Chapitre 6.1, Des souffles brûlants

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NEVENOE

 Les dragons avaient ces airs de vieux sages que Nevenoe respectait. Ils prenaient leurs décision tous ensemble, comme dans un conseil si différent des royaux. Indirectement, ils lui rappelaient la Meute. Le dragon rouge, qu'elle avait découvert être une dragonne, guidait les autres mais s'inclinait toujours face au reptile de la montagne, plus ancien et intelligent que tous ses semblables. Telle la ga'wa qu'elle écoutait, il offrait des conseils avisés à la rouge. Chaque jour, ils se rapprochaient un peu plus de leur décision, pesant chaque argument avec une précision méticuleuse.

La chasseuse était tenue éloignée de leur conseil. Aux côtés de Dubh, elle s'entraînait à l'arc, laissant le petit animal attraper les flèches en vol pour mieux lui rapporter. Le jeune dragon était tel un chien, trop affectueux. Il dormait blotti contre elle, montrait les crocs lorsque ses semblables s'approchaient et partageait sa nourriture avec Nevenoe. En retour, cette dernière le protégeait avec ferveur et tentait de lui apprendre des ruses et des attaques purement humaines. Sous le regard des dragons, ils créaient un duo étrange mais terriblement efficace.

Pourtant les journées commençaient à avoir un goût de cendres dans la gorge de la meneuse. Être cachée dans les montagnes ne l'avait pas empêchée de voir un nouveau soleil se lever et de sentir l'inquiétude des dragons grandir. La sienne était pire encore, tordant ses entrailles d'angoisse. La Meute était seule, laissée à elle-même et Nevenoe savait qu'un jour ou l'autre, le Baron tomberait sur eux et les exterminerait en souvenir de leur passé. Posant une main sur sa joue, rencontrant la peau abîmée de sa cicatrice, un soupir lui échappa. Dubh s'interrompit dans sa chasse aux papillons, tournant son museau couvert de terre jusqu'à elle. Il trottina dans sa direction et vient glisser sa tête contre sa main, s'offrant une caresse qu'elle avait bien du mal à donner.

— Tu penses qu'ils vont finir par se décider ? demanda-t-elle au petit dragon.

Seuls ses yeux d'ambres lui répondirent, remplis de questions. Il ne la comprenait pas. Il n'avait pas encore l'intelligence de ses aînés, ne parvenait à lire dans les pensées des hommes, et se contentait de cris qui tenaient plus du piaillement que des véritables grognements.

Elle le prit dans ses bras, rassurée par sa chaleur qui augmentait chaque jour un peu plus. Bientôt elle ne pourrait plus le tenir contre elle. Il avait grandi et ses dents avaient percés les gencives tendres. De petit chiot innocent, il était devenu jeune poney carnivore. La compagnie des autres dragons accélérait sa croissance. Un jour, le reptile deviendrait la légende dont parlait le conteur, plongeant de ses immenses ailes noires le monde dans l'obscurité.

Nevenoe tourna le visage jusqu'aux dragons adultes, réunis une fois de plus. Celui de la montagne était légèrement descendu, déplaçant un pan complet de roche dans son mouvement. Cette dernière s'était incrustée dans sa peau, colorant ses ailes de lichen et de primevères. Sa tête, aussi grosse qu'un dragon tout entier, soufflait un air brûlant sur ses semblables. Depuis combien des siècles voyait-il le monde avancer ?

Nevenoe se releva et elle croisa son regard vert. La chasseuse garda pourtant la tête haute, le vent s'engouffrant dans ses cheveux roux pour mieux les faire voleter autour de son visage. Les pans de ses vêtements claquaient tout autour d'elle, tentant de la faire chuter de la hauteur où elle avait trouvé refuge. Ses appuis étaient ceux d'une guerrière. Et ses doigts fermement serrés sur Dubh lui permettaient de ne pas perdre pied. Il la rassurait, l'entraînait à y croire.

Alors la meneuse descendit la pente abrupte qui menait jusqu'au conseil des dragons, sans jamais lâcher le reptile. Le souffle brûlant de Dubh contre son derme lui offrait courage et puissance. Elle se sentait prête à affronter une armée. Qu'elle soit seule ou accompagnée des puissants dragons.

Ils tournèrent tous leur tête vers elle. Flammèche humaine au milieu de ceux qui créaient le feu, elle n'était qu'un ridicule insecte qu'ils pouvaient écraser trop vite, trop fort. Une simple braise face à un brasier trop immense. Peu lui importait. Elle avait besoin d'eux, autant qu'ils avaient besoin d'elle. Mageia finirait bien par venir les chercher et les exterminerait les uns après les autres simplement pour avoir été des créatures de ses Sœurs. Nevenoe leur offrait l'opportunité de se battre bien avant. Et se servait d'eux, sans vouloir l'accepter. Le Baron n'était pas de leur combat, mais elle savait, au plus profond de son cœur bouffé par la folie des hommes qu'il plierait le genou sans la moindre défiance devant celle qui apportait trop de pouvoir. Jamais Eiti ne resterait insensible à l'appel de la puissance. Il n'en avait jamais été capable.

[...]  

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant