Le regard s'ancrèrent.

Le sien était brûlant, flamboyant de la même passion qui animait ses mots. La même qui grognait dans les iris clairs de la griffonne. Elle s'avança vers lui, s'assit à ses côtés. Accrochant à ses lèvres un sourire, elle fit à son tour glisser ses doigts dans le sable, encore chaud malgré la nuit avancée.

— Je me serais battue, répondit Alyssa. Je me serais battue de toutes mes forces pour eux. Mais Port Maeur craint bien moins que les Ramales. Mon frère a choisi d'épouser Sibile et j'ose espérer qu'il protégera notre ville de Mageia. Du moins... Je crois.

Son sourire fana, aussi vite qu'une fleur exposée aux rayons brutaux du soleil. Pouvait-elle encore croire en la présence rassurante d'Alessandre ? Elle voulait voir son frère. Elle voulait le questionner, le supplier de lui répondre. Pire encore. Elle avait besoin de lui, comme cette seule lumière dans l'obscurité de sa vie. Isendre avait toujours été là, roc sur lequel elle pouvait s'appuyer. Mais il n'était rien face à leur aîné, face à celui qui avait su s'élever face à leur père et leur mère, face à celui qui été partie pour la couronne si jeune et pourtant si fort. Alessandre pouvait tout lui expliquer.

— Tu sais que ton frère a fait un mauvais choix, murmura Qeder pour toute réponse. Que se tourner vers Mageia, vers Sibille, fut une erreur... Je ne peux pas le juger. Mon propre père est obnubilé par ce qu'il a perdu – ce qu'il veut retrouver. Des terres qu'il n'a plus vu depuis dix-neuf ans. Pourtant je ne le hais pas. Pourtant je le suis. Mais ne suis pas ton frère, s'il te plaît. Ou tu finiras comme ces fanatiques... Égorgée un jour, agneau offert en sacrifice. Prends juste soin de toi.

Elle tourna un regard étonné vers lui, empli de questions muettes et d'interrogations silencieuses. Et leurs yeux s'agrippèrent une nouvelle fois. Ils ne les détournèrent pas, s'observant, se comprenant. Dans leurs iris brillaient la même flamme sauvage et la même peur tapie.

Ce fut Alyssa qui rompu leur contact la première. Alessandre semblait perdu. Oublié entre les cuisses d'une Elue au coeur glacée. Mais Alyssa ne voulait pas y croire. Espérait, qu'au fond, il reste dans son frère une parcelle de cette humanité qui l'avait si souvent guidé. Et si Alessandre aimait assez fort cette femme pour l'épouser, peut-être que Sibille n'était pas le monstre que tous peignait. Les doigts d'Alyssa brulaient déjà alors qu'elle rêvait de les glisser dans le feu pour en tester les limites. Pour en apprendre la violence. Elle refusait de croire aux racontars. Seules les paroles d'Alessandre pourraient lui confier la vérité.

Elle choisit pourtant d'abandonner le sujet, de se perdre en d'autres idéaux. Entre ses doigts roulaient toujours les minuscules grains de sables.

— Je me battrais pour Oneone aussi si cela peut sauver les Ramales, souffla-t-elle. Vous êtes les seuls à vous élever contre Mageia. Crois-tu que les autres ont également abandonné ? Où qu'il y a des forces qui nous attendent, cachés quelque part ?
— Merci, murmura-t-il simplement. Merci pour les miens, pour Oneone.

Il se tue, à peine une seconde. Ses yeux, brillant, ne la regardaient déjà plus.

— Beaucoup ont suivi Mageia par peur, ajouta-t-il. Sibille, parce qu'ils croient en son pouvoir. Mais nous avons avec nous la Reine légitime, et deux Élus. Nous avons de notre côté Lux, Nox, Oneone, Uibh... Tous ceux-là contre Mageia. J'ai envie d'y croire.
— Alors j'y croirais aussi.

Sa promesse était muette, uniquement contenue dans le feu de ces yeux. Qeder lui ressemblait, peut-être même trop. Elle voyait en lui cette flamme qu'elle peinait à contenir, cette envie de faire ses preuves et cette retenue de second. De celui qu'on préférait envoyer dans les ombres qu'en pleine lumière. Un nouveau sourire, aussi mince que brûlant, étira les lèvres de la griffonne.

— Rentons veux-tu ? Je doute que ton père me laisse longtemps paisible. Mais j'espère que tu n'oublieras pas ta promesse. Je veux découvrir les sables d'Oneone et je veux que tu sois mon guide.

Son sourire grandit, éblouissant son visage. Elle se releva avant de lui tendre une main généreuse. Alyssa ne voulait plus avancer seule sur le chemin trop dangereux que lui promettaient les Elues. Peut-être ne survivrait-elle pas à cette guerre.

Mais elle contait bien vivre le peu de temps qu'on lui octroyait.

Et, alors qu'il attrapait sa main à son tour, elle se prit à croire en quelque chose de nouveau. En temps de guerre, alors que tout allait trop vite et que la peur rapprochait les hommes, elle se perdait dans les yeux d'onyx de Qeder. Et se prêtait à espérer que d'autres que ses frères survivent aux Tréfonds.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant