Chapitre 36.1, Le souffle des dragons

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La chasseuse baissait la tête en avançant. Pour la première fois de sa vie, elle avait plié le genou. Elle avait accepté un pacte que ne la concernait pas, vendu des créatures sauvages, offert l'allégeance d'autre. Elle se sentait identique à son frère et la culpabilité lui broyait le coeur.

Le sorcier la suivait, la morsure de son regard figée sur le dos de Nevenoe. Elle remontait une piste de terre qu'elle n'avait pas vu en arrivant, leur mots soufrant dans son esprit. C'était désormais trop tard et peut-être que, grâce à lui, elle tiendrait enfin sa vengeance entre ses doigts. Le Baron avait joué des Seascannes pendant bien trop longtemps. Désormais, les marécages se refermeraient sur lui et l'enfonceraient sous leur sol poreux. Les flammes envahiraient tout, détruiraient certainement plus encore. Nevenoe n'avait que faire. L'idée, seule, d'enfin toucher ces rêves des doigts la rendait impulsive, biaisait sa vision des choses. La nature renaitrait de ses cendres. La nature renaissait toujours de ses cendres.

— Tu ne m'as pas dit. Tu peux la contacter ?
— Oui. Mais il me faut de quoi le faire. Montre moi les dragons et tu pourras lui parler.

Le regard de la chasseuse, noir que la nuit, se figea sur le sorcier. Lui ne la regardait déjà plus. Il observait son chien. L'animal dérangeait Nevenoe. Ses yeux étaient top humains et, comme son maitre, il trainait de la patte droite. Ils étaient trop longs, les pas trop malhabiles. Sans eux, elle pouvait foncer. Prévenir ces alliés. Détruire le sorcier.

L'idée était attirante, avait cette odeur sucrée qui enchantait les enfants. Elle était pourtant irréalisable. Sans Elnia, impossible d'ouvrir les portes d"Áth Cliath. Impossible de prendre la forteresse de Baron. Les dragons s'ouvriraient les tripes sur les immenses piques, s'enfonceraient sur leur gigantesque colonne. Nevenoe voulait entrer, libérer les prisonniers. Et alors, seulement, faire sombrer la ville dans le même sang qu'Eiti avait toujours fait couler.

Elle s'enferma dans ces pensées. S'enfonça dans la forêt sans preter attention au sorcier. Il suivait et, s'il ne le faisait pas, son chien devait avoir du flair. Nevenoe tenta de rester dans l'ombre des grands arbres, de ne pas filer. Elle devait rester discrète. La haine la portait plus que jamais et pourtant, la prudence restait la meilleure de ses alliés.

Les doigts de la chasseuse se glissèrent sur un tronc à l'écorce poreuse. Elle était passée par ici la vieille, avant de tomber entre les mains du sorcier. L'arbre était la dernière barrière avant une clairière dans laquelle les fleurs semblaient oublier que le monde s'enflammait. Tout était ici trop calme. Un papillon vient voleter devant le visage de Nevenoe avait de s'approcher du chien qui montra les crocs. Le canidé fit claquer sa machoire dans la vide avant de courir derrière l'insecte. Il ressemblait à un chiot d'à peine quelques mois et, brutalement, ne boitait plus.

— Il y a une dryade ici, souffla le sorcier, arrachant à Nevenoe un mouvement de recul. Tu devrais t'incliner et lui demander le droit de passer.

Le regard de Nevenoe s'emplit de questions qu'il balaya d'un geste de la main. Elle n'avait jamais croisé de dryade mais avait entendu bien des légendes sur les protectrices de la forêt. On disait d'elle qu'elle était liée, pour l'éternité, avec un animal jumeau de leur esprit. Que leur corps, au fil des siècles, s'offrait les caractéristiques de la bête. Et qu'elles veillaient sur les arbres comme sur des milliers d'enfants.

Elle inclina le buste, cherchant de ses yeux foncés des traces de la présence magique. La nature bucolique était bien le seul indice qui lui restait et, sans le sorcier, elle se serait certainement infiltrée sur ce territoire sans même s'en rendre compte. L'avait-elle déjà fait, dans d'autres lieux et en d'autres instants ? Nevenoe se mordit la lèvre inférieure sur ces questions mentales, brutalement inquiète d'avoir vexé la mauvaise.

Mais la dryade ne daigna paraitre devant eux.

Ils franchirent la clairière et le sorcier prit la tête de la marche. Il avançait bien plus vite et son chien noir et blanc courrait devant eux, se retournant à intervalles régulières dans leur direction. Nevenoe accelera le pas, refusant qu'il la distance. Il ne savait pas où aller, elle le voyait parfaitement. Elle finit par tousser alors qu'il continuait tout droit sur un croisement et, lorsqu'il se retourna, lui offrit un sourire satisfait.

— Quoi ?
— C'est par là...

Il leva les yeux au ciel et se glissa à sa suite. La tête haute, la démarche assurée, Nevenoe s'offrit de parades quelques minutes. Avant de rapidement reprendre ses habitudes, plus inquiète, moins bruyante. Elle évitait les lieux trop sombres, sursautait au moindre bruit improbable. Le chien du sorcier, en bondissant des buissons, l'a fit grincer de peur.

Elle pesta, quelques secondes, avant de reconnaître son ancien lieu de vie. Le feu s'était éteint et ne restait, de tous ses proches, que des cendres que le vent dispersait. Son regard s'éloigna, ses dents se serrèrent aussi vite que ses poings. Elle, qui s'était jurée de vivre en paix, loin des déboires du monde, ne respirait que pour cette odieuse vengeance qui frémissait désormais dans son ventre. Ses buts étaient nobles. Ne restaient d'eux que la rage, sourde, prête à tout détruire sur son chemin.

Nevenoe sentit l'excitation du sorcier alors qu'elle-même se mettait à marcher plus vite. Elle gravit la petite colline derrière laquelle se cachait le nid de la Meute. Et, alors que sous ses yeux se dévoilait un paysage à couper le souffle, elle vit le sorcier ouvrir des yeux immenses. Ce n'était le soleil qui lentement s'assombrissait derrière l'horizon qui le stupéfiait. Mais bien les dragons qui s'était, en l'absence de Nevenoe, approprié les lieux.

Étrangement, se ne fut le rouge qui tourna son regard carmin vers eux en premier. Mais bien Dubh qui, sur un cri strident, prévient tous ces frères. Il couru jusqu'à la chasseuse, se jetant dans ses bras en la faisant tomber. Nevenoe éclata de rire, apprécia la langue rapeuse qui réchauffait son visage. Dubh avait grandit, plus vite qu'elle ne l'aurait jamais cru. Il ne s'en rendait pas compte, pesant de tout son poids sur le corps de la rousse. Elle le repoussa, sans parvenir à arrêter son rire.

Puis posa un regard triste sur la dragonne rouge.
Cette dernière ne lui rendit pas. Les crocs découverts, elle s'approchait déjà du sorcier. De sa gorge s'échappait un grognement prometteur de mort. Chacun de ses pas raisonnait sur le sol, frappé avec fureur. Le sorcier recula, prudent, les mains tendues devant lui. Son chien, le poil hérissé, se plaça devant lui, affrontant ses minuscules canines aux immenses dents de la dragonne.

— Stop !

Le cri de Nevenoe les arrêta.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant