Chapitre 14.1, Les sables nocturnes

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ALYSSA


Le zuhyre avait nagé en toute vitesse. Sur un pari un peu fou, incapable de savoir où elle se trouvait, Alyssa avait choisi de fuir les côtés et de se fier uniquement aux paysages qu'elle croisait. Elle guidait la créature mieux qu'un bateau et avait creusé ses écailles pour former un bol récupérant l'eau du ciel. De cette magie qu'elle découvrait lentement, elle avait essayé de créer une nouvelle tempête mais n'avait rencontré qu'un cuisant échec. C'était la haine qui lui avait permit de ramener à la vie les monstres marins tapis dans les profondeurs océaniques et elle ne parvenait à rappeler la colère. Sa rencontre avec Nox, la beauté de l'île étrange et sa présence en mer l'apaisaient, comme jamais rien ne l'avait fait avant. Elle était née pour être une navigatrice. Si elle n'avait pas eu un vagin entre les cuisses, elle aurait pu détruire les vatners, s'offrir un rang d'amiral que rien n'y personne n'aurait su dénigrer.

Mais elle était du sexe des Sides. Offerte aux tourments de Mageia qui coulaient chaque mois entre ses jambes. Maudite par la plus sanglante des déesses. C'était bien la seule excuse qu'avaient trouvé les hommes pour justifier leur contrôle. Bien le seul mensonge que personne n'avait oublié.

Alors Alyssa devait se contenter des ombres et des rêves. Autrefois. Maintenant, roulant dans ses veines autre chose que le sang maudit de Mageia. Nox les avait rempli d'onyx, de ténèbres et de sombres présages. Dans le reflet de l'océan, la griffonne avait bien vu que sa peau s'était assombrie, que ses cheveux de jais étaient devenus d'ébène. Seuls ses yeux en étaient encore plus visibles, encore plus flamboyants, billes d'embrun jugeant avec sévérité le monde. En deux mois, Alyssa avait l'impression d'avoir vieillit de cent ans.

Elle but une gorgée d'eau alors que son regard filait sur les terres enfin visibles au loin. Leurs falaises avaient un âpres arrière goût de déjà vus. Était-elle revenue aux terres de Talen, elle qui avait suivit les étoiles pour toujours aller plus à l'Est, pour espérer ne pas tomber dans les Tréfonds mais bien enrouler la terre ? Les marins avaient juré qu'on pouvait en faire le tour si on ne se perdait pas, si on évitait les monstres et les mondes de la Rouge. Ils étaient bien les seuls à ne jamais avoir oublié les tourments de Mageia. A avoir retenu ses leçons. Et à savoir qu'elle se trouvait aux bords des mondes. Une seule ligne les séparaient, qu'ils pouvaient éviter en suivant les directives maritimes. Pour aller aux Ramales plus vite qu'en essayant de retourner dans les terres.

Alors Alyssa était concentrée. Elle ne connaissait pas cette ligne, n'avait jamais été éduquée pour savoir l'emprunter. Le zuhyre était bien heureusement assez prudent, rechignant à aller dans certaine direction, à prendre certain courant.

Mais c'était des falaises et non des plages de sable brûlant qui les attendaient. Sur les dessins du port, Alyssa avait dévoré cette région des yeux, en sentant la chaleur sur les bandeaux des hommes, en gouttant la morsure sur les lèvres gercées des nomades. Ils avaient des animaux jamais vu, capable de vivre sans boire pendant une éternité. Des chevaux plus rapides encore que ceux de Talen. Des endroits où l'eau avait jaillit du sable et créée une illusion de verdure dans le paysage ocre.

Ce n'était pas ce qu'elle avait devant les yeux. Les terres ressemblaient trop à Talen. Ses poings se serrent, son coeur se bloqua. Elle ne voulait pas échouer aussi vite.

Un hurlement attira son regard. Un gamin les avait vu, pointant du doigt le monstre. Sa peau, brunie par le soleil, n'était pas celle d'un enfant de Talen. Il semblait avoir les cheveux aussi noirs qu'Alyssa et les yeux de la même couleur. Ce n'était pas seulement Lux qui avait doré son derme mais bien une carnation naturelle que la griffonne n'avait jamais vu chez quelqu'un d'autre qu'un natif des Ramales.

Les falaises étaient pourtant un problème de taille. Alors qu'elle tentait de se rapprocher, elle vit des cavaliers, des arcs si petits entre les mains que jamais les chevaliers de ses terres n'auraient accepté de les bander. Ils encochèrent les flèches, beuglant dans une langue inconnue des mots que la griffonne ne comprenait pas. Elle tenta de les empêcher de tirer, de leur ordonner d'arrêter mais ils ne l'écoutèrent pas, certainement bien trop loin. Les flèches s'enfoncèrent dans l'air, s'engouffrèrent dans l'eau. Le zuhyre eu un mouvement de recul, manquant faire choir Alyssa de son perchoir improvisée. Elle redescendit de la tête pour retrouver le corps de la créature, plus large et moins dangereux.

— Éloignons nous. Aux ras de flots et trouve une plage où je pourrais accoster.

L'animal ne se fit pas prier. Il ouvrit la gueule, jetant un beuglement sauvage qui fit cabrer les chevaux là haut, si haut, et s'enfouit sous l'eau, ne laissant qu'un minuscule espace à Alyssa pour qu'elle puisse respirer.

Il remonta la côte, en suivant les chemins jusqu'à une crique sauvage qui ne ressemblait que bien trop à celle où la jeune fille aimait s'amuser avec Isendre. Aux souvenirs de son frère, le coeur d'Alyssa se serra. Elle l'avait laissé seul avec sa colère, seul avec sa rancoeur. Pire encore. Il devait la croire morte, emportée par la tempête qui avait ravagé l'océan.

Nox ne lui laisserait pas le temps de retourner à Port-Maeur. Isendre aurait pourtant fait un allié de choix pour la Side. Levant les yeux vers les soleils qui enfin se couchaient sur l'horizon, Alyssa appela la lune. Elle avait besoin d'aide. Besoin d'une autre main tendue. Elle était gonflée par la foi, emplie de reconnaissance pour celle qui lui avait tout offert. Terrifiée par le chemin qui l'attendait maintenant alors qu'elle était si seule. Elle avait rejoint ce pays où le soleil ne se couchait jamais.

Rien d'autre ne l'attendait.

Offrant une dernière caresse au zuhyre, Alyssa le laissa retourner à l'eau qu'il n'aurait jamais dû quitter. Sans sa présence réconfortante, la jeune fille se sentait comme nue. Elle n'avait ni armes ni créature mythologique. Juste les vêtements trop blancs qu'elle avait pris sur l'île. Son épée lui manquait. Son arc lui manquait. Elle avait l'impression d'être la cible de tous les brigands, de n'être qu'une proie offerte avec nonchalance par le destin. Elle inspira. Gonfla ses poumons de l'air brûlant des terres qu'elle foulait.

Et s'avança dans le sable sur une expiration.

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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant