SIBILLE
Le jour s'était déposé sur la cité de Talumen avec lenteur, mais la lueur rougeoyante du ciel était restée, pesant lourdement sur le monde, comme l'œil malveillant d'une déesse vengeresse. Mageia semblait planer au-dessus de Nokrov, un sourire baigné de sang étalé sur ses lèvres pulpeuses. Les représentations qui avaient été faites de la Rouge la montraient sublime ; elle était femme pour laquelle on déclenchait une guerre, femme à faire battre tous les cœurs. Elle était femme trop belle, mais aussi trop perverse. Et Sibille était parfaitement consciente de ses vices.
Mais la différence réelle entre Mageia et ses sœurs était là – elle, assumait pleinement la pourriture de l'âme humaine, tandis que les deux autres se cachaient derrière un faux sourire empreint de bienveillance. Pour autant, leurs cœurs n'étaient pas plus bons que le sien.
La Reine autoproclamée se tenait sur le balcon de la salle du trône, là où elle avait passé sa nuit à admirer les combats et les horreurs commises en son nom. Le sang avait coulé, celui de ses ennemis plus que celui de ses hommes. Les hordes fanatiques s'étaient déversées comme un flot d'oiseaux prédateurs sur les adorateurs des tigres. Ses fidèles s'étaient terrés, des mois et des années durant, dans tous les recoins de la cité – et c'étaient tels des insectes nuisibles, cafards dans les profondeurs de Talumen, qu'ils s'étaient extirpés de la ville basse comme des couloirs du palais. Cernés, les félins couronnés s'étaient vite retrouvés démunis. Il n'avait suffi que de peu de temps pour que la cité tombe aux mains de la Rouge.
Son sourire planait toujours sur les lèvres de Sibille, pour cette victoire qu'elle avait offerte à sa déesse. Elle lui avait toujours promis de grandes choses, et ce jour-ci, elle avait exaucé le vœu le plus profond de la Rouge – elle lui avait offert une couronne.
Avec le soleil qui se levait, les combats s'étaient éteints. Tout était redevenu calme, un calme froid, un calme d'angoisse. La ville semblait retenir son souffle et, en contrebas, les hommes d'armes qui avaient été capturés avaient été alignés dans la cour, attendant leur jugement. Sibille les observait de son œil fier. Ses mains reposaient sur le garde-fou et son palpitant vibrait sous la hâte tandis qu'elle voyait les oriflammes portant le tigre être abaissés et enflammés, bien vite remplacés par le blason des Asinis.
— Votre Altesse, il est l'heure.
Elle se retourna pour faire face à celui dont elle avait reconnu la voix. Son regard se teinta d'émotion, un sourire empli de joie dévoila ses dents, et Sibille se précipita auprès de son frère cadet pour le prendre dans ses bras. Sa tête reposant contre son épaule, elle ferma les yeux, sereine et heureuse d'enfin le retrouver. Elle s'écarta de lui après de longues secondes.
— Tu m'avais manqué Ambiose, souffla-t-elle.
Il sourit à son tour, caressant ses cheveux qui avaient retrouvé leur nature. Ils étaient redevenus blonds, parés de reflets rougeoyants, du sang de Mageia. Au lendemain des combats, elle avait enfin retiré cette affreuse teinture camouflant sa nature profonde. Frère et sœur étaient si semblables si l'on oubliait ce détail, ce reflet d'épouvante en la chevelure de l'Élue.
— Tu m'as manqué aussi, Sibille. Je suis si fier de ce que tu as accompli.
— Je ne souhaite que rendre Mageia fière.
L'orgueil pointait en la voix de la nouvelle Reine, qui retourna au balcon, entraînant derrière elle son frère pour qu'il admire son œuvre, ce qui désormais leur appartenait. La ville était magnifique, luisant sous l'écarlate malgré les quelques bâtiments que le feu avait rongé. Certains de ses fidèles, emportés par l'éclat de leur victoire, s'étaient permis de brûler ce qui ne leur seyait pas – certains conservateurs s'étaient attaqués aux bordels et aux tavernes, d'autres avaient simplement mis le feu aux maisons de leurs ennemis. Ceux-ci avaient été punis. Sibille ne faisait aucune différence entre les gens – des putains, des taverniers, des soûlards, des abrutis, même des infidèles, peu lui importait tant qu'ils étaient derrière elle. Elle était tout ce qui importait désormais. Elle était l'avenir de Nokrov, leur guide à travers le règne sanglant de la Rouge.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasíaLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...