Chapitre 9.2, Les lueurs qui se perdent

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[...]

 Synsivik saisit la poignée de la porte de la cabine, la pressa et s'engouffra à l'intérieur pour échapper au cauchemar du dehors. Essoufflé, trempé tant de sueur que d'eau, terrorisé, il plaqua son dos contre la porte qu'il verrouilla. Sur le petit lit de camp, les mains jointes en prière, Daena avait le regard bas. Elle le leva lentement vers lui, ses prunelles chancelantes en ses si beaux yeux.

Et la lumière revint. Lux était présente, encore et toujours à ses côtés. Elle était ici – ce nez mutin, ces lèvres fines, ce regard azur, ces cheveux châtains et aux reflets chatoyants. Le soleil, sa lueur, dansaient en son être. Elle était si belle, cette déesse à qui il avait voué sa vie.

— Que se passe-t-il au-dehors ? murmura-t-elle.

Synsivik se précipita à ses côtés, il entoura son corps frêle de ses bras. Son contact était chaud, loin de la sensation glaciale des pluies de l'extérieur. Il pouvait sentir son cœur battre vivement, empli de vie. Il posa son visage contre son épaule, le glissa dans son cou. Il huma son parfum, douce odeur de fleur qui semblait naturelle chez elle. Le religieux haleta, voulut goûter. Et ses lèvres embrassèrent doucement l'épaule, le cou, la peau si douce et si pure.

— Synsivik.

Il entendit le rappel à l'ordre, le reproche dans la voix, mais il ne pouvait s'arrêter. Il avait retrouvé Lux, il l'avait retrouvée et il l'aimait. Il poussa contre les épaules de la noble pour l'allonger sur le lit de fortune tandis qu'elle gémissait, effrayée. Il ignora sa plainte, se plaça au-dessus d'elle sans ménagement. Aux lèvres du religieux s'ajouta sa langue qui vint goûter la peau délicate, traçant un sillon humide de l'épaule au cou, ses dents venant accrocher légèrement sa mâchoire. Et déjà il se frottait contre elle, ivre de ce désir qui brûlait en lui.

Elle l'appela à nouveau, protesta d'une voix plus faible, plaintive, effrayée. Mais il la maintenait plaquée contre le lit d'une main, l'autre fouillant déjà ses jupons. Il ne lui fallut que quelques secondes pour trouver l'intimité de sa belle, dans laquelle il força le passage d'un doigt. Il entendit le sanglot contre son épaule, contre leurs corps pressés. Lui l'aimait tant.

Finalement, sa main quitta l'intimité de la noble pour défaire ses braies dans lesquelles il se sentait à l'étroit. Et il n'attendit pas une seconde de plus avant de plonger en elle, ignorant ses gémissements, ses pleurs, ses cris qu'il étouffait de ses lèvres pressées contre les siennes. Il n'entendait pas sa douleur – ce n'était pas Daena, c'était Lux.

C'était son aimée de toujours à qui il faisait l'amour.

Synsivik la prit, il fut heureux de lui prouver l'étendue de son affection – tout son amour. Il fut satisfait d'enfin l'aimer comme il devait l'aimer, de sentir enfin la chaleur l'envelopper tout entier. Il entendait les supplications qu'elle murmurait, qu'elle pleurait incessamment contre ses lippes qu'elle repoussait de faibles gestes de la tête. Mais son corps restait inanimé, tétanisé, incapable de tout mouvement.

Synsivik.

Ce n'était pas la même voix. Ce n'était plus la voix de la noble qui résonnait à ses oreilles. Synsivik se retira brusquement, conscient que Lux l'appelait. Il se rhabilla à la hâte, ses yeux observant le plafond, le fouillant à la recherche de sa déesse tandis qu'il ne parvenait à redescendre pleinement du moment de folie qui l'avait saisi tout entier, lui faisant quitter terre, lui faisant oublier ce qu'il avait appris – la femme est péché, lui avait pourtant rappelé maintes fois l'Aîné.

Synsivik, laisse-moi te guider dans la lumière.

Il s'écroula, un éclair blanc passant devant ses yeux, Lux l'entraînant en un monde qu'il n'avait vu qu'une fois, découvrant qui était la fille de Nox – un monde de vérité.

Il revit Alyssa, la main posée contre la gueule du zuhyre, lui ordonnant de saccager, de ravager, de détruire, de tuer. Il vit les cheveux noirs trempés de pluie, les yeux bleus baignés de folie – puis la lame plongée dans le cœur de son bourreau et mari. Il vit le sang, il entendit le rire fou de la griffonne.

Elle a été plus rapide que toi, Synsivik. La sauver ne sert à rien, elle se sauve très bien seule. Rejoins-la là où le soleil brûle toujours, à l'ouest. Mais ne te fie jamais à elle – seulement à moi.

Il devait croire en Lux, elle avait raison. Si elle lui ordonnait de se méfier de la fille de Nox, celle qui pourtant devait devenir son alliée, alors il n'aurait d'autre choix que d'obéir. C'était ce qui devait être fait, autrement Lux ne l'aurait jamais dit. Lux était la raison.

Le noir se fit un instant dans le monde étrange que sa déesse lui montrait – puis un nouvel éclat lumineux lui vint, et Synsivik put voir ce qui ressemblait à une chambre. Au mur, les diverses décorations représentaient les griffes et les crocs d'un fauve, et les couleurs seules couleurs parant la pièce étaient des striures d'or et de blanc. Il régnait une atmosphère stricte et pompeuse, bien loin de tout ce qu'il avait connu.

Lux lui montra un berceau au-dessus duquel était penchée une femme, semblant effleurer un enfant. Il ne vit d'abord d'elle que ses longs cheveux blonds, mais lorsqu'elle se retourna, il remarqua la couronne à son front. Puis il vit sa peau blanche, ses lèvres fines – et ses yeux clairs. Si semblables aux siens.

Tout devint alors flou et Synsivik changea de perspective ; il vit des yeux du nourrisson, un vieillard qu'il ne connaissait que trop bien se pencher – le saisir de ses mains.

Synhvid, murmura l'Aîné qu'il voyait au-dessus de lui. Synhvid Iseal ; de Fils Blanc, tu deviendras Fils de Lumière.

Puis la lumière disparut, Synsivik se retrouva dans le noir le plus complet. Et pourtant, il se sentait toujours flotter, perdu dans cet étrange monde qu'était celui des visions de Lux. Ses yeux fouillèrent l'obscurité, il la chercha – et aperçut au loin une faible lueur. Il s'avança lentement, chaque pas faisant gagner en intensité à cet éclat perdu au cœur de l'obscurité. Puis il la vit, telle une silhouette lumineuse flottant sous ses yeux. Une silhouette sans visage, mais dont la lueur manquait de puissance.

— Où est passé ton soleil, Lux ?, demanda-t-il dans un murmure.

Tu dois combattre, Synsivik. Coule en toi le sang des Rois. Et je t'ai choisi comme Champion.

L'ombre revint, dévorant la silhouette de Lux – et la lueur ne revint pas. Synsivik sombra dans un sommeil profond, seulement percé de questions étranges et de révélations inattendues. Lui qui avait toujours vécu en se pensant simplement Fils de la Lumière portait en ses veines le sang bleu... Synhvid. Ce nom résonnait en lui, porté par la voix de sa Mère.

Synhvid Iseal.


*  *  *

NOTE D'AUTEUR

Je n'aime habituellement pas trop les notes d'auteur en plein milieu d'un livre, mais je préfère éviter tout risque de mauvaise interprétation concernant ce chapitre...

Comme vous avez pu le remarquer à sa lecture, ce chapitre a présenté un viol, du point de vue de l'agresseur qui plus est. Tel qu'il est écrit, le chapitre peut laisser penser que nous voyons l'acte de Synsivik comme un acte d'amour (ce qui est d'ailleurs dit dans l'extrait, puisqu'il considère "faire l'amour" à Daena, lui "prouver son amour" etc.), c'est pourquoi je préfère expliquer un peu notre point de vue vis-à-vis de cela, afin d'éviter toute mauvaise interprétation.

Nous tenons à rappeler que nos chapitres sont écrits d'un point de vue interne au personnage. Il s'agit donc d'un ressenti propre à celui-ci ! Si Synsivik ne voit pas en son acte un acte de violence, c'en est un et nous ne considérons, nous, en tant que personnes, pas cela comme un acte d'amour !

Nous ne cautionnons aucune forme d'agression. Ce sont des actes terribles et monstrueux, et la folie de Synsivik ne l'excuse en rien.

Nous voulions simplement éclaircir ce point-ci pour éviter toute mauvaise interprétation, ce qui serait possible ! Nos personnages ont chacun une personnalité qui leur est propre et ce qui est écrit dans les chapitres se passe de leur point de vue : c'est ce qu'eux voient et pensent, certainement pas nous.

Nous espérons toutefois que le chapitre vous a plu (me concernant, bof, c'était très dur à écrire), et que la suite vous plaira autant !

Élisa.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant