Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)

Épilogue, Partie 2

Les yeux de Sionna se gorgèrent brusquement de larmes. Quelqu'un avait appelé Mageia, lui avait demandé de l'aide, et elle avait envoyé ses monstres. Qui d'autre qu'elle avait fait cela ? Qui d'autre qu'elle avait trahi les siens ? Son cœur se pressa sous la honte et, malgré toute la culpabilité qui grimpait en elle, la renarde ne put que fuir, terrorisée par le feu qui envahissait l'oasis.

Friska et elle passèrent les portes du fort, courant dans les couloirs trop vides pour rejoindre la chambre de la vatner. Les deux jeunes femmes empruntèrent des escaliers qui frémissaient déjà, puis bousculèrent la porte. Dans son lit de camp, un enfant pleurait déjà. Il bondit auprès d'elles lorsqu'elles entrèrent, pleurant contre sa grand-mère. Friska le prit dans ses bras, serrant Kristolt contre elle, le berçant doucement – lui promettant, entre deux sanglots, que tout irait bien.

— Faut qu'on quitte Aurovao avec le p'tit !, gémit Sionna.

Friska en pleura de plus belle. Elle serra une dernière fois l'enfant de son fils contre elle avant de le tendre à la renarde, les bras tremblants. Ses yeux dégoulinants regardèrent la rouquine avec franchise – l'âme de la vatner en elle semblait se réveiller.

— Je vais te ralentir. Emmène-le loin, Sionna. Sauve-le, s'il te plaît.
— Mais m'dame Friska, bredouilla l'ancienne servante.

Pour toute réponse, la vieille femme agita lentement la tête et, tirant sa hache, elle quitta la pièce en courant, sans un regard en arrière. Prête à affronter jusqu'aux créatures nées du sang et de la mort pour permettre aux siens de fuir. Sionna serra Kristolt contre elle, étouffant un sanglot contre la crinière blonde du petit.

— On va s'en sortir, d'accord ? murmura-t-elle.

Restant muet, Kristolt plongea son visage dans le cou de la servante, échappant à l'horreur qui se produisait au dehors. La renarde réfléchissait, cherchant quel était le meilleur moyen d'échapper à tout cela, lorsque les fenêtres éclatèrent, les flammes léchant désormais le fort. Elle ne put réprimer un cri et, enveloppant le petit entre ses bras trop maigres, elle prit la fuite en courant.
Dans les couloirs, le feu gagnait déjà du terrain, embrasant les cadres aux murs, les tapis au sol, les nappes des tables. Tout brûlait et la chaleur se faisait étouffante. Couvrant la bouche de Kristolt de sa main, Sionna plongea dans la fumée qui envahissait la pièce. Elle approchait des escaliers lorsqu'une torche humaine surgit, tentant de s'agripper à elle.

— Sionna, aide-moi !

Elle reconnut Sadhij, dont le visage semblait fondre, sa peau se fendant pour dévoiler la chair, les yeux convulsés par la brûlure. Il hurlait, sa voix rendue rauque par les volutes de fumée qui l'entouraient et embaumaient les lieux. De peur, Sionna s'écarta brusquement et, propulsé par sa vitesse, le jeune page roula dans les escaliers. La renarde écarquilla les yeux et, ses sanglots reprenant, elle descendit à sa suite, ne trouvant au bas des marches qu'un pantin désarticulé qui gémissait encore. En pleurs, elle s'excusa avant de l'enjamber pour fuir.

La rouquine parvint à nouveau à l'extérieur, où l'air était à peine plus respirable. Les flammes léchaient le désert avec l'avidité d'un affamé, en arrachant les grains un à un pour ne plus en faire que des millions d'étincelles prêtes à s'embraser.
Tournant la tête pour échapper aux ombres qui à nouveau passaient au-dessus de sa tête, elle aperçut Friska qui aidait des enfants à se cacher, leur faisant escalader les cadavres de leurs pairs. Sionna voulut courir dans sa direction, mais ses yeux furent attirés par Kalilah. La prêtresse s'avançait lentement à travers les flammes, le visage luisant de larmes muettes. Elle s'écroula à genoux et, ouvrant ses bras au ciel, elle se mit à chanter.

Sa voix s'éleva dans quelques notes trop douces avant qu'un torrent de feu ne l'emporte. Le Sangérav de sang cracha sur elle sa magie de soufre, ramenant la si belle femme à l'état de cendres, écrasant alors d'une patte monstrueuse ses dieux auxquels lui ne croyait pas. Oneone n'était rien face à Mageia. Ni lui, ni aucun autre dieu.

Un hurlement retentit et Sionna chercha d'où cela venait. Elle vit alors Friska, hache tirée, bondir comme une jeune lionne vers le monstre. Celui-ci se tourna lentement vers elle et l'emporta, elle aussi, dans une flamme bien trop grande. La renarde ne put qu'hurler, pleurant à chaudes larmes tandis qu'elle rejoignait les enfants en courant, posant Kristolt parmi eux et les poussant tous à rester à l'abri de l'écurie vers laquelle ils se trouvaient.

Ils étaient les derniers survivants. Les enfants et elle. Et ces trois monstres qui avaient retrouvé terre pour s'approcher d'eux. A chaque pas, leurs griffes tintaient contre le sol, leurs pattes le faisaient trembler. Sionna, le visage déchiré de peine tant que de terreur, laissa échapper un dernier sanglot avant de choisir la force. Elle avait promis à Qeder d'être à jamais de son côté.
Et si elle avait commis une erreur, elle refusait que celle-ci arrache la vie à plus d'innocents.

La renarde fit quelques pas en avant, confrontant les Sangéravs. Ceux-ci se regardèrent les uns les autres, semblant se concerter silencieusement. Sionna fit alors un pas de plus vers eux, criant de toutes ses forces, puisant dans toute l'étendue de sa haine, de sa peur, de sa rage. De sa jalousie, aussi. Car l'homme qu'elle aimait en aimait une autre, et que c'était la cause de tout cela.
Le plus gros des Sangéravs fit aussi un pas en avant, et hurla à son tour, d'un cri trop puissant, trop strident, qui sembla résonner de longues secondes contre les tympans de la renarde. Elle observa la créature qui lui faisait face, aux dents effarantes et aux yeux gorgés de sang. Puis elle sentit son souffle brûler son visage alors qu'il approchait un peu plus, s'emparant de son corps tandis qu'il refermait ses mâchoires dessus.

Puis tout ne fut plus qu'ombre, air, et vent. Les créatures s'envolaient à nouveau, rentrant chez elles. Et la renarde, elle, partait. Sans espoir de retrouver son aimé.

FIN