Chapitre 11.2, Le coeur des Vatners

59 14 15
                                    


Lorsque le navire fut amarré, Hvitur demanda aussitôt à voir le Grand Herrevann. Guidant sa troupe de faux vatners, il les mena jusqu'au cœur de Uibhsterk, le Hjerte, où logeait celui qui menait les îliens à travers les raids et les pillages – comme un Roi, le Grand Herrevann avait autorité sur tous les vatners. Seuls quelques idiots et autres inconscients refusaient sa supériorité – le dernier en date, latr, avait été réduit en centre par Helvar Noirsonge, petit chien fidèle du Grand Herrevann.

Il n'était nul bâtiment plus beau que le Hjerte sur les Îles Vatner ; tout fait de bois à l'origine, il avait été renforcé de pierre. Dans les murs, des runes étaient gravées, contant l'histoire des vatners à leurs origines. Uibhsterk avait été épargné par le zuhyre qui avait sévi sur les côtes, mais ceux qui avaient fait face à sa colère et y avaient survécu étaient venus s'y réfugier. Le Hjerte était entouré de huttes de fortune où logeaient hommes, femmes, enfants – on y trouvait des grands blessés à l'abdomen négligemment recousu, des traumatisés qui tremblaient comme des feuilles, des orphelins qui pleuraient encore leurs proches.
Hvitur laissa son regard couler sur eux, insensible à leur peine. Son éducation lui avait appris à être fort, trop fort, et ce qui touchait les autres le laissait de marbre – surtout lorsqu'il s'agissait de vatners qui lui étaient inconnus, ces barbares auxquels il n'avait pas souhaité appartenir, ce peuple qui l'avait rejeté avant qu'il ne tourne les talons et s'en aille finalement de lui-même. Puis il franchit les portes, jetant simplement un regard prudent à Karona et Afi qui le suivaient de près, en silence – qu'ils continuent ainsi.

Au fond du Hjerte, sur un grand trône tout fait de bois et de fer, était assis le Grand Herrevann, Oksvart de son nom. Il était bien plus grand que lui, haut de plus de six pieds, et son visage parcouru de cicatrices était partiellement camouflé par son épaisse barbe et ses longs cheveux. Il inspirait la crainte, véritable vatner qu'il était. Mais Hvitur était plus intelligent, et espérait que cela suffirait. Arrivé devant lui, il saisit sa hache et la frappa contre sa poitrine.

— Hei, Herrevann, dit-il d'une voix forte.
— Hei, Hvitur du Clan Tsov. Pourquoi es-tu là ?

Sa voix sonnait comme un reproche. Évidemment, tous savaient que le fils d'Havsvaerd, guerrier vatner émérite, avait tout abandonné au nom des Sides. Tous savaient qu'il avait été fasciné par un Fils de la religion de Lumendra et qu'il avait laissé celui-ci empoisonner son esprit, lui apprenant à lire et à écrire, lui apprenant à prier Lux et Nox. Pour le punir de cela, Havsvaerd l'avait tué de la plus cruelle des manières, lui ouvrant la poitrine pour extirper ses organes alors qu'il était encore vivant, sous le regard de son fils.
C'était suite à cela que Hvitur était parti.

— La Grande Guerre se prépare, Herrevann. Je viens au nom du seigneur Vrekim Amal, demander à ce que les vatners prennent position dans les conflits à venir.

Oksvart se mit à rire franchement, et tous ses hommes réunis sous le Hjerte se laissèrent aller à l'hilarité. Des doigts se pointèrent vers Hvitur, les éclats de rire autour de lui lui transpercèrent le cœur, le rappelant à la triste époque où il avait choisi l'intellect et les Sides plutôt que la barbarie et Uibh.

— Tu parles comme les continentaux, lâcha Oksvart entre deux rires gras.

Le renard pinça les lèvres. Son regard fouilla les alentours à la recherche d'un visage connu, espérant soudain trouver sa famille. Et peu importe qu'il s'agisse de son père qui le haïssait, il espérait les retrouver tous – sa mère, son épouse, son cadet, et surtout son enfant. Mais il ne les trouvait pas. Il reposa un regard furieux sur le Grand Herrevann.

— Peu importe. Vous devez prendre position, tonna-t-il.

Les rires se turent soudain, les bruits s'éteignirent, et ceux qui jouaient du tambour ou du luth au-dehors cessèrent. Oksvart le fixait d'un œil mauvais, poussant sur ses deux bras pour se lever de son trône et s'avancer d'un pas vers lui.

— Qui es-tu pour me donner des ordres ?
— Hvitur du Clan Tsov, siffla le renard.
— Et tu crois que ça suffit ? Voyons mon garçon, nous savons tous ici que tu n'as pas de couilles.

Hvitur resserra ses doigts autour du manche de sa hache, inspirant longuement. Encore et toujours, les insultes pleuvaient à son égard, et son habituel entrain s'éteignait dès lors qu'il retrouvait les siens.

— Que voulez-vous en échange ? Si vous acceptez de m'aider, que demandez-vous ?, cracha le renard. De l'or, du pouvoir, des femmes ? Je vous offrirai tout en échange des armes des vatners.

Oksvart sourit en coin, descendant lentement de la petite estrade qui soutenait le trône pour s'approcher encore. Il regarda Hvitur en le contournant d'un pas nonchalant, le défia du regard alors qu'il s'approchait de ses hommes. Il les détailla de ses yeux noirs, et s'arrêta sur Karona – d'un geste, le Grand Herrevann la saisit à la mâchoire, pressant ses joues de son pouce et de son index pour la regarder de plus près. Approchant son visage d'elle, il renifla son cou, sourit un peu plus et la relâcha. Puis il regarda Afi, ricana un instant.
Hvitur recula d'un pas, posa sa main sur l'épaule du fils des sables pour le ramener derrière lui. Il planta son regard furieux dans celui d'Oksvart.

— Tu te bâts donc du côté des Ramales... Du côté de Lux, je suppose. Ta chère et tendre, ricana-t-il.
— Je me bâts contre Mageia.
— Et tes hommes des sables, déguisés en insulaires ? Qu'as-tu à dire de ça, Hvitur Tsov ?

Le renard pinça les lèvres, sentant sa mâchoire se crisper. Il maintint l'épaule d'Afi, refusant de lâcher le garçon qui tentait de s'arracher à sa poigne, jeune chien fou qu'il était.

— En plus de l'or et du pouvoir, je veux cette femme, dit Oksvart en pointant Karona. Elle sent la noble, j'aime son odeur. Et le gamin, aussi. Tu as l'air de bien l'aimer.

Un long frisson coula dans le dos du renard. Comment osait-il ? Sous la colère, ses doigts se crispèrent et il entendit Afi couiner dans son dos. Il relâcha sa poigne sur l'épaule, croisa le regard effrayé de la reine déchue, et se tourna pleinement vers le chef vatner.

— Vous n'aurez ni l'un, ni l'autre, cracha-t-il.
— Alors tu te débrouilleras seul, Hvitur. Demande donc de l'aide à tes déesses. Sous mon autorité, tant que je serai Grand Herrevann des Îles Vatner, aucun de mes hommes n'ira se battre pour les Sides.

Disant cela, Oksvart bouscula Hvitur d'un grand coup d'épaule qui le fit reculer d'un pas, et il retourna se percher sur son trône. Autour du renard, les rires fusèrent. A nouveau, il était le petit Hvitur, le renardeau, celui qui misait tout sur son esprit aiguisé alors que ses semblables ne comptaient que sur leurs haches et le sang qu'ils faisaient couler.
Dans son cœur, les tambours de guerre s'activèrent, furent martelés de mains folles, il entendit les pas des guerriers, leur démarche militaire marquée, il entendit le tintement fou des armes. La Grande Guerre commença en sa poitrine, en son corps, et Hvitur releva son visage tiré par la colère, la rage, l'humiliation – il planta son regard clair dans celui, tout de charbon fait, de son supérieur et nouvel ennemi.

— Alors, Grand Herrevann, Oksvart Noire-Hache, je te défie, cracha-t-il.

Et alors qu'il réalisait seulement la dimension de ses propos, il sentit Afi s'accrocher à lui, Karona se rapprocher d'un pas – il entendit le silence qui brusquement écrasait les rires. Et il vit Oksvart qui dévoilait ses dents noires dans un sourire mauvais.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant