Chapitre 18.2, Le charnier de nos souvenirs

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L'ordre n'avait pas même besoin d'être lancé que l'autre s'était déjà statufié.

— Que s'était-il passé ici ? Où sont-ils ?

— Tu veux quoi ? C'est quoi cette bestiole avec toi ?

Dubh montra les crocs, se rassemblant déjà sur ses postérieurs pour mieux bondir. Nevenoe l'arrêta d'un geste de la main. Le petit dragon frappa de la patte, gronda et souffla de ses naseaux une épaisse fumée noire. Elle lui lança un nouvel ordre muet, qui le fit reculer.

— C'est moi qui pose les questions ici ! Il s'est passé quoi ?

— Le Baron voulait qu'on les tue, on les a tués. C'étaient des truands qui méritaient que la corde. On leur a offert une mort plus douce.

— Vous les avez tous tué...

— Ils le méritaient ! On pouvait pas laisser ces bandes va nu pieds chasser ici et vivre loin des lois !

Elle n'attendit pas un mot de plus alors que déjà, ses yeux s'embuaient de larmes. La lame glissa contre la gorge du soldat, traçant dans un sillon sanglant la fin de sa vie.

Nevenoe n'attendit pas qu'il ait fini de s'effondrer pour s'approcher de sa tanière.

Le cœur lourd, les joues déjà couvertes de larmes, elle observa les corps qu'ils n'avaient pas même pris la peine de brûler ou d'enterrer. Ils s'étaient battus, avaient essayé de luter mais les marques des lames ne laissaient aucun doute. La Meute avait eu, en face d'elle, des hommes expérimentés, habitués à tuer et décimer. Elle remonta l'allée centrale, les yeux assombris par le spectacle.

Dans un dernier sacrilège, ils avaient déshabillé chaque corps. Nevenoe n'osa pas même regarder ceux, entrainé à l'écart, qui appartenaient aux femmes. Les morts avaient été abandonné dans des positions ridicules, figés pour l'éternité et déjà attaqué par les mouches. Le feu avait pris dans certaines chaumières, arrêtées par l'humidité des Seascannes. Elle était arrivée trop tard, avait mis bien trop de temps, n'avait pas réussi à les sauver.

C'était le Baron qui était derrière tout ça. C'était elle qu'il cherchait. C'était uniquement à cause d'elle qu'ils étaient morts.

Elle tomba à genoux devant un corps calciné. Eiti avait joué, Eiti avait gagné. Dans les cendres, le cœur en vrac, elle hurla. Ses larmes coulèrent, torrent inarrêtables. Ses cris enflèrent. Dubh eu beau la rejoindre, elle ne bougea pas. Vuk, Elnia, Tur, Sylwa, Calasan, la ga'wa. Les noms se mélangeaient. Les visages se décomposaient. Et elle criait encore. Sa complainte ne semblait vouloir s'arrêter, sa détresse ne pouvait se finir.

Ils étaient tous morts.

Elle n'avait pas été assez rapide.

Son souffle se bloqua un peu plus dans sa gorge alors qu'un hoquet filait de ses lèvres. Dubh se blottit contre elle et elle trouva dans sa chaleur un léger réconfort. Elle le serra plus fort contre son corps. Elle enfouit son visage sur son dos, étouffant son chagrin entre les écailles. Nevenoe avait envie de se griffer, envie de se blesser plus encore qu'elle ne l'était. De rouvrir sa cicatrice pour mieux mêler son sang à celui de sa Meute.

La Louve se releva finalement. Elle frémissait encore de rage alors qu'elle attrapait le premier corps. Et elle extériorisa toute sa haine en trainant les corps de ses frères derrière elle. Avec le bois sec encore parfaitement rangé dans la cabane, elle dressa un bucher funéraire digne de ceux qu'ils avaient été. Elle devait réfléchir, ne pas foncer tête baissée dans le plan qu'avait échafaudé son ordure de frère. Eiti avait tout prévu. Il la savait impulsive et, en laissant les corps à la merci des goules, savait qu'elle les trouverait un jour. Qu'elle hurlait comme elle l'avait fait. Et qu'elle souhaiterait sa mort plus que jamais.

Mais, en trainant ses frères jusqu'à leur dernière sépulture, Nevenoe ne se laissait plus aller uniquement aux doigts acides de la rage. Elle réfléchissait. Elle imaginait.

Eiti était fort, Eiti était intelligent. Mais ils avaient été élevés ensemble. Elle savait lire dans son esprit. Savait prévoir ces actions. Le Baron n'avait que peu changé. Il s'attendait à ce qu'elle soit identique, sans armes autre que sa fureur. N'avait pas idée de ce qu'elle ramenait avec elle.

Elle mit le feu au bucher funéraire en offrant une dernière prière pour ses frères. Qu'Ignus les accueille en son royaume éternel. Certain, parmi les Loups, priaient fermement les Ignaerda. Pour Nevenoe, en leur mémoire, ils devaient mourir selon les rites qui avaient guidé leurs vies. Qu'importait qu'elle ne connaisse qu'à peine les religions, qu'importait que le soleil brulant là-haut prouvait la suprématie des Sides.

Ils y avaient cru.

Et, même s'ils étaient morts, leurs prières lui avaient permis de trouver les Dragons.

En une dernière promesse, elle jura à ses Loups de les venger. De laisser pourrir le corps du Baron comme il l'avait fait des leurs. De n'avoir de répit tant qu'ils seraient en vie. Elle baissa la tête pour la dernière fois, étouffa une dernière larme.

Il était un temps pour pleurer.

Il était désormais le temps de la vengeance.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant