Chapitre 39.2, Les promesses d'une mère

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Synsivik dût réprimer un sourire glorieux, déjà victorieux en son esprit. Il se contenta d'imiter le regard brûlant de rage de sa mère, s'enfonçant dans la voie du mensonge, convainquant chaque seconde un peu plus Karona qu'il était ce fils dont elle avait tant rêvé – alors que, dans toute sa clarté, il n'en était que l'ombre.

Le silence s'installa entre les deux, et le fils de lumière s'en sentit soulagé. Il n'aimait pas les mièvreries de sa mère, ses chuintements incessants. Ne savait-elle donc pas que perdre des proches était coutumier de la guerre ? Que sa pauvre enfant n'était morte que parce qu'elle était faible, s'étant laissée corrompre par Sibille et Alessandre ?
Karona se leva brusquement pour s'accroupir face à Synsivik, la Reine s'évanouissant un peu plus tandis qu'elle se plaçait en position de faiblesse. Elle serra à nouveau ses mains entre les siennes, agaçant encore le prince qui n'aimait pas qu'on le touche.

— Synhvid, tu sais que nous partirons bientôt en guerre. Et tu sais qu'en tant qu'homme, et plus encore en tant qu'Élu, tu seras jeté sur le champ de bataille. Je t'en supplie, ne sois pas inconscient. Si Lux t'abandonne... Tu ne seras plus qu'un mortel parmi tant d'autres.

Synsivik retint la gifle qu'il avait envie de lui flanquer. Comment osait-elle le réduire à l'état de simple homme ? Il n'était pas une simple abeille au sein de la ruche, il était bien plus, il était supérieur, et le savait. L'Aîné le lui avait dit, ainsi que Lux. Et Lux ne mentait pas à son fils. Il se força pourtant à garder l'air soucieux, à rester calme malgré l'éclat blanc qui déjà démangeait ses ongles. Il pouvait faire tant de mal. Offrir aux yeux de la Reine l'horreur de la mort de Nova. Lui montrer ces images qui jamais ne quitteraient son esprit.
Il ferma pourtant les yeux, refusant de relâcher contre Karona ces pouvoirs qui pourraient lui arracher toute confiance.

— J'ignore seulement si tu sais te battre, et j'ai peur que la guerre t'emporte. Si tu te retrouves en difficulté, n'hésite pas à fuir. Le tout est que tu sois un monarque puissant un jour, qu'importent tes capacités sur le champ de bataille. Mais je t'en prie, Synhvid – ne les laisse pas te tuer. Ne fais confiance à personne ici, absolument personne. Tahir est dangereux comme l'est la fille de Nox. Isendre la suit à l'aveuglette, alors méfie-toi aussi de lui.

La voix de la Reine tressaillait sous l'inquiétude, et plongeant son regard dans celui de son fils, elle murmura des mots qu'il n'avait que trop attendu.

— Aucun d'entre eux n'est ton allié. Simplement des personnes qui tenteront de faire de toi un pion de plus dans leur échiquier personnel. Je suis la seule à te prendre en compte dans le mien. La seule à vouloir réellement ceindre ton front d'une couronne afin que tu nous apportes à tous la lumière. Je crois en toi et je croirai toujours en toi. Mais méfie-toi des autres – de tous, je t'en prie.

Le jeune homme la regarda dans les yeux, cherchant à quel point il pouvait lui faire confiance, sondant son âme comme ses dons le lui permettaient. Il comprit vite que Karona était mauvaise, il lut toutes les atrocités qu'elle avait pu commettre, lut même les vices de la Reine. Pourtant, il était une chose qui était certaine : pour lui, elle ferait tout. Elle donnerait tout. Perdrait tout. Pour ses enfants, la tigresse dévoilait crocs et griffes sans hésiter.

Synsivik avait bien compris sa gestuelle, avait lu en son esprit des mots qu'elle avait un jour adressé à une autre. Il caressa à son tour le visage de sa mère, dans une parodie d'amour et de tendresse, puis murmura à son tour :

— Les tigres sont pourvus de griffes et de dents acérées. Si tu es un Iseal, tu es un tigre. Et par nature, tu es fort.

Les yeux de Karona s'ouvrirent sous la stupeur et se fermèrent pour tenter de retenir une larme qui, hélas, roula contre sa joue. La Reine eut un sourire malheureux et laissa son visage couler contre les genoux de son fils. A contrecœur, il caressa doucement ses cheveux, la laissant aller à ses pleurs tandis qu'elle lui parlait de ses maux – de Nova, cette fille trop douce qu'elle avait perdu au nom de la Rouge. De leur dernière conversation, une violente dispute tandis que la colombe refusait de quitter le palais pour se mettre en sécurité. Des meurtres qui agitaient la cité sans que nul ne s'en préoccupe – cela était peu étonnant, ceux qui semblaient s'en ficher le plus et esquivaient le sujet siégeaient au conseil royal de Sibille désormais.
Il l'écouta sangloter, supportant les tressautements de son corps, les reniflements de cette femme qui n'avait définitivement plus rien d'une Reine.

Puis Hvitur apparut derrière les buis, campé sur ses pieds avec férocité. Il venait le chercher pour son entraînement – aperçut le fils de lumière qui consolait sa mère. Karona leva lentement les yeux vers lui, força un sourire à ses lippes déformées par les pleurs.

— Va donc, Synhvid. Nous discuterons plus tard, souffla-t-elle.

Posant un baiser sur le front de sa mère, le fils de lumière s'éloigna d'elle. Il jeta un regard à Hvitur, qui observait Karona, les sourcils froncés et la mine soucieuse.

— J'vous rejoins sur le terrain, grommela le vatner.

Synsivik leva les yeux au ciel, étouffant un soupir, et commença à s'éloigner – et il se retourna à peine, découvrant la Reine qui essuyait ses larmes entre les bras de l'insulaire. Une moue désapprobatrice accrocha les traits de l'Élu tandis que sa mère l'écœurait un peu plus à chaque minute. Elle aussi, le jour venu, paierait pour ses péchés.
Lux ne pardonnait plus aux mécréants.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant