Par les airs, Nokrov paraissait bien plus petit. Le chemin que Nevenoe avait mis des semaines à parcourir semblait minuscule. D'un battement d'aile, les dragons se propulsaient à des kilomètres, d'un grondement il faisait frémir le monde. Entre les griffes de la dragonne bleue, Nevenoe ne pouvait qu'attendre. Elle fixait le monde entre les écailles, apercevaient les terres vertes couvertes d'Hommes inconscient de ce qui se tramait dans le ciel. Ne les voyaient-ils donc pas ? Les dragons n'étaient pourtant pas discrets, énormes bêtes bardées de piques et de crocs. Mais ils filaient, plus vifs que l'air.
Ils quittèrent rapidement les montagnes, remontèrent les plaines que la chasseuse avait traversé à pied. Les arbres se faisaient de plus en plus rares quand les cultures des hommes grossissaient. Puis une dernière rivière, approvisionnant les cultures et les prés se transformèrent en marécages, les champs en friches. Les Seascannes, jamais domestiquées. Celles où les hommes n'étaient que de brefs invités, à peine accepté par la nature sauvage. Nevenoe n'avait eu la chance de parcourir le monde mais elle avait rencontré bien des aventuriers stupéfiaient devant le spectacle. Ici, les Hommes ne pouvaient que pactiser avec la forêt et ses secrets. Ici, la magie régnait comme une maîtresse impétueuse, bénissait certain, en maudissait d'autre.
Elle ne put s'empêcher de sourire alors que les dragons descendaient. Frôlant la cime des arbres, ils écoutaient ses pensées pour mieux se guider. Elle se remémorait son chemin, la longue montée suivit de la pente qui sortait de sa région. Elle revoyait le petit chemin, les traces laissées par les animaux, seule véritable moyen de se diriger dans les marécages. Les branches cassées, la terre battue par des sabots tous les jours. Eux voyaient bien mieux qu'elle à travers les arbres. Ils humaient l'air moite, cherchant des signes humains. Pas le moindre feu de venait enflammer la noirceur de la forêt. Pas le moindre souffle ne venait embuer l'air glacé.
Le cœur de Nevenoe se serra. Elle avait un mauvais présentiment. Sentait qu'il s'était passé quelque chose. Leur demanda de se poser dans la première clairière venue. Ils obéirent sans comprendre, certaines têtes penchées dans sa direction, les yeux emplis de questions auxquelles elle ne prit pas la peine de répondre. Le souffle court, elle descendit des griffes de la dragonne bleue. S'arrêta pour mieux retrouver son chemin, déposant Dubh qui s'ébroua.
Rien n'avait changé dans la forêt. Les arbres millénaires les observaient toujours et, entre les branches, les yeux des petits êtres de la nature ne les lâchaient pas. Elle sentait leurs regards sur sa nuque, mélangé à celui des dragons. L'air puait la magie, plus encore qu'avant. Sous les effluves de chèvres-feuilles et d'herbe humide, un autre parfum grandissait. La main sur sa dague, Nevenoe se retourna vivement. Un animal trop curieux détalla, ne laissant qu'une trainée fauve sur son passage. Malgré la présence des dragons, la chasseuse était inquiète.
Elle leur demanda de rester là avant de regarder les ciels, cherchant l'étoile qui pourrait la guider. Elle brillait, moins fort qu'à son habitude, sur l'Ouest. Nevenoe lui tourna le dos avant de se mettre en marche, Dubh sur ces talons. Elle eut beau lui demander de rester avec ces frères, grogner et ordonner, il n'obéit pas, frappant de sa patte avant le sol dès qu'elle avait le malheur d'oser la voix. Abandonnant devant l'entêtement du dragon, elle accepta à contre cœur qu'il la suive.
Nevenoe avait grandit dans les marécages, devait les connaitre sur le bout des doigts. Savait reconnaitre la présence d'eau croupie, le danger d'un nid de monstre ou d'un arbre habité par la magie. Plus encore, elle pouvait lire dans les signes des Seascannes. On l'avait parfois traitée de sorcière lorsqu'elle n'était qu'une enfant et elle avait toujours préféré le terme de sixième sens. Celui-ci la terrifiait aujourd'hui. Car il y avait dans l'air la lourdeur du combat, la violence de la mort. Il s'était passé quelque chose d'horrible, que les monstres avaient abandonné pour mieux laisser la nature se charger des corps.
Le pas de la chasseuse s'accéléra. Dubh, derrière elle, se mit à galoper. Elle contourna un arbre mort, sauta par-dessus un mince muret qui avait été autrefois une chaumière. L'odeur de l'humus, humide, la faisait courir avec attention pour ne pas glisser sur la mousse détrempée. Elle laissa les arbres fouetter son visage sans sourciller, n'écoutant déjà plus la nature. Son chemin se dessinait avec l'art de l'habitude, la guidait jusqu'à la source de son effroi.
Elle s'arrêta net alors qu'elle apercevait déjà au loin les premiers contours de ce qu'avait été la tanière de la Meute.
Il n'y avait pas d'éclaireur.
D'instinct, elle porta une main à son dos, espérant y trouver son arc. Pourquoi n'avait-elle pris que sa dague, trop petite et la laissant désarmer si elle avait le malheur de s'en servir en arme de jet ? pourquoi n'avait-elle pas plus réfléchit lorsque les dragons avaient enfin accepté de l'accompagner ? Elle les voyait comme des armes, ne s'en cachait pas. S'était crue intouchable alors qu'elle savait pourtant parfaitement qu'entre les branches d'une forêt, ils ne pouvaient être d'aucune utilité.
Un mouvement la fit plisser les yeux, s'accroupir si bas qu'elle disparaissait entre les branches mortes. L'humidité de la forêt piqua son nez et ses chausses mais son regard se focalisait sur l'homme qui marchait là. La lance entre ses doigts n'était pas à la Meute. Elle ne reconnaissait pas son visage, découvrait sa démarche.
Elle le laissa faire le tour du lieu avec la patience d'un félin. Il était seul, semblait laissé là pour vérifier que rien ne revienne sur les lieux. Il restait encore bien trop de choses dans le camp pour que les membres de la Meute ne soient partis de leur plein grès. Nevenoe n'entendait plus un bruit, ne voyait plus un visage souriant et, dans sa poitrine, son cœur battait déjà avec terreur.
Ce fut Dubh qui l'obligea à sortir de sa cachette alors qu'il sautait sur l'inconnu. Le dragon montrait les crocs, la queue dressée, la pupille réduite à une fente. L'homme était habitué aux armes, Nevenoe ne pu que le remarquer alors qu'il tendait sa lance en direction du petit dragon. Lui chargeait et elle le vit s'empaler avec même que l'impact n'ait lieu. Elle n'eut d'autre choix que de bondir à son tour, de surprendre l'inconnu qui, dans une seconde d'hésitation trop longue, ne sut vers qui tendre sa lance.
Dubh sauta, en direction de sa gorge. Il ne toucha que le cuir de son plastron, enfonçant griffes dans la peau, dent dans la chair. L'homme hurla, secoua son bras et propulsa le petit dragon au sol. Il laissa tomber sa lance, dégaina une épée qu'il leva. Sans avoir le temps de l'abaisser.
Nevenoe s'était coulée derrière lui, discrète comme un lynx. Elle pointait sur sa gorge le feu de son poignard, le tenant en joue de sa bonne volonté. Contre l'acier, la pomme d'Adam se souleva.
— Ne bouge pas.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasyLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...