Chapitre 22.2, Un règne de terreur

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[...]

 Les fils des Carmines se relevèrent pour scander la gloire de la Reine Sang, leur amour pour elle. Si, en façade, la Reine souriait, son œil se faisait incertain. Pourtant, dans son esprit chantonnait la Rouge, d'une voix rieuse.

Réjouis-toi, ma fille.

Sibille baissa les yeux, l'espace d'un instant. Puis, prenant une longue inspiration, elle descendit les marches pour arriver auprès des siens, approchant de celui qui les menait. Celui-ci ôta son casque pour dévoiler son visage et inclina le buste face à la Carmine. Elle retint un sourire trop avenant face à lui, réprimant la joie qu'elle avait en revoyant ces traits. De son père, Sibille tenait les yeux de givre et les cheveux clairs. Du reste, hélas, elle tenait de sa mère – une femme qui n'avait pour elle que sa beauté et un trop plein de gentillesse.

La Reine leva le menton, jaugeant celui qui lui était désormais inférieur.

— Lord Anemos Asinis, en votre qualité de Grand Général des armées des Carmines, vous êtes un chef de guerre sans pareil. Les grades militaires les plus élevés de la capitale sont déjà occupés, mais je ne doute pas de votre efficacité à venir sur les champs de bataille. Satisfaites-moi, et je vous ferai Grand Maréchal des Forces Armées de l'Ouest, comprenant Nord et Ramales en plus des Carmines, lorsque toutes ces régions seront enfin conquises.

Fidèle à lui-même, Anemos resta de marbre, ne la remerciant que d'un hochement de tête sévère. Il avait enseigné à sa fille la froideur et la force, laissant à sa propre mère le mensonge et la manipulation. Il s'abaissa pour baiser la main de la Reine avec respect. Puis, se redressant, il adressa un regard à ses hommes, tirant son épée pour la lever.

— A la Reine Rouge, notre Carmine et notre guide, Sa Majesté Sibille Asinis !

Tous suivirent, bien trop fiers de voir ce nom couronné à nouveau. Le cœur de la susnommée se gonfla de fierté et elle se permit un regard narquois à l'ombre qui encore filait contre les murs. Jamais Mageia ne ferait d'elle une vulgaire poupée, un pantin dans son jeu macabre. Un sourire tordit alors la commissure de ses lèvres et elle leva fièrement le menton. Sibille n'avait rien d'un esclave ou d'un pion – elle était une Reine.

* * *

Un repas privé avait été organisé dans l'un des salons les plus prestigieux du palais, le premier à avoir été décoré des couleurs des Carmines suite à la prise de Talumen. Par ses espions, Sibille avait appris que Kreivis y emmenait la plupart de ses maîtresses, exposant sa toute-puissance dans cette pièce baignée de luxure. La Carmine racontait cela à ses invités d'honneur, se gaussant de ce faux-roi qu'était le tigre, leur arrachant des rires francs. Ses mots lui écorchaient la bouche, pourtant, elle devait continuer – elle devait se rappeler qui elle était. Une enfant du sang, la Carmine, la Fille Élue de Mageia, la Reine Rouge.

Elle avait réuni ses hôtes les plus éminents – les membres de sa famille ainsi que les principaux généraux des Carmines. Dans une ambiance festive, le vin coulait à flots et les mets les plus raffinés étaient servis par les servants qu'elle avait rendus esclaves.

La vieille dame qui dirigeait les différents serviteurs se tenait dans un coin de la pièce, muette, les yeux frémissants. La peur n'avait plus quitté ses yeux depuis la nuit sanglante, pourtant, Sibille lui avait réservé un traitement des plus doux. La Reine l'observait, curieuse quant aux sentiments qui l'animaient – puis la voix tonitruante de lord Pagon arriva à ses oreilles, faisant trembler un peu plus l'aïeule. La Carmine fronça les sourcils et observa le seigneur, un homme gras dont les bajoues semblaient applaudir à chacun de ses rires. L'homme avait visiblement abusé du vin de Talen qu'ils dégustaient.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant