ALESSANDRE
Le silence l'entourait, posant sur ses épaules une chape de plomb que rien ne saurait alléger. Alessandre se sentait seul, terriblement seul. Pire encore. Il avait l'impression que le moindre de ces faits et gestes étaient épiés, pour mieux être offert à Sibille. Il ne pouvait plus se rendre au Coq Enchanteur, certain que la matrone en personne l'avait trahit, offrant sa fille à la reine pour s'assurer une paix totale. Le bordel les avait autrefois caché, avait accepté en premier les agissements de la Carmine.
Et aujourd'hui, Alessandre se retrouvait sans rien pour passer ses nerfs. Les sacrifices s'étaient fait peau de chagrin et, lentement, il avait l'impression que Sibille s'éloignait de la voie qui lui avait été tracé dans le sang de ses ancêtres. Il avait peur pour elle, pour leurs vies et pour la couronne qu'ils partageraient trop vite. Car si Alessandre s'était d'abords prêté aux jeux de la Rouge, c'était uniquement par ambition. Il s'était retrouvé pris à son propre jeu, happé par les yeux de glaces. Aujourd'hui, il fuyait Sibille. Mais ne pouvait s'empêcher de l'aimer trop tendrement. Il avait envie d'elle à chaque fois qu'il la croisait. Envie de s'excuser, de la prendre dans ses bras, de lui jurer que tout irait bien et qu'il serait, pour toujours, à ces côtés.
Il se contentait de s'enfermer dans son mutisme, pour mieux lui faire comprendre qu'il refusait les morts inutiles. Mageia voulait du sang et ils lui offraient. Mais il ne voulait plus de Nova, plus de jeunes aux yeux innocents. Plus de vierges effarouchées dont il avait trop joué.
Alors ce soir, toujours aussi seul, il enfila une cape d'un noir profond, tronqua ses vêtements royaux pour des vêtements plus simple. Plus de bijoux, pas d'armoiries clinquantes. Il ne daigna pas même offrir un regard à son épée au pommeau ouvragé, lui préférant une bâtarde à la garde banale. Alessandre attacha ses longs cheveux en un catogan tombant sur sa nuque, cacha ses yeux trop reconnaissables sous une écharpe de lin sombre. Il voulait échapper à la capitale une dernière fois, s'enfuir de cette atmosphère enfumée. Le mariage rendait la cour hyperactive et l'arrivée, récente, des Asinis avait terminé de lancer sur le Donjon l'effervescence des préparations. Jamais Alessandre n'avait vu le Palais Blanc aussi rempli, abondant de courtisans et de domestiques. Même la nuit, alors que les deux soleils se couchaient enfin, la vie continuait.
Il sortit de ses appartements et ouvrit la porte jointe à ces derniers. Togos y avait été installé, pour mieux protéger le futur roi. Hélant le chevalier, il lui ordonnant de le suivre. Le noble avait la mine fatiguée et ses yeux ne luisaient plus d'aucun éclats. Les domestiques racontaient à qui voulait bien l'entendre qu'il se laissait dépérir sans que quiconque ne comprenne pourquoi. Cela chiffonait Alessandre et pourtant, il profitait sans ménagements des talents du garde royal. Togos était devenu maitre d'armes, homme de compagnie et garde du corps, répondant aux ordres du griffon sans essayer de se rebeller. Voir un homme si fier et autrefois si nerveux transformé en chien laissait le coeur d'Alessandre incertain. C'était aussi beau que terrible, aussi grandiose que terrifiant. La magie de Mageia et le toucher de Sibille, offraient tout ce que les hommes rêvaient depuis l'aube des mondes.
— Tu es prêt ?
Le chevalier ne répondit pas tout de suite, attachant à sa ceinture deux dagues. Il finit par relever ces yeux clairs jusqu'à ceux du futur roi, lui enjoignant d'un signe de tête qu'ils pouvaient désormais partir.
— C'est prendre des risques inconsidérés... grinça le garde.
Alessandre releva un sourcil interrogatif, stupéfiait que l'autre ose prendre véritablement la parole. Il ne l'écouta pourtant pas, se contentant de lui dire de le suivre. Que Togos réfléchisse et énonce des paroles contraire aux volontés de son maitre pouvait être dangereux. Il gagnait, lentement, son indépendance. Pour tout ceux qui ne vivaient pas sous la contrainte, Alessandre avait tout d'un traitre.
Mais il ne le craignait pas. Si le chevalier était un épéiste hors du commun, Alessandre avait de son côté un manque certain d'honneur qui lui offrait des parades et des gardes que jamais Togos ne voudrait utiliser. Il serait peut-être blessé mais il gagnerait. Et serait débarrassé de son chien de garde qui, s'il était utile, n'en demeurait pas moins un élément trop dangereux.
Ils sortirent du Palais, empruntant une porte dérobée que Togos connaissait, reste des escapades nocturnes où il avait parfois rejoint sa reine. C'était bien l'une des premières choses qu'avaient fait Alessandre lorsqu'il avait mis la main sur le garde. Lui extirper, un à un, tous ces secrets. Découvrir que les commérages étaient réels, que Togos et Karona avaient vécue une liaison trop secrète. Que les murmures de la monarchie venaient, pour la trop grande partie, de vérité plutôt que des légendes.
Puis Alessandre s'en était lassé et avait décidé que Togos l'accompagnerait partout. Même en dehors de la ville, là où s'étendait des campements immenses. Combien étaient venu pour le mariage royal ? Les tentes offraient des myriades de couleur et les pavillons, sous le léger vent de la nuit, se gonflaient avec fierté. Des chevaux renâclaient dans des paddocks de fortunes, nourrit au foin depuis plusieurs semaines pour certain. Puis, à l'écart, c'était déjà monté d'autres merveilles. Des catins et des marchands avaient suivit les convois et ouvert des commerces de chairs et de bijoux au plus proche des campements.
Des hauteurs, où il se trouvait encore, il voyait le monde continuer de vivre.
— Allons-y.
Il ne savait pas lui-même ce qu'il comptait trouver. Il voulait surtout échapper à ces obligations, redevenir l'héritier coureur qu'on avait envoyé à la cour pour le responsabiliser. Retrouver, à peine une nuit durant, cette liberté qu'il chérissait plus que tout avant de rencontrer Sibille.
Il descendit la grande rue de Talumen, passa la Porte Dorée et goutta l'air qui, s'il n'avait pas changé, lui semblait déjà moins lourd. Il inspira, retrouvant un sourire qu'il n'avait pas affiché depuis des mois.
— Tu ne trouves pas ça magnifique Togos ?
— Je trouve ça dangereux.
— Tu es barbant. Tu ne t'es jamais amusé de ta vie ?Le chevalier ne répondit pas alors que Alessandre levait les yeux au ciel. Il ne desserra plus les lèvres, s'enfonçant dans les allés étrangement bien agencées. Ils avaient réussi à faire tenir un nombre de tentes incommensurables dans un espace trop petit. Face à leur ingéniosité, le futur roi se sentait fier de son peuple. Un sourire illumina son visage alors qu'il ôtait sa capuce. Ils n'étaient finalement pas nombreux à connaitre son faciès. Alessandre n'était qu'une ombre, à peine un époux qui les commanderait plus tard.
Il s'en fichait alors qu'il saluait les hommes, qu'il écoutait les discussions et qu'il découvrait des blasons dont il n'avait jusqu'ici jamais entendu parler.
L'un d'eux le fit froncer les sourcils. La vipère à corne, entortillée sur elle-même, noire sur fond orangé, était le blason d'une importante maison des Ramales. Voir ici une famille d'une région rebelle stupéfia le futur roi. Il s'approcha, les yeux brûlants d'interrogation. La vipère cornue, si ces souvenirs étaient exacts, appartenait aux Afeaa d'Eash. L'une des villes les plus au Sud de Nokrov, où la chaleur en devenait étouffante.
Des hommes et des femmes à la peau sombre discutaient autour d'un feu improvisé, se réchauffant. La nuit était pourtant bien douce mais leur vêtements de soie n'étaient pas assez épais pour les protéger. Ils se ressemblaient étrangement, leurs traits bien moins fins que leurs confrères des Ramales. Alessandre n'avait pas connu beaucoup de ressortissant de la région mais leurs femmes étaient souvent d'une beauté exotique enchanteresse. Eux n'avaient rien à voir avec leurs frères.
Ils arrêtèrent de parler alors que le futur roi s'avançait au milieu de leur campement. Il observait les toiles des tentes, faites de milles couleurs chatoyantes. Puis il s'arrêta en face d'eux, Togos sur ces talons. Durant une seconde, il réfléchit à taire son identité. A discuter dans le plus profond anonymat. Ses rêves de ballades discrètes à la lueur des flammes venaient pourtant de mourir. Il voyait là trop de questions et surtout, trop d'opportunité.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
ФэнтезиLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...