Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)

Chapitre 29.2, Elus

La mine sombre de Qeder s'évanouit, ses yeux s'écarquillèrent, ses lèvres s'entrouvrirent. Le fils Élu. Qu'entendait-il par là ? Pour toute réponse, il fit signe à la troupe d'accélérer, pressant les flancs de sa propre monture. Déjà derrière lui, les compagnons de ce soi-disant élu s'agaçaient – la fille tout particulièrement.

— Mais ferme là espèce d'idiot ! Tu veux vraiment tous nous faire tuer ! S'ils étaient de son côté tu ferais quoi là tout de suite, hein ! Mais qui m'a...
— Alyssa, tais-toi.

Un rictus tordit les lèvres du fils de l'aigle. Au moins avait-il fait quelque chose de bien en emmenant ces intrus auprès de son père ; peut-être Tahir serait-il enfin fier de lui. Il ne répondit rien aux jérémiades de la brune, se pressant simplement vers le fort. Et tandis que la petite troupe passait devant le campement, les regards se faisaient curieux, leurs alliés se demandant sans doute qui étaient ces nouveaux venus. Quelques murmures lui parvinrent, des questions auxquelles Qeder ne prit pas la peine de répondre. Il sauraient si Tahir acceptait de leur dire.
Le cavalier qu'il avait envoyé revint vers lui au pas de course, lui adressant des signes de main. Qeder s'arrêta près de lui.

— Le seigneur n'est pas en mesure de les recevoir aujourd'hui, il est en entretien avec Vrekim, lui dit-il doucement. Il a ordonné qu'on les mette au cachot en attendant.

L'aigle regarda par-dessus son épaule, ses yeux se détournant de la fille pour se poser sur celui qui se disait élu. Ses paupières se plissèrent légèrement.

— Qu'importe, lâcha-t-il. Il les recevra tout de suite.

Il descendit de sa monture d'un bond, lançant les rênes à l'émissaire qui bégayait déjà. Il l'ignora pour rejoindre la troupe qui, resserrée autour des intrus, leur empêchait tout mouvement.

— Ligotez-les, et qu'on les emmène au bureau de lord Amal. Tout de suite.

* * *

Qeder poussa la porte sans frapper – la situation était trop urgente. Il tira sur la corde qui maintenait les meneurs de la troupe d'inconnus ligotés. Il présenta les trois inconnus devant son père et son grand-père, qui levèrent la tête vers eux.

— Messeigneurs, je vous apporte les intrus qui ont passé la frontière de vos terres.

Tahir se leva brusquement tandis que Vrekim, fidèle à lui-même, restait assis calmement, son regard de vieux sage passant d'un visage à l'autre, les étudiant avec minutie.

— Je croyais avoir dit ne pas vouloir être dérangé, cracha le seigneur déchu.

Le fils des sables leva le menton dans une profonde inspiration. Et tandis qu'il tirait sur la corde maintenant celui qui se disait élu, un rictus vint titiller ses lèvres.

— Père, je vous apporte un homme qui se dit Élu des dieux.

A peine eût-il prononcé ces mots que le visage de Tahir changea, la colère faisant place à la stupéfaction. Il s'avança d'un pas, ses yeux s'emplissant d'espoir.

— Qui êtes-vous ? Demanda-t-il.

L'homme blond, celui qui n'était qu'un homme et non un fils des dieux, s'avança d'un pas dans un tintement de chaînes. Il hocha la tête dans un salut sobre face aux maîtres des lieux, relevant son regard océan vers eux.

— Je suis Isendre, fils bâtard de feu lord Adiant.

Qeder vit Vrekim se pencher doucement vers Tahir, lui glissant quelques mots à l'oreille. Le visage du seigneur déchu s'assombrit quelque peu et il plissa les yeux tandis que la brune enchaînait, parée d'orgueil, dévoilant toute sa noblesse tant à travers son expression qu'à travers ses mots.

— Alyssa Adiant. Héritière de la maison Adiant et de Port-Mauer. Nous retenir ainsi pourrait causer un grave incident diplomatique.

Il ne fallut qu'une seconde pour que, menton haut et œil fier, l'homme princier ne prenne à son tour la parole.

— Je suis Synsivik, né Synhvid Iseal, Roi légitime de Nokrov et de Talumen, Fils de la Lumière et Élu de Lux.

Derrière lui, la porte avait émis un grincement en s'entrouvrant, dévoilant Hvitur et Karona qui rejoignaient le semblant de réunion, certainement prévenus par un page. Les mots avaient filé à leurs oreilles, et déjà contre les joues de la Reine déchue, des larmes tombaient en cascade.