Chapitre 26.1, La fureur des Vatners

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HVITUR


Perché sur une dune, Hvitur menait sa troupe. Son souffle était court, sa gorge asséchée, et l'air qu'il inspirait était lui-même gorgé d'une chaleur insoutenable. Il se retourna pour observer ses hommes qui avançaient lentement, le roulement du sable sous leurs pieds les faisant trébucher et glisser. L'étendue ocre semblait onduler sous l'ardeur des deux soleils qui baignaient le monde d'une lueur rousse, écrasant les vatners sous ces températures dont ils n'avaient pas l'habitude. Ils avaient perdu deux hommes dans leur traversée, ne s'arrêtant que pour les enterrer parmi les dunes et leur offrir un dernier hommage. La crainte de ne jamais voir le bout du désert de Nariin s'insinuait en chacun d'eux, et leur meneur peinait à leur offrir le courage nécessaire pour continuer leur avancée parmi les terres. Et puisqu'il avait été choisi pour les mener, puisqu'eux avaient accepté de le suivre, alors ils acceptaient ses décisions.

Depuis son perchoir, le renard laissa finalement couler un sourire sur ses lèvres. Un soupir d'aise s'en échappa tandis qu'il ressentait déjà l'humidité de l'oasis, son léchage contre sa peau que l'aridité de l'erg avait asséchée. Laissant un rire soulagé échapper à sa gorge rêche, il ne tourna même pas la tête vers ses compagnons tandis que l'un de ses bras se levait pour attirer leur attention.

— Nous y sommes, souffla-t-il.

Ses yeux clairs caressèrent les tours du Fort d'Aurovao, s'aventurèrent sur l'eau de l'oasis tandis qu'il reprenait sa marche pour redescendre la dune. Derrière lui, Afi avançait à l'aide d'un bâton qu'il plantait dans le sable, ses pas se faisant experts parmi les sables. Hvitur lui adressa un sourire avant de poser son regard sur Karona, montée sur un cheval à la robe sombre. Son visage restait figé, la tristesse ne l'ayant quittée – mais dans ses yeux luisait une rage et une détermination à toute épreuve. Leurs regards se croisèrent et elle eut un léger sourire en arrivant à hauteur du nouveau Herrevann.

— Je croyais que nous n'y arriverions jamais, admit-elle.
— Faites donc confiance au grand chef de guerre que je suis.

Hvitur eut un sourire en coin en prononçant ces mots, se remettant en route en observant les lieux qui semblaient avoir changé. De nombreuses tentes étaient plantées, encerclées d'oriflammes portant divers blasons, et l'étendue de sable au loin semblait gorgée de sang. Il fronça légèrement les sourcils, s'avançant toutefois jusqu'au bord de l'oasis où il se laissa tomber à genoux pour se passer un peu d'eau sur le visage. Il soupira en relevant ses yeux vers le fort, dont sortait déjà Qeder, s'approchant de la troupe d'un pas vif.
Le renard se releva pour faire face au jeune homme qui piquait vers lui, fier aigle de la maison Asinis qu'il s'avérait être.

Le fils des sables leva son poing pour l'abattre vers Hvitur, mais celui-ci attrapa son bras et le tint fermement.

— Vous avez osé emmener mon frère sur les îles, cracha Qeder.
— Ton frère va très bien.

Le ton du renard était sec et il repoussa l'aigle vers l'arrière, son regard lui intimant de ne pas recommencer une chose pareille. Il était plutôt malin pour un insulaire, mais restait un vatner. Mieux valait ne pas le provoquer. Soudain, Afi fila entre deux, comme souhaitant s'interposer. Hvitur eut un sourire en coin. Volonté de fer, songea-t-il en posant une main sur son épaule, plongeant son regard clair dans celui de Qeder.

— Nous devons voir Tahir.
— Je vais vous mener à lui, siffla le fils des sables.

D'un signe de tête, il invita le renard à le suivre. Celui-ci fit signe à ses hommes de l'attendre, intimant d'un regard la Reine déchue et son père à le suivre. Karona avait sa place au cœur des intrigues ; Havsvaerd, quant à lui, était un grand homme, respecté et même craint, un guerrier de renom sur les îles – il serait parmi ses généraux, et Hvitur comptait bien faire comprendre à Tahir que lui aussi était désormais doté d'une certaine puissance.

Ils traversèrent les couloirs du fort avant de parvenir enfin au bureau qu'occupait Tahir. Qeder frappa à la porte avant d'entrer, suivi des deux vatners et de Karona. Les yeux de glace du Asinis se levèrent aussitôt vers eux. D'un geste, il les invita à s'asseoir, ce qu'ils firent. Seul Hvitur resta debout, constatant l'absence de Vrekim sans le faire remarquer.

— Qui est-ce ?, demanda d'abord le seigneur déchu en regardant son père, méfiant.
— Havsvaerd Tsov, mon père, répondit le renard. Je me suis rendu aux Îles Vatner pour y demander l'aide du Grand Herrevann, qu'il place ses armées de notre côté.

Tahir plissa les yeux en observant le chef du Clan Tsov, puis Hvitur. Il suintait la défiance, ses yeux les foudroyant de sa colère. Il n'avait pas autorisé cette expédition. Mais sans qu'il le sache, Vrekim l'avait fait.

— Et qu'a répondu le Grand Herrevann ?, demanda-t-il d'une voix forte.
— Il a refusé.

Le seigneur déchu siffla, son regard glacé semblant se durcir un peu plus tandis que la rage grimpait en lui. Hvitur s'éclaircit la gorge avant de reprendre.

— Il a refusé alors je l'ai provoqué en duel. Je suis le Grand Herrevann.

Les yeux de Tahir remontèrent vers le renard avec surprise, le sondant à la recherche d'une quelconque trace de mensonge.

— Mes hommes sont ici. Ils iront où je leur dirai d'aller. Et ils feront ce que je leur dis de faire. Mais la question est, où va-t-on, et que fait-on ?
— La question est surtout, combien avez-vous d'hommes valides ? On ne lance pas une guerre si facilement. Il ne suffit pas d'avoir vingt soldats et de les jeter dans une bataille.
— Sibille a pris Talumen avec bien peu d'hommes, Tahir.

L'intéressé tourna la tête vers Karona, dont le regard sévère le fixait. Elle avait vu le massacre et y avait échappé de peu.

— Mais elle est Reine aujourd'hui, ce que vous n'êtes plus. Et avec son chien fidèle, elle s'est mis Talen dans la poche, lui asséna-t-il. C'est sans compter les nouveaux alliés qui la rejoignent chaque jour car elle détient l'imprenable cité de Talumen.
— J'ai avec moi sept cents hommes valides, trancha Hvitur.

Tahir releva avec étonnement la tête vers lui.

— Sept cents ?

Hvitur acquiesça, la mine sérieuse.

— On n'a jamais vu des vatners se battre aux côtés des continentaux. Qui me dit qu'ils me suivront ?, siffla Tahir.
— Ce n'est pas vous qu'ils suivront. C'est moi.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant