SYNSIVIK
La chaleur écrasante des deux soleils pesait sur les épaules de Synsivik et il sentait son visage s'empourprer. Pourtant, toujours guidé par les anciens conseils de l'Aîné, le fils de lumière restait statique, acceptant chaque mal comme un signe de puissance. Il savait que la Blanche roulait entre ses veines et que les pouvoirs remplaçaient le sang. Il était né pour s'élever, pour grandir et pour un jour régner. Ses yeux bleus affrontèrent le soleil écarlate et une moue tordit son visage impassible – la Reine-Sang paierait pour ses multiples affronts au monde de Lux, tout comme les autres paieraient aussi leurs erreurs et le mal qu'ils semaient derrière eux. Alyssa pour son insolence. Isendre pour son meurtre. Tahir pour sa suffisance.
Tous subiraient un jour le châtiment de la lumière, verraient se déverser sur eux son courroux. Il se l'était promis. L'avait promis à sa déesse.Pourtant, alors qu'il ne cessait d'entrecouper ses prières de promesses, Lux restait muette. Le laissait seul face à des alliés trop hostiles. Des gens qui refusaient sa suprématie pourtant évidente. Alors que l'astre malfaisant brûlait ses rétines, il se couvrit les yeux d'une main. Derrière lui déjà résonnaient des pas lents et légers, d'une démarche qu'il devinait gracieuse. Une femme dotée de bien trop de pouvoirs approchaient, l'arrachant à la quiétude qu'il était venu chercher au cœur des jardins d'Aurovao.
— Synhvid, murmura la voix.
Il ferma les yeux, contint son agacement. Ce nom était celui du Prince, or le fils élu passait avant le garçon au sang bleu. Malgré tout, Synsivik força à ses lèvres un sourire et se retourna pour faire face à sa mère. Une Reine sans couronne. Sans trône. Sans terre. Et sans pouvoir.
— Mère, dit-il délicatement. Je ne vous avais pas entendue arriver.
Karona vint à lui rapidement, accrochant au visage sacré ses mains de vipère royale. Elle le regarda longuement sans dire un mot, le bonheur scintillant au cœur de ses yeux, un sourire faisant frémir ses lèvres. Déjà perlaient à ses paupières des larmes, comme à chaque fois qu'elle observait son fils. Il saisit doucement ses mains pour les caresser des siennes.
— Comme je suis heureuse de t'avoir retrouvé, mon fils. J'ai cru avoir tout perdu, mais toi...
La Reine déchue sembla perdre ses mots, ceux-ci s'embourbant dans un sanglot qu'elle réprima avec difficulté. Elle cligna plusieurs fois des yeux avant de reprendre dans un murmure.
— Mais toi, tu es avec moi désormais.
Pourtant agacé par les mots trop redondants de sa mère, Synsivik gardait à ses lèvres un sourire faussement heureux. Il ne se fichait que trop de cette femme qu'il ne connaissait pas et dont on lui avait dit bien trop de choses. Elle insultait les Sides par sa seule existence – une femme qui s'était couronnée de toute-puissance alors même que ces infâmes créatures, maudites par Mageia elle-même, ne méritaient rien de cela. Mais Synsivik devait espérer trouver en elle une alliée, sa seule véritable alliée. Et en l'absence de Lux, seul son instinct pouvait le guider.
— Je ne vous quitterai plus, mère. La première fois ne fut pas de mon propre chef. Sachez que cela n'arrivera plus. Plus jamais, souffla-t-il.
— J'aimerais justement que nous parlions de cela, Synhvid. J'ai besoin de comprendre. Nous avons eu si peu de temps tous les deux. Avec cette guerre qui se prépare, les hommes que nous attendons, les missives qui partent chaque jour et...
— Mère, ne parlons pas de la guerre. Je vous en prie.Il plongea son regard dans celui, si semblable, de Karona. Lui fit promettre par ce simple échange muet de se taire. De ne parler que de ce qui l'intéressait lui – de le laisser gagner son cœur et grignoter un peu de son pouvoir. La Reine frémissante entre ses doigts s'apaisa doucement tandis que les ongles de Synsivik blanchissaient d'une puissance trop discrète. Il ne contrôlait pas encore totalement ses pouvoirs, pourtant, il avait bien compris quelle était leur fonction.
Aveugler. Plonger dans les tréfonds de l'âme. Corrompre.L'Élu sourit doucement, proposant son bras à sa mère pour qu'elle l'accompagne à travers les jardins. Réprimant de nouvelles larmes de bonheur, l'esprit bien obéissant, Karona accepta et tous deux s'enfoncèrent dans le dédale de haies et de buissons. Seul point de couleur parmi l'or des sables d'Aurovao, les jardins étaient un lieu tranquille où les yeux et les oreilles n'allaient que trop peu se perdre. Les ramaliens étaient trop idiots, préféraient la compagnie du désert à celle des plantes, et celle de leur dieu maudit à la divine Lux. Passant devant une sculpture d'une femme nue, représentation d'une des figures d'Oneone, Synsivik ne put s'interdire une moue alliant dégoût et mépris. Il ne voyait en le peuple des sables qu'un ramassis d'ordures, de rustres et de mécréants. Que les Tréfonds les emportent. Que la Rouge se délecte de leur âme.
Ils arrivèrent bientôt au cœur des jardins, labyrinthe de haies parcouru de multiples chemins, où un banc faisait face à une fontaine. Ils s'y assirent et le fils de la lumière regarda autour d'eux, vérifiant que personne ne les observe, espérant que nul ne les écoute. Puis lorsqu'il retourna au regard de sa mère, il comprit qu'elle attendait des réponses. Prenant une profonde respiration, feignant la mélancolie, Synsivik plongea dans ses yeux.
— Lorsque je suis né, l'Aîné est venu au palais pour bénir ma naissance. Il a tout de suite su que j'étais le fils élu de Lux, et a craint que la Cour corrompe mon âme. Que je devienne un mécréant et que je me détourne de notre Mère. Il m'a fait remplacer par un autre bébé, mort, et m'a emmené discrètement avec lui jusqu'au Temple Supérieur. C'est là que j'ai été élevé, dans le respect de la Sainte Voie et dans l'ignorance du sang qui coulait dans mes veines.
— Comment as-tu su...
— Lorsque l'Aîné est mort dans l'attaque des fanatiques de Mageia, Lux m'a parlé et m'a aidé à m'enfuir. C'est en suivant sa voix que je suis arrivé jusqu'ici, et c'est aussi elle qui m'a tout raconté. Qui m'a montré ma véritable place, mon véritable nom... Ma véritable mère.La voix du fils de Lux s'éteignit dans un murmure et son regard s'était fait plus intense. Durant son récit, les mains de Karona étaient à nouveau venues crocheter les siennes, et Synsivik avait offert un sourire des plus tendres à sa mère – comme si le bonheur de se retrouver était réciproque. Un mensonge de plus, comme l'éclat du soleil aveuglant les Hommes. C'était ce qu'il devait incarner – un soleil aux rayons trop puissants.
La Reine s'approcha un peu plus de lui sur le banc pour caresser son visage, ses cheveux, détaillant ce fils que la vie lui avait trop vite arraché.
— Tu es si doux, Synhvid. Et je suis si heureuse de te retrouver. Tu aurais tant aimé... ta sœur...
— Nova, murmura le prince. Je vengerai sa mort, mère, je vous le promets. Sibille paiera pour ce qu'elle lui a fait subir, elle le paierai au centuple.Au nom de la Carmine, les yeux de Karona se gonflèrent de rage. Au fin fond de ses yeux dansaient les flammes d'une vengeance qu'elle réclamait de tout son être. Une vengeance qui lui serait offerte tandis que lui grimperait sur le trône, couvert des louanges de chacun, la puissance de Lux enflant sous le pouvoir qui lui serait offerte. Et plus jamais le soleil ne se tairait.
— Et le trône, tu l'auras. Tu redoreras le blason des tigres, tu ramèneras sur notre famille la lumière. Et jamais notre souvenir ne s'éteindra. Je t'offrirai cette couronne qui est tienne lorsque l'usurpatrice sera tombée, je te le promets. Et tu deviendras enfin Synhvid Iseal, Roi de Nokrov et de tous les Hommes, Seigneur de Talumen.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasyLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...