SIBILLE
Les mots avaient glissé sur le papier avec une facilité déconcertante et Sibille avait laissé son venin s'envoler jusqu'aux Seascannes, porté par les ailes noires de ce qui fut un jour l'un des oiseaux de Nox. Que le soi-disant Baron se rappelle d'où était sa place, qu'il entende les mots de la Reine, ses menaces à peine voilées. S'il refusait de se plier, les Sangéravs qu'il pensait incapables de le rejoindre viendraient brûler jusqu'au dernier de ses hommes, chaque parcelle de ce qu'il appelait sa terre alors même qu'elle ne lui revenait en rien.
Un imposteur, un malfrat qui croyait pouvoir, sous le règne de la Carmine, s'emparer d'une région et s'autoproclamer Baron. Elle lui avait rappelé chacun de ses titres, à elle, ne considérant ceux d'Eiti que comme de simples surnoms – puis l'avait invité à la Cour. Qu'il vienne et qu'il comprenne par lui-même ce que serait Nokrov sous son joug.
Des traîtres l'avaient peut-être aidée à renverser le tigre, mais elle ne tolérerait le même comportement à son égard. Les félons seraient égorgés, tous jusqu'au dernier. Et ne resterait qu'elle, sur son trône tout souillé du sang de ses ennemis – elle et ses plus fidèles alliés.
Observant le corbeau qui s'élevait dans les cieux, esquivant habilement les chiens de garde des Asinis, Sibille sourit en coin. Oui, Eiti comprendrait. Et il se rangerait, en bon chien, comme l'avait fait Alessandre. Son regard changea en pensant à lui, à l'amour qu'elle lui portait. Elle ne voulait au départ que le sacrifier – Mageia l'avait expressément demandé mais, pour la première fois de sa vie, la Carmine avait désobéi. Elle s'était amourachée, s'était attachée à lui, et lui faisait confiance. D'ici peu, leur union serait célébrée, suivie du couronnement du Roi Consort.
Elle entendit des pas derrière elle, une course étouffée par la légèreté du petit oiseau qui lui portait quelques nouvelles du monde, et se retourna. Un enfant au teint pâle, les joues seulement rougies par la cavalcade, venait à elle. Sibille sourit le plus mièvrement du monde, ses yeux froids lui intimant pourtant de parler ; et vite.
— Vot' Majesté, dit-il en s'inclinant maladroitement.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Son ton était froid, et peu lui importait qu'il ne soit qu'un gamin des rues qu'elle avait pris à son service. Elle n'avait que peu de temps. Elle n'avait jamais le temps de flâner depuis que le Royaume était sous son joug. Tout était à refaire, les Iseal avaient tout ravagé par leur stupidité.
— C'est ser Alessandre, m'dame. Il était au Coq Enchanteur hier.
La Reine poussa un long soupir mais resta calme. Elle se tourna lentement vers la fenêtre, observant l'horizon. Le corbeau avait déjà disparu, portant avec lui messages et menaces. Une autre suivrait. Ses yeux retombèrent sur la cour où deux Sangéravs hurlaient, s'arrachant les miettes de leur dernier repas. Elle ne se tourna même pas vers le garçon en reprenant.
— Fais convoquer Alessandre et va me chercher la putain. Je crois qu'il est temps de nourrir les Sangéravs.
Il ne fallut qu'une vingtaine de minutes pour que l'on aille chercher la belle Eris pour la présenter à la Reine. Celle-ci ne lui adressa pas un mot, ordonnant simplement qu'elle soit coiffée et qu'on appelle ses gens à se réunir dans la cour principale.
Puis Alessandre obéit, bon chien qu'il était. Il lui apparut alors même que Togos n'attendait qu'un geste de sa part, un mot pour approcher celle que la jeune Reine jugeait coupable de félonie. Sibille esquissa un simple geste du doigt vers l'ancien commandant de la garde luxienne, qui poussa Eris vers l'autre traître.
— Si c'est pour me présenter à une pute, je la connais déjà, railla-t-il.
— Oui, tu la connais déjà, souffla Sibille.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasyLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...