[...]
Alyssa perdit voix et yeux, s'engouffrant dans les images que lui montraient les dorures. Le passé et le présent étaient morts pour n'offrir que le futur comme seule vérité. Incertain, étrange, changeant. Et pourtant fixé sur un soleil qui ne mourrait jamais, sur un horizon aussi brûlant que l'océan dans lequel la griffonne s'était perdue.
Puis le visage d'Isendre se croqua, accompagné d'un autre qu'elle avait déjà vu. Des yeux aussi bleus que les ciels d'été, des cheveux aussi blonds que le soleil de Lux. La rage, la hargne. La violence. Une épée, seule, levée, offerte, tueuse. Les images se faisaient myriades de possibilités, mer d'avenir. Il pouvait tuer comme se sacrificier. Il pouvait détruire comme tout reconstruire. Et cette couronne, cette même couronne, faites d'épines et de larmes qui se glissaient sur d'autres cheveux à la blancheur écarlate. Des yeux de glaces, d'autres.
Uniques.
Les trois Élus apparurent devant elle, remplaçant des silhouettes enfantines.
Il n'y avait plus de bruit. Seuls le gargouillis de l'eau et le silence de Nox. Les images offraient leurs propres mélodies, entraînant Alyssa à leur suite. Dans le passé obscur des Sides, elles dessinèrent les enfants qu'elles furent, puis les femmes se déchirant qu'elles étaient. La guerre, le sang. La mort.
Puis le renouveau, puis le tigre sur un étendard immense, accompagné du griffon toujours fidèle.
Puis la mort. La fin, la chute. Le sacrifice dans tout le sang qu'il entendait. Le souffle bée de la princesse, ses doigts qui supplient, qui s'accrochent à ses espoirs. Ses lèvres qui s'entrouvrent, comme celles d'un poisson hors de l'eau cherchant désespérément de l'air.
— Méfie-toi d'eux, petit griffon. Leurs jeux sont cruels.
* * *
Elle ne comprit pas vraiment comment elle avait réussi à s'arracher à toutes les images qui requéraient encore sa présence. Nox s'était estompée, lui offrant un dernier baiser des lèvres, un dernier souffle qui l'avait emplie de vie et de puissance. Alyssa sentait glisser dans ses veines une force qu'elle n'avait jamais ressentie, différente de celle que lui offraient ses journées d'entraînement. Elle voyait contre sa peau le fléau du pouvoir que lui avait donné Nox, cette magie qu'elle avait jetée sur les vatners. Leurs cris avaient hanté son esprit alors que, seule sur le zuhyre, elle pensait ne jamais retrouver un homme vivant.
Car l'équipage ne lui avait pas suffi. Dans sa haine, contrôlée par sa colère, elle avait rejoint les côtes. Déchaîné l'océan, coulé les terres, noyé les hommes. Le paysage des îles avait changé, zébré par une cicatrice immonde faite d'eau et de morts. Une cicatrice qu'elle avait elle-même enfoncée dans le visage immonde des vatners. Pour leur montrer, pour leur prouver.
Qu'elle n'était pas la pouliche qu'ils avaient cru brider.
Pourtant, après la colère, Alyssa s'était retrouvée aux prises avec ses cauchemars. Elle avait tué trop d'âmes, trop d'innocents. Des enfants et des femmes, de ces mêmes créatures qui avaient elles aussi été prises au piège. Des Îles Vatners, elle n'avait laissé que les plus hauts sommets, que ceux qui avaient vu le temps changer et avaient réussi à se recroqueviller au plus proche de Lux. Uibh ne les avait pas sauvés. Personne ne pouvait les sauver alors qu'elle les massacrait.
Et pourtant, Alyssa ne voulait pas être un monstre. Refusait de le devenir. Qu'importait les pouvoirs mortels que lui avait offerts sa déesse. La griffonne gardait ce cœur trop pur au plus profond de sa poitrine, battant pour la liberté et non pour les vœux de celle qui les avait créés. Elle suivrait le chemin nébuleux de Nox. Pour éviter que la mort ne se repende sur le monde, pour éviter que le sang n'engloutisse les terres. Mais seulement car elle refusait que le chaos ne revienne, comme dans cette Ère Sanglante que les dorures ne lui avaient que trop bien gravé sous les yeux.
Elle redescendit la ville fantôme, ne s'attardant plus sur le paysage. Alyssa ne savait pas où elle pouvait se trouver, mais elle était persuadée que le zuhyre l'avait amenée ici sur les volontés de la Sombre, pour qu'elle s'enfonce dans le passé et se perde dans le futur. Le temps semblait fil incertain tout là-haut, aux portes de ce palais de bois et d'or. Capable de se briser sur un souffle d'air. Si Alyssa avait voulu imaginer la demeure de Nox, jamais elle ne l'aurait vue maîtresse des instants, gardienne de l'eau, des vies et des morts. Les légendes, racontées depuis des siècles par les Hauts-Frères et les conteurs, s'étaient fourvoyées. Les Sides avaient certainement été mortelles avant de devenir Déesses. Telles les trois petites filles qu'avait vues la griffonne, jouant de leur magie, s'amusant des hommes placés comme des pions entre leurs mains.
Mais Alyssa ne se détournerait pas d'elles. Posant le pouce sur ses lèvres, elle envoya un baiser au ponton, offrant ses salutations à Nox avant d'embrasser une dernière fois ce territoire fantôme des yeux. Le vent semblait lui dire au revoir, l'abandonner aux paysages arides qu'elle allait retrouver. Une dernière bouffée d'air, un dernier souffle libérateur. Avant d'en appeler au zuhyre.
L'animal s'échappa de l'eau, crissant de douleur sous le feu des soleils. Telle la Noire qui lui avait donné la vie, il préférait l'obscurité, violé par l'astre de la Rouge, si fort dans le ciel. Alyssa le craignait tout autant, sentant ses pouvoirs fléchir sous la morsure brûlante. Elle offrit pourtant son regard au ciel et, laissant de ses doigts couler une chape de plomb, elle lui offrit un sourire goguenard.
Alyssa savait où elle devait aller pour faire taire l'été carmin.
(image par Onirography)
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasíaLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...