ALYSSA
Seul le silence entourait la jeune femme alors qu'elle suivait Qeder. Elle ne lui accordait pas un regard, concentré sur les couloirs qu'ils remontaient et la chaleur encore trop lourde. Les soleils s'étaient enfin couchés sur l'horizon, laissant la lune la caresser d'une fraîcheur qu'elle seule ressentait. Ils sortirent, sans un autre mot. Le silence leur seillait si bien, cape de ténèbre qu'Alyssa aurait voulu entourer autour d'elle pour ne plus jamais la quitter. Elle était bien ainsi. Le regard visé sur l'horizon, sur les dunes de sables qui remplaçaient si bien les arbres et les vallées de son enfance. D'autres montagnes, d'autres espoirs. Elle en avait le coeur chargé et l'esprit rempli. Leurs nouveaux alliers étaient étranges, violents, dominants et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'espérer. Durant une seconde, Alyssa se laissa aller à l'enfant qu'elle aurait voulu rester encore un peu. Elle en oublia les tragiques souvenirs et les terribles pertes. Elle s'enfuit dans ses souvenirs, se perdit dans les mots de son père, dans les bras de son frère. Elle avait envie de voir Alessandre. De comprendre, de parler. De pleurer presque.
Ses yeux étaient pourtant terriblement secs alors qu'elle le tourna vers celui chargé de la surveiller. Il ne ressemblait pas aux hommes qu'elle avait toujours connu. Plus fins, plus bruns. Ces yeux noirs aspiraient la lumière et absorbait son regard de leur profondeur. Elle se prit à sourire, une seconde. Avant de brusquement détourner les yeux lorsqu'elle vit que lui aussi la regardait. L'horizon ne l'intéressait pourtant plus. Le décors de l'Oasis puait la guerre et la mort. Il y avait eu trop de corps éventrés, trop d'âmes prises. Alysa ne voulait pas de ce monde. Ne voulait pas de cette violence. Elle ne voulait que se battre comme un homme. Ne voulait qu'être autre chose que la petite noble qu'elle aurait dû devenir.
Le destin avait un drôle de sens de l'humour.
Roulait, à seulement quelques pas d'eux, l'eau dans une fontaine. Au milieu du sable et de la chaleur, des plantes luxuriantes fermaient lentement leur fleurs trop colorées pour la fraîcheur de la nuit. Alyssa voulu s'en approcher, en sentir le parfum intriguant.
— Tu n'as pas trop froid ? demanda Qeder, l'interrompant dans ses gestes. Les nuits sont glaciales ici, mais j'avais besoin de m'aérer. Mon père... est ce qu'il est.
Elle ne pu empêcher le sourire qui vibra sur ses lèvres avant de rapidement s'évanouir. Le simple souvenir de son père rappelait à elle des douleurs acides au creux de son coeur. Elle n'avait pas pu lui dire au revoir. Pas même pu comprendre ce qui le faisait l'offrir aux vatners; Elle lui en voulait, c'était certain. Mais pas au point d'accepter sa mort ou de la souhaiter. Pas au point de retenir ses larmes. Artos avait changé, trop changé, sous le poids de sa couronne. Il l'aimait. L'avait toujours aimé. Et la gorge d'Alyssa se nouait encore à la simple pensée qu'il n'était plus.
Elle ne répondit pourtant pas à la question. Seul son regard infirmait les mots du ramalien. La fraîcheur l'aidait. La fraîcheur était fille de Nox, soeur de son corps. Elle craignait bien plus l'ardeur du soleil. Ne frémissait déjà plus sous la douceur de la lune. Ses doigts s'approchèrent de la balustrade. Ils rencontrèrent le marbre, roulèrent sur la surface glacée.
— Tu viens de Port-Mauer, donc... Comment est la vie, là-bas ?
—Douce.Le mot s'échappa de ses lèvres, étrange dans sa chaleur. Elle ne répondait plus que par l'agressivité à ceux qui l'accompagnaient. N'ouvrait qu'à peine la bouche. Elle, si bavarde et si joyeuse, n'était devenu que l'ombre de ce qu'elle avait été.
Elle fixa Qeder, se vit dans ces yeux aussi noirs que le charbon. Peut-être pouvait-elle enfin baisser sa garde ? Nox ne lui hurlait pas de fuir, ne l'obligeait pas à se taire. Tous pouvaient être des ennemis mais Alyssa n'en pouvait déjà plus. Elle avait besoin d'allier. Plus encore. Elle avait besoin d'ami.
— A l'exception de quelques attaques de vatners, la vie y est belle.
Les yeux de la jeune fille s'illuminèrent aux souvenirs de son monde. De ce qu'elle rêvait de pouvoir retrouver lorsque cette guerre étrange serait terminée. Elle acceptait la présence de Nox. Acceptait de se battre pour elle, de lutter pour elle. Mais espérait, secrètement, pouvoir un jour retrouver ce qu'elle avait perdu alors même qu'elle partait sur ce bateau vatner terrible. Elle se plaignait. N'imaginait pas à quel point cette vie était pourtant si agréable.
—Il y a un port que tout le monde devrait voir un jour. J'y passais presque tout mon temps, à regarder les bateaux rentrer, les hommes partirent et enlacer leurs femmes pour mieux revenir. Jamais je n'ai vu de si beaux sourires.
Son regard se voilaient pourtant déjà. Elle n'en reverrais plus d'autres tant qu'ils n'auraient pas fini cette guerre promettant tant de morts.
—Les Ramales ont l'air magnifiques aussi. J'aimerais les découvrir un jour... Quand tout sera fini.
Sa voix se chargeait de mélancolie et déjà ses traits perdaient de leur candeur enfantine. Alyssa ne serait plus jamais la petite sauvageonne qu'on disputait avec un sourire. Elle devait mener une armée. Détruire tant de vies pour une simple idée de suprématie. Elle ne voulait pas. N'avait pas le choix.
— Je pourrai te montrer les Ramales.
La phrase sembla sortie de nulle part. Immédiatement, Alyssa tourna les yeux vers Qeder, juste assez vite pour le voir détourner le regard. Etait-ce de la gêne qu'elle lisait dans ses iris ?
—Enfin, c'est dangereux, quand on ne connaît pas le coin. Même Tahir ne s'y fait pas.
La griffonne ne pu empêcher le sourire qui frémit sur ses lèvres. Le danger, bien que si faible face à ce qui l'attendait véritablement, la faisait encore frissonner. Elle rêvait déjà aux chevaux entre ses cuisses, aux courses poursuites qu'elle avait pu avoir avec Alessandre. Et, alors qu'elle le regardait fixer l'horizon, elle se sentit presque libre. Il lui proposait une voie qui lui permettrait, à peine pour quelques heures, d'oublier que sur ses épaules pesait le destin de Nokrov. Alyssa n'était pas Synsivik. Si elle avait été choisie par Nox, elle ne s'imaginait pas toute puissante. Savait que la magie entre ses doigts pouvait aussi bien prendre et détruire qu'offrir. Refusait de s'enfermer dans les vices de ces pouvoirs.
— Ce sera avec plaisir, répondit-elle, une flamme dansant au creux de ses yeux clairs.
Ils échangèrent un regard, unique. Déjà Qeder retournait à la vision de son pays, de ces terres ensablées qui jamais ne se terminaient. Ici, l'horizon était aussi doré que le spectacle à leur pied. Les montagnes étaient faites de pierres brisées. Par de montagnes. Pas de sommets enneigés. Juste le sable, à perte de vue.
— Mais Port-Mauer semble magnifique, repris le ramalien. Plus que la capitale. Ne va jamais là-bas, je te le conseille.
Une question frémit dans le regard d'Alyssa mais seul le sourire de Qeder lui répondit. La capitale était tombée et la griffonne n'osait imaginer ce qu'avait vu l'homme présent durant la Nuit Sanglante.
— Tu rentreras chez toi après tout ça, je te le promets. Tu retrouveras les bateaux, les hommes saluant les femmes, et les sourires. Après l'ombre revient toujours la lumière.
[..]
![](https://img.wattpad.com/cover/204850498-288-k903254.jpg)
VOUS LISEZ
Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasíaLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...