Chapitre 3.1, Les mots d'Oneone

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— Il faut qu'on avance !, cria-t-il, tirant le bras de Sionna.

Celle-ci pleurait le trop peu d'eau qu'il lui restait. La douleur semblait s'être insinuée en tout son être comme un coutelas trop aiguisé en sa pauvre chair. Elle titubait depuis trois jours déjà, depuis que leurs montures étaient mortes peu après leur entrée dans le désert. Ils n'étaient pas des chameaux ni de fiers chevaux des sables, et rien n'aurait su leur faire tenir bon.

La rouquine s'écroula, soulevant un nuage de sable qui brûla les yeux du natif des Ramales. La souffrance marqua aussitôt le visage du jeune homme. Ils étaient désormais si proches, il refusait de l'abandonner. Se jetant auprès d'elle, il la saisit par la taille et la souleva pour la redresser. Secouant ses épaules, il attrapa son regard pour l'encourager.

— On y est presque, Sionna, je te le promets. Mais il faut avancer.
— J'ai p'u d'force, souffla-t-elle.

Entre ses bras, Qeder sentit la servante s'affaler un peu plus sous la morsure de l'épuisement et de la chaleur. Les soleils, trop ardents dans le ciel, brûlaient sa peau pâle. Celle-ci avait rougi, s'était craquelée par endroits tant elle était sèche.

— Je t'en prie, tiens bon.

S'agenouillant face à elle dans le sable, il prit son visage trop chaud entre ses mains caleuses. Caressa, de ses pouces, ses joues pour lui donner un peu de force. Puis il appuya son front contre le sien, espérant qu'enfin coulent ses larmes que l'aridité avalait.

— Je t'en prie, je t'en prie, je t'en prie, murmura-t-il.

Ses supplications firent se relever le regard de Sionna, qui caressa à son tour son visage avant de presser ses lèvres contre les siennes. Qeder sentit son cœur s'alourdir un peu plus, de lourdes chaînes crocheter son cou, une enclume ballonner son ventre. La culpabilité revenait, s'insinuant dans sa chair comme une dague trop meurtrière. La rouquine s'éloigna de lui pour le regarder à nouveau, flatter encore ses traits affaissés par la fatigue.

— Je t'aime Qeder.

Son souffle caressait encore ses lippes alors qu'il sentait son être entier pleurer de toute son infamie. La honte coulait désormais, reine entre ses veines. Il ferma ses yeux noirs, puisant dans ce qui lui restait de mensonge, avant de les rouvrir, encourageants, sur Sionna.

— Moi aussi, Sionna.

Une gifle le saisit en son âme, mais après un regard plein d'espoir, il se redressa, saisissant ses mains pour la relever à son tour, tirant sur ses poignets pour qu'elle le suive. Elle ne montra que peu de retenue, se laissant porter comme une feuille morte, bientôt sur ses pieds. Bien que chancelante, elle fit un pas, puis deux, derrière le fils des sables.
Et oubliant leur fatigue pour laisser place à la détermination, ils se remirent en marche.

Les deux astres furent bientôt à leur apogée, illuminant plus que jamais l'or du désert. Le sable semblait luire, reflétant une teinte ocre rappelant celle du sang, reflet du faux soleil. Et la chaleur, trop écrasante, ne paraissait qu'enfler, avalant les larmes de Sionna d'un coup de langue râpeux. Derrière lui, Qeder la sentait faiblir à nouveau alors qu'ils gravissaient une dune. Il ne pouvait que comprendre, cette fois-ci ; le monstre qu'était le désert d'Oneone engloutissait les misérables sans que rien ne puisse les sauver, se jouant d'eux tel un chat. Les balançant d'une patte à une autre, leur crachant une haleine de sable brûlant au visage, ouvrant sa gueule sur des dents aiguisées pour feuler lentement, faire croire à une présence vivante. Et s'éteindre. Se taire.

Le fils des sables refusait d'abandonner, pourtant, il sentait le souffle impitoyable d'Oneone étendre sur sa peau sensible une douleur immuable, traître qu'était ce sablier immense dans lequel il tentait de se débattre – inutilement. Les efforts se faisaient vains, la peur tordait ses boyaux, sa gorge s'enserrait sous le manque d'eau, de nourriture, de fraîcheur.
Et son crâne le faisait souffrir.

Il trébucha. S'écroula. Gémit. Sionna se remit à pleurer, du moins elle hoqueta sans qu'une larme ne puisse plus quitter ses yeux. Et Qeder en fit de même. Il voulut la prendre dans ses bras, mais leurs peaux étaient trop brûlantes. Il en venait à réclamer les nuits glaciales propres aux Ramales, et peu importait qu'elles aussi soient terribles.

Que le supplice s'arrête enfin, tel était son désir le plus profond.

Il entendit alors des cliquetis à travers le silence assourdissant du désert. Des clapotements, des soufflements, puis des exclamations. Ses yeux se levèrent faiblement vers une petite troupe de cavaliers qui, soulevant un nuage de sable, se parait de la fumée vaporeuse du sable. Qeder plissa les yeux, poussant sur ses bras tremblants pour se redresser, mais sa vue brouillée ne lui permit rien. Rien de plus qu'un amas flou qui déjà les entourait.

— M'sire Qeder !, lança soudain une voix.

Cherchant un visage connu, il tourna la tête, son corps entier chancelant sous la fièvre, s'écroulant sur une nappe de sable. Son esprit s'éteignit.

* * *

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant